Rencontre avec Pauline Baron (EDHEC Master 2020), AI Research Project Lead chez AXA
En à peine deux ans, le parcours de Pauline chez AXA illustre bien à quel point l’IA est un terrain d’opportunités. Entrée en 2023 comme AI Governance Officer, elle accède fin 2024 au poste de AI Research Project Lead, au cœur des initiatives les plus novatrices du groupe. Dans cette interview, elle dévoile ses missions, son rôle dans la recherche en IA et partage sa vision du secteur, entre accélération technologique et transformations profondes pour les organisations.
Quelles sont tes missions aujourd’hui chez AXA ?
Mon poste est un peu difficile à définir parce qu’il évolue beaucoup. Après avoir travaillé trois ans sur les sujets d’éthique et de réglementation de l’IA, je suis désormais concentrée sur des projets de recherche. Depuis un an, je travaille dans le cadre d’un partenariat entre AXA et l’Université de Stanford. Ce partenariat regroupe plusieurs projets autour du futur de l’IA, et je suis impliquée dans deux d’entre eux.
L’un des projets est orienté business et organisation. On cherche à comprendre comment l’IA peut augmenter certains métiers, en particulier celui de souscripteur, qui est très spécifique à l’assurance et qui pose aujourd’hui des défis générationnels. On mène des entretiens avec des underwriters dans différentes entités AXA, on observe leurs interactions avec les outils actuels, et on prépare une expérimentation pour voir comment ils s’approprient un outil d’IA. L’objectif est de prendre le temps d’observer, avec une approche plus scientifique que purement opérationnelle.
Dans ce projet, j’apporte ma connaissance du business et de l’organisation, en binôme avec un chercheur qui maîtrise la méthodologie. Je fais aussi un peu de gestion de projet, de coordination et de mise en relation.
Comment une équipe de recherche IA se retrouve-t-elle dans une structure telle que celle d’AXA ?
AXA est un groupe mondial présent dans plus de cinquante pays, dont le cœur de métier est de distribuer de l’assurance. Et au milieu de ce grand ensemble, on a cette petite équipe de recherche en IA, composée d’une quinzaine de personnes. Pourtant, elle a un rôle vraiment important.
Je suis rattachée à AXA Group Operations, l’entité qui gère les opérations, les achats, la sécurité, l’IT et l’innovation pour l’ensemble du groupe. C’est dans cette cellule innovation qu’a été créée l’équipe de recherche, en 2018, à un moment où quasiment personne ne parlait d’IA responsable. L’équipe s’est d’abord positionnée sur ce créneau-là, avant de développer aussi un volet de thought leadership, ce qui a d’ailleurs été ma porte d’entrée chez AXA. Aujourd’hui, cette équipe est considérée comme très précieuse, notamment parce qu’elle contribue au rayonnement d’AXA : par exemple, l’Evident AI Index a désigné AXA comme l’assureur numéro un en maturité IA en 2025, et les publications de recherche ont été un critère important dans cette évaluation. Peu d’assureurs disposent d’un dispositif comparable.
Même si ce que nous faisons n’est pas toujours directement lié au cœur du business de l’assurance, notre rôle s’inscrit clairement dans la stratégie globale du groupe, qui mise beaucoup sur l’innovation et sur la capacité à comprendre, anticiper et encadrer l’évolution de l’IA.
Peux-tu nous raconter ton parcours depuis l’EDHEC ?
J’ai intégré le programme Grande École, puis j’ai rejoint le GETT dès sa création. C’était exactement ce que je recherchais : une dimension internationale, une forte exposition à la technologie, et un esprit très ancré dans l’innovation. Ma dernière année à Berkeley a été un tournant. On avait des cours incroyablement riches sur l’IA, la blockchain, l’innovation en général, et on visitait des entreprises de la tech. C’était extrêmement stimulant !
Puis le COVID est arrivé et je suis rentrée en France. J’ai intégré un cabinet de conseil en stage de fin d’études, sans idée précise de ce que je voulais faire. J’ai été envoyée en mission chez AXA, dans l’équipe recherche et l’équipe learning, pour les aider à déployer un programme de formation à l’IA. Ce projet m’a plongée dans un univers passionnant. Quand ma mission s’est terminée, ils m’ont proposé de revenir pour travailler sur l’IA responsable et la gouvernance. J’avais beaucoup aimé les équipes, et eux avaient apprécié ma manière de travailler.
Comment la gouvernance d’AXA s’est-elle construite autour de l’IA responsable ?
