Interview avec Agathe Poisson-Guillou (EDHEC Master 2006), Directrice adjointe du Projet Redéploiement au Centre Pompidou
Après des débuts en finance, Agathe Poisson-Guillou (EDHEC Grande École 2006) enrichit son bagage académique par une licence d’histoire de l’art à l’Université de Lille III. Un stage à la Whitechapel Gallery de Londres la décide à prendre la voie du secteur culturel, sans perdre de vue ses précieuses compétences en gestion. Elle contribue à l’ouverture de l’Hôtel de Caumont à Aix-en-Provence et de l'Atelier des Lumières à Paris, et travaille ensuite aux relations internationales du Mucem (Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée), à Marseille, pour aujourd’hui synthétiser ses expériences passées au Centre Pompidou. L’institution parisienne vient de se lancer dans 5 ans de rénovation, et termine actuellement la construction d’une nouvelle antenne en Île-de-France, qui ouvrira à l'automne 2026. Discussion avec une des maîtresses d’œuvre opérationnelles de ces chantiers où dialoguent activement patrimoine, accessibilité et avenir.
Comment résumerais-tu ton poste et tes responsabilités actuelles ?
Je suis directrice adjointe du « Projet Redéploiement du Centre Pompidou » et de la « Constellation 2025-2030 » (programmation hors-les-murs) pendant les 5 ans de travaux de rénovation. Il s’agit de coordonner les activités liées à ces travaux, tout en maintenant l’ensemble de la programmation du Centre. Les équipes, les œuvres, les collections et les activités sont transférées du Centre Pompidou vers des lieux temporaires, pour rejoindre ensuite le Centre rénové en 2030.
L’objectif initial de cette fermeture, ce sont des travaux structurels de sécurisation, de désamiantage, de remise aux normes et d’isolation, qui ne peuvent se réaliser qu'en site fermé. Nous avons aussi décidé de revoir le projet culturel pour fluidifier le parcours de visite, rendre les espaces accessibles à tous les publics, et renouer avec certains aspects fondateurs du bâtiment. Par exemple, en agrandissant la trémie à l’entrée du musée, et ainsi étendre la programmation artistique, ou en offrant un seul et même plateau à la Bibliothèque publique d’information (Bpi), pleinement ouvert sur la ville.
Je travaille également sur l'ouverture du Centre Pompidou francilien à Massy, à la fois nouveau pôle de conservation et de restauration, et lieu de création avec un espace de 3 000 m² ouvert au public pour des programmations, expositions et performances.
Pour ce faire, je m'assure de la bonne mise en œuvre des projets, de la coordination des différentes directions (bâtiment, production, musée), ainsi que de la tenue des plannings et des budgets. La gestion humaine et les interactions avec les organisations syndicales sont aussi déterminantes.
Comment va s’organiser la vie du Centre Pompidou pendant la fermeture ?
Le Centre Pompidou fait appel aussi bien à la collection du Musée d'art moderne et contemporain, qu’à une programmation de spectacle vivant, de recherche et de création. Nous avons des disciplines très différentes, et donc la nécessité de les faire dialoguer. Toutes ces activités sont maintenues pendant les travaux. Le Centre Pompidou ne ferme pas, il se métamorphose. Il se prépare à rouvrir sous une nouvelle facette, afin d’être pleinement ancré dans les enjeux du XXIe siècle : environnementaux, sociaux, d'inclusivité, d’accessibilité, et également de visibilité accrue de ses collections. Durant cette période inédite, les programmations sont diffusées via des partenariats, des coproductions, ou la circulation des collections. Le Grand Palais et de nombreux lieux en France et à l'international accueillent des expositions temporaires. Pour la partie cinéma, un partenariat a été noué avec le MK2 Bibliothèque, dans le 13e arrondissement. La Bpi a emménagé dans le bâtiment Lumière, dans le 12e arrondissement, et la Bibliothèque Kandinsky (le centre de recherche au sein du Centre Pompidou) ouvrira là-bas prochainement. Enfin, les réserves et toutes les activités liées au traitement des collections (restauration, préparation de prêt, encadrement) ont vocation à être transférées au Centre Pompidou francilien, dès son ouverture.
