Faire entrer la philo dans l’entreprise te semble une drôle idée ? Si ce concept n’est pas courant en France, il l’est dans les pays anglo-saxons, où les philosophes sont bien présents dans le monde professionnel – notamment aux États-Unis dans la Silicon Valley. La philosophie peut en effet être un excellent outil pour l’entreprise, en l’aidant à prendre du recul sur ses pratiques et à remettre en question sa relation au consommateur. C’est sur ce thème que le Club Marketing EDHEC Alumni a proposé un webinaire le 1^er juin 2021, en invitant Mathilde Chevalier-Pruvo. Philosophe consultante auprès des entreprises et des particuliers, Mathilde nous a montré en quoi la philosophie peut retrouver sa fonction première : être utile au quotidien et aider à prendre les bonnes décisions. 

La philosophie, un concept concret !

Si la philosophie ne t’évoque que de lointains souvenirs de lycée, elle peut pourtant être envisagée autrement ; notamment comme un outil pour redonner des racines à l’entreprise et l’aider à se déployer avec plus de sens. Car la philo permet avant tout de faire un pas de côté, pour prendre de la hauteur et questionner ses croyances. Et si les moments de crise accentuent les processus de remise en question, la crise sanitaire que nous vivons en est un parfait exemple : elle a permis une prise de recul sur des habitudes bien ancrées. Philosopher peut donc être un concept très concret : celui de prendre l’habitude de s’interroger sur le « prêt à penser ».

En quoi peut-on relier la philo au marketing ?

La philosophie peut t’aider à comprendre comment mettre en lumière tes produits ou services, et surtout comment mieux transmettre ton activité à tes utilisateurs. Comment ? En dialoguant correctement à l’intérieur de l’entreprise, car rester enfermé dans ses idées empêche d’innover. Le dialogue permet de sortir de ce biais en effaçant les préjugés pouvant exister entre différents services… Bref en s’assurant que tout le monde parle le même langage. La philosophie aide ainsi à se débarrasser des prismes déformants dépendant de la fonction de chacun dans l’entreprise. La philosophie « politique » – qui n’a rien à voir avec la politique politicienne – est en cela particulièrement utile au marketing, car elle s’intéresse aux relations qu’ont les individus à la fois au sein de l’entreprise et à l’extérieur, avec leurs clients. 

Comment la philosophie peut amener l’entreprise à s’interroger

Mathilde recommande d’organiser des sessions de réflexion, pour se demander si ce qui définit l’entreprise et sa vision reste inchangé ou évolue. L’idée est de prendre le temps de réfléchir à ce qu’on fait et à la façon dont on le fait. Elle prend l’exemple de la donnée, sujet sensible qui inspire la défiance, alors qu’il s’agit d’un simple outil : pas de conception de produit ou de progrès scientifique sans données ! On peut s’interroger sur la raison pour laquelle l’entreprise est souvent perçue comme malintentionnée, tandis qu'elle pourrait appréhender ce sujet de manière plus positive que défensive, en expliquant en quoi recueillir des données permet de conseiller ou de proposer des services pertinents. 

La phénoménologie, quésaco ?

Mathilde s’appuie sur la phénoménologie (science des phénomènes), une branche de la philosophie qui aide à comprendre les choses en étudiant la représentation et l’expérience vécue. Pour prendre un exemple concret : un même objet peut susciter des réactions très différentes d’un individu à l’autre selon ce qui relie l’objet à l’individu (souvenirs, personnes…). Pour le marketeur, comprendre que tout un réseau de sens se cristallise autour de son produit ou service est essentiel. L’enjeu consiste donc à « déplier » ce réseau d’émotions et de sensations pour comprendre ce qu’on doit développer, ou sur quoi on doit communiquer pour toucher positivement le consommateur.  

Bien appréhender tes clients grâce à la philo

 1.         Donner sa juste place à l’utilisateur

La place donnée à l’utilisateur est d’autant plus importante qu’à l’époque du RGPD ou du ciblage publicitaire, on observe une perte de confiance et une attitude de défiance envers les entreprises. Aujourd’hui prendre en considération les clients est primordial. Leur expliquer qu’ils jouent un rôle essentiel et leur donner un véritable statut est un défi. Pour cela, Mathilde explique qu’il est fondamental de ne pas penser uniquement « produit », mais de le restituer dans la vie globale de l’utilisateur. Les podcasts ou entretiens avec les consommateurs sont un moyen d’y parvenir.     

2.         Proposer une approche narrative adaptée  

La philosophie nous apprend que l’être humain a un rapport émotionnel et corporel au monde. Dans le marketing d’influence, il est donc important de mettre en avant l’utilisateur grâce à une approche narrative qui s’intéresse aux éléments de sa vie quotidienne. On observe d’ailleurs un changement dans les modes de storytelling : raconter l’histoire de l’entreprise du point de vue des fondateurs et mettre en avant des consommateurs idéalisés ne fonctionne plus. Dorénavant ce qui intéresse l’utilisateur, c’est en quoi le produit ou service va répondre à ses propres aspirations. Ainsi les stories qui restent de la pure argumentation produit présentée par des influenceurs dans une réalité sublimée ne sont pas un bon choix, car elles ne touchent pas notre réalité ni ce que nous sommes avec nos spécificités.

3.         Humaniser l’entreprise et ramener de l’authenticité

Le principe ? Montrer que l’entreprise est un ensemble d’êtres humains travaillant pour l’utilisateur et accepter l’imperfection, qui a une valeur ajoutée car elle apporte de l’authenticité. Pour Mathilde, ce sont « les petites brèches » qui permettent de défricher des choses auxquelles on n’a pas pensé avant. Elle conseille aussi de ne pas s’attacher à des contenus travaillés à la perfection, mais de montrer simplement ce que fait l’entreprise, en y associant des visages. Elle évoque ces petites marques pour lesquelles les fondateurs se mettent en scène pour parler de leurs produits avec humour, mais en tenant un propos enraciné dans un vécu, et qui parviennent à fédérer. Il est intéressant de s’inspirer de ces pratiques, et de ne pas s’en couper lorsque l’entreprise grandit. Identifier des groupes d’utilisateurs sans idées préconçues et fragmenter sa communication est aussi une façon de garder cette authenticité, essentielle pour un marketing réussi.

On espère que ce petit instant philo sera matière à réflexion sur ta manière d’appréhender le marketing et de communiquer avec tes clients. N’hésite pas à échanger sur ce sujet avec la communauté Alumni. Et pour connaître les thèmes abordés dans les prochains webinaires, pense à consulter le calendrier des événements.