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Entretien avec Florence Henry (EDHEC Master 1996), Global Head of Sustainability Nutrition chez Nestlé

Interviews

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03.28.2024

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Florence Henry (EDHEC Grande École 1996) est entrée dans le monde de l’agro-alimentaire par le marketing. Après ses expériences internationales chez Danone et Associated British Foods, elle intègre le groupe Nestlé en 2011. C’est en 2020 qu’elle pose un premier pied dans le monde de la sustainability. Elle dirige à présent mondialement la catégorie « Nutrition », qui la place sur la ligne de front des enjeux environnementaux, plus que jamais d’actualité dans les transformations business d’un groupe international. 

Comment résumerais-tu ton poste et tes responsabilités actuelles ?

Je couvre toutes les marques et lignes de produits « Nutrition » du Groupe, qui correspondent à un chiffre d’affaires annuel d’environ 15 milliards de dollars. Dans mes 3 grands champs d’action, il y a d’abord le climat. Nestlé s’est engagé au « Zéro émission nette » (Net Zero) d’ici à 2050, avec une étape importante de réduction des émissions en 2030, de l’ordre de 50%. Puis, il y a l’agriculture régénérative et le sourcing d’ingrédients responsables, ainsi que les emballages (recyclabilité, réduction des plastique vierges au tiers d’ici à 2025). Je gère aussi la communication des marques sur ces initiatives. Une petite équipe travaille avec moi, et c’est assez rare que tous ces éléments puissent être coordonnés sous un seul chapeau. Nous avons une vue globale et nous nous appuyons sur un réseau interne pluridisciplinaire (agronomes sur le terrain, opérationnels, R&D, et les achats, en relation directe avec les fournisseurs). Beaucoup de nos priorités environnementales passent en effet par nos fournisseurs, qu’il est important d’embarquer avec nous. En 2023, nous avons réduit nos émissions de gaz à effet de serre de 13,5% par rapport à 2018. Nous utilisons désormais 93% d’électricité renouvelable dans nos usines, et 84% de nos emballages sont recyclables. Nous progressons rapidement, mais il reste encore beaucoup à faire, et nous ne pouvons plus attendre.

Comment priorises-tu les chantiers sur lesquels tu interviens ?

Je m'occupe de la stratégie d’implémentation dans notre catégorie en m’appuyant sur les priorités du groupe Nestlé. Pour les enjeux climat, nous essayons d'abord de comprendre d’où viennent nos émissions. Pour atteindre le Net Zero, nous devons réduire nos émissions à tous les niveaux d’activité et de supply chain. Nous collaborons ainsi avec agriculteurs et fournisseurs pour généraliser l’agriculture régénérative. Nous investissons également dans la logistique durable et le packaging, diminuons l‘énergie (au maximum renouvelable) de production, lançons des produits innovants à base de plantes. On croit souvent que le transport pèse pour beaucoup dans les émissions, mais il représente moins de 10% de notre empreinte carbone, contre 71% pour les ingrédients. L’impact le plus important, mais aussi le partie la plus difficile, réside donc dans l’agriculture, particulièrement sur notre sourcing en lait, en cacao et en café. Nous mettons donc en place des plans de réduction avec des projets spécifiques dans les différentes zones. 

Pour des ingrédients qui viennent de très loin, comme le cacao ou le café, peut-on connaître précisément la réalité du terrain, en termes de production et de logistique ?

Le Groupe étant présent dans plus de 180 pays, il y a souvent des filiales de Nestlé sur place pour évaluer, vérifier ou accompagner nos fournisseurs. S’il n'y a pas d'équipes d'agronomes, une vérification est réalisée par une tierce partie sur un échantillon représentatif. Nous avons des outils de mesure assez standard dans l'industrie, à l’instar du Cool Farm Tool. Pour le cacao, nous avons un partenariat avec le label Rainforest Alliance, une structure qui se rend chez les agriculteurs et réalise des audits sur différents types de transformation. Le Plan NESCAFÉ® 2030 pour l'agriculture régénérative vise aussi à une agriculture plus durable du café, en protégeant par exemple le revenu des agriculteurs, de même que l’Income Accelerator Program, lancé en 2022 afin d’améliorer le niveau de vie des familles de cultivateurs de cacao. Chaque supply chain est confrontée à ses propres challenges sociaux ou environnementaux (émissions de méthane dans le secteur laitier, déforestation, manque d’eau, travail infantile…), et les solutions doivent être adaptées au contexte local. Cela ne se fait pas avec une baguette magique, mais avec un intensif travail de terrain, qui porte ses fruits pour l’environnement et la communauté.

Les consommateurs cherchent-ils des produits responsables ?

Plusieurs études montrent que l’environnement est un critère important dans la décision d’achat, pour 30% à 60% des consommateurs selon les pays. Mais il y a un écart entre le déclaratif sur la sustainability et la réalité de consommation, qui s’explique par 3 barrières principales : le prix, le manque de clarté des informations sur les emballages, et le fait que les consommateurs ne soient majoritairement pas prêts à faire des compromis sur le goût, la qualité ou le côté pratique. Les marketeurs ont encore des efforts de communication à faire, sans être trop techniques ou spécialisés, et sans faire de greenwashing, car les consommateurs attendent résultats, honnêteté et transparence de la part des marques. Les claims vagues – du type « bon pour la planète » –  ou les horizons trop lointains ne peuvent plus convaincre. L’empreinte carbone et la neutralité carbone restent encore, pour la plupart des consommateurs, des concepts techniques et compliqués à appréhender. Nous essayons de trouver des façons assez simples de communiquer sur des notions que le consommateur découvre.