Pendant plusieurs années, on avançait surtout grâce à des discussions régulières et à un travail de sensibilisation. J’animais un forum trimestriel, le AXA Responsible AI Circle, auquel participaient des profils très variés : des experts data, des représentants métiers, des juristes, des membres d’entités internationales. On se réunissait pour comprendre les risques de l’IA, échanger sur ce qui arrivait au niveau européen, et réfléchir à la manière dont AXA pouvait anticiper ces changements.
À cette époque, on construisait aussi des outils très concrets, comme une matrice de risques IA ou un glossaire pour aider les équipes à se repérer. Et puis, fin 2022, tout s’est accéléré. L’arrivée de ChatGPT a provoqué une prise de conscience massive, à tous les niveaux du groupe. En parallèle, la réglementation européenne s’est renforcée. La stratégie officielle d’AXA en matière d’IA, et la gouvernance s’est structurée pour intégrer ces nouveaux enjeux. Aujourd’hui, il existe une vision claire, une politique interne, des référentiels, et un alignement global entre les différentes équipes.
Quels sont, pour toi, les plus grands défis dans ce contexte d’accélération ?
Le premier défi, c’est clairement la vitesse. L’IA évolue à un rythme qui dépasse parfois notre capacité à prendre du recul. On pourrait avoir l’impression que tout doit aller très vite, que tout doit être transformé, et que chaque usage doit intégrer de l’IA générative. Je trouve cela fascinant, mais parfois excessif. On parle énormément des modèles génératifs, alors qu’il existe des IA plus simples, plus robustes, et souvent plus adaptées aux besoins réels.
Un autre défi, c’est l’équilibre entre enthousiasme et lucidité. Je crois énormément au potentiel de l’IA, mais je pense aussi qu’il faut garder une forme de discernement, ne pas tout réimaginer simplement parce qu’une technologie est à la mode.
Comment fais-tu pour rester à jour de tout ce qui se passe dans ce secteur ?
Je bénéficie d’un environnement extrêmement riche. Je travaille avec des chercheurs, des experts, des profils qui ont une maîtrise impressionnante de ces sujets. Dès que je ne comprends pas quelque chose, je peux aller demander, échanger, approfondir.
Je lis aussi énormément, notamment sur la réglementation et les analyses institutionnelles. Les sites de l’OCDE, de la Commission Européenne, les publications spécialisées… Et puis les réseaux sociaux, surtout LinkedIn, jouent un grand rôle. On y voit passer les dernières avancées, les analyses, les débats. Finalement, l’information vient presque toute seule, tant le sujet est omniprésent. Le plus difficile, parfois, c’est de ne pas se noyer dedans.
Comment AXA fédère les équipes internes dans cette transformation ?
C’est un immense travail, mais un travail indispensable. L’impulsion vient d’en haut, et c’est essentiel, parce que ça rassure et ça donne une direction claire. Ensuite, il y a toute la dimension communication et pédagogie : expliquer, rassurer, écouter, répondre aux inquiétudes. Chaque entité propose aussi des formations adaptées à ses besoins, et au niveau du groupe, on développe régulièrement des modules pour créer une culture commune autour de l’IA.
L’accompagnement au changement est central. On prépare même des ateliers spécifiquement conçus pour aider à dépasser les peurs, pour comprendre ce qu’est réellement l’IA, pour distinguer la réalité de la projection. Parce que les craintes viennent souvent d’une forme de distance ou d’incompréhension. Une fois qu’on explique le fonctionnement, les limites, les usages possibles, le rapport au sujet change complètement.
Le cadre réglementaire joue-t-il un rôle dans la manière dont vous avancez ?
Oui, et c’est même fondamental. La réglementation peut sembler contraignante, on peut penser qu’elle ralentit les projets, elle oblige à ajouter des étapes, mais elle est indispensable. En tant que citoyenne, je suis très reconnaissante qu’elle existe, parce qu’elle protège contre les dérives possibles. Certains profils techniques sont tellement concentrés sur l’innovation qu’ils ne voient pas toujours cet aspect. Pourtant, l’assurance est une industrie extrêmement réglementée. On ne peut pas automatiser entièrement un processus critique, ni prendre des décisions purement automatiques sans possibilité de recours humain. La RGPD l’interdit et c’est une très bonne chose. Le cadre juridique ne bloque pas l’innovation, mais il oblige à l’encadrer, et je pense que c’est essentiel.
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