La pédagogie auprès des producteurs et des fournisseurs fait-elle aussi partie de la stratégie ?

Oui, et nous faisons énormément d'efforts à ce sujet. Cela commence par la formation et le coaching des agriculteurs, pour les aider à mettre en place les bonnes pratiques d’agriculture régénérative en fonction des pays et des contraintes climatiques, parfois différentes au sein du même pays. Ce qui est toujours intéressant, c'est de mettre l’agriculteur au milieu de l'équation, car sans cela, les programmes n’auraient aucune chance d’exister sur le long terme. L’agriculteur gère son exploitation, et doit la garder pérenne et durable jusqu’à la prochaine génération, en restant économiquement viable. Nous invitons nos fournisseurs à s’engager avec nous, car ce sont eux qui nous permettront d’atteindre nos objectifs Net Zero.

Le nouvel institut de sciences agricoles inauguré l'année dernière par Nestlé, près de Lausanne, va-t-il changer la donne dans ton travail ? 

Oui, absolument. En 2019, Nestlé avait inauguré un institut spécialisé dans les emballages. Le nouvel institut de sciences agricoles recherche les technologies du futur, car la transition vers un système régénératif induit des changements à grande échelle dans la culture et la production des matières premières agricoles. La science, très active dans ce domaine, sait apporter des solutions respectueuses de l’environnement. Nous travaillons en ce sens avec des universités, des start-up et des scientifiques, sur des solutions régénératives implémentables à grande échelle. Pour les fermes laitières, nous nous intéressons plus particulièrement à la réduction du méthane émis par la digestion de la vache, puis des autres gaz émis dans la production du fourrage ou dans le transport du lait. Cela demande de nourrir différemment les vaches, avec des compléments alimentaires réduisant la production de méthane, et d’amorcer l’agriculture régénérative du fourrage. Il y a plein d'autres domaines de recherche, comme la résilience au climat des plants de café et de cacao. Les solutions les plus prometteuses sont d’abord testées en laboratoire avant d’être mises en pratique dans des fermes de recherche, afin de s’assurer de leur sécurité et de leur efficacité à l’aune d’un déploiement plus large.

Comment Nestlé réussit-il à allier sa pédagogie « Manger mieux et local » à son activité internationale ?

On imagine toujours Nestlé comme un gros groupe mondial, mais c’est aussi la somme de ses filiales. Nos produits sont vendus dans plus de 196 pays, dont plus de 85 où nous avons des usines, et plus de 25 (Brésil, Inde, Pakistan, Indonésie…) où nous sommes en relation directe avec les fermiers, qui livrent le lait aux usines Nestlé. Les fermes sont possédées par les agriculteurs, ou regroupées en coopératives. En Europe, en Nouvelle-Zélande ou aux États-Unis, par exemple, nous achetons du lait et des spécialités laitières à des fournisseurs. En consommant un produit Nestlé en Inde, on donne de l'emploi aux Indiens et on contribue à l’agriculture locale. Bien sûr, il y a des matières premières importées, comme le café ou le cacao, mais la majorité de la chaîne de valeur est très locale, aussi car les profils de goût sont très différents d’un pays à l’autre, même sur la même marque. Un KitKat® au Japon n'est pas le même qu’en Europe. Certains préfèrent un chocolat plus sucré ou plus corsé. Là où se développe une nouvelle demande consommateur, nous développons de nouveaux produits, comme actuellement avec les produits à base de plantes : burgers végétaux Garden Gourmet, KitKat® Vegan...

Dans quelle mesure le marché agroalimentaire évolue-t-il en vue du Net Zero de 2050 ?

Chaque chaîne logistique a ses propres leviers d'impact, ce qui amène à réinventer notre approche de l'agriculture, du transport et de l'énergie. Ce mouvement de fond ouvre de nouvelles opportunités de carrière dans la durabilité, comme le digital il y a quelques années, et ce dans tous les domaines de l'industrie alimentaire, dans les services ou dans les cabinets de conseil. Des experts sont en effet nécessaires pour définir des plans d'action et repenser les systèmes existants. Certaines entreprises, autrefois spécialisées dans l'audit, doivent désormais accompagner ces transformations, devenant des partenaires cruciaux.

J'ai moi-même commencé dans la sustainability il y a 3 ans, après une carrière business assez classique, ce qui me permet de voir comment la sustainability s’inscrit dans la transformation business. Je suis capable de comprendre, de traduire et de faire entendre la voix des experts auprès du management. J'ai donc un rôle de transmission. Je suis persuadée que dans 10 ou 15 ans, les compétences de durabilité se seront généralisées. Aujourd'hui, le bilan non-financier devient aussi important que le bilan financier, et la législation va accroître ce mouvement, pour finalement concerner toutes les fonctions. L'intégration précoce de la durabilité dans le business, comme chez Nestlé, deviendra la norme, favorisant un engagement dynamique et collaboratif, avec de nombreuses opportunités pour les jeunes générations.

 

En savoir plus sur les engagements de Nestlé :
Plan Net Zero  et roadmap Nestlé Net Zero
Rapport de durabilité 2023



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