Le Centre Pompidou incarne une identité parisienne et française forte…
Si le musée est un lieu d’exposition et de programmation artistique, il reste un lieu vivant, un lieu d’échange et de réflexion offrant une expérience au contact d’une architecture particulière. Au Centre Pompidou, certaines personnes entrent simplement pour emprunter la chenille qui s’élève au-dessus de l’esplanade et révèle la vue sur Paris, quand d'autres ont une expérience plus complète pour y découvrir les expositions et programmations de spectacle vivant. Le Centre Pompidou, avec son identité très forte et son soft power, rayonne au niveau territorial, régional, national et international. Rendre les œuvres accessibles au plus grand nombre fait partie des missions d’un musée, au même titre que la préservation et la diffusion des collections. La circulation des collections et des programmations contribue au rayonnement de la France à l’étranger : nous travaillons en partenariat avec des institutions en France et dans le monde pour faire découvrir l’esprit du Centre. Dans chacun de ses projets, le Centre Pompidou s’adapte au contexte : à Metz ou à Massy, la notion d'ancrage territorial est essentielle. Ce n'est pas le Centre Pompidou qui « arrive » et impose sa vision ; il s’agit de trouver comment le territoire s’approprie et fait sien le musée, et non ce que le public parisien aimerait voir à Metz ou à Massy ! Les actions visant à toucher tous les publics, même ceux éloignés de la culture, participent à favoriser cet ancrage. À l’international, ces partenariats reposent sur l’accueil d’une exposition ou sur des collaborations de longue durée, comme le Centre Pompidou x West Bund Museum à Shanghaï ou le Centre Pompidou Málaga.
Le Centre Pompidou francilien permet-il aussi de décloisonner le Centre Pompidou ?
Oui, en effet. Tout l’enjeu était de trouver un lieu en dehors de Paris, mais à proximité suffisante pour faciliter les transferts d’œuvres depuis le Centre Pompidou du 4e arrondissement. La volonté est d’en faire un lieu d’échanges avec ses abords directs à Massy, à la dynamique culturelle déjà forte – la ville dispose d’un conservatoire et de son propre opéra –, tout en revêtant une dimension internationale. Des visites de chantier et des événements de préfiguration ont d’ailleurs été déjà organisés en ce sens avec les habitants.
Au Centre Pompidou, comme dans la plupart des grands musées, moins de 10 % des collections sont exposées (donc 90% stockées) : il est fondamental de faire vivre et de valoriser ces réserves et le savoir-faire qui y est associé. Les 150 000 œuvres de la collection vont être réunies dans un même lieu –jusqu’à présent, les grands formats, un certain nombre de sculptures et de 3D, par exemple, étaient stockés ailleurs qu’au Centre Pompidou –, de façon permanente, dans des conditions optimales de conservation et de préservation. Cela signifie qu’à l’horizon 2030, plus aucune réserve ne sera sur le site Beaubourg.
Les expositions à Massy proposeront un regard sur la collection du Centre – il n’y aura pas de prêt extérieur – et les nouvelles acquisitions qui l’enrichissent. Nous avons d’ailleurs pris en considération pour ce projet, l'accroissement des collections sur les 25 prochaines années.
Beaucoup connaissent davantage l’architecture du Centre Pompidou que ses collections. Comment valoriser au mieux les collections auprès du public ?
C'est un tout, en effet, d'avoir ce bâtiment central dans Paris, très fort architecturalement, qui plaît ou qui ne plaît pas, mais suscite des réactions, et qui participe à l'attractivité du quartier. Beaucoup de galeries sont venues s'installer dans le quartier Beaubourg après l’arrivée du Centre Pompidou en 1977. L’ouverture en 2021 de la Pinault Collection, à la Bourse de Commerce, et en novembre 2025 de la Fondation Cartier pour l’art contemporain, au Palais-Royal, participe aussi au dynamisme du quartier au sens large.
Cette architecture iconique, associée à une collection unique, confère au lieu le symbole de modernité culturelle. Pour toucher tous les publics, il est fondamental de croiser les programmations. Récemment, l’exposition « Suzanne Valadon » a attiré un public peut-être plus habitué au Musée d‘Orsay, qui aurait pu penser que le Centre Pompidou n’était pas pour lui, le jugeant trop « moderne ». Et inversement, l’exposition de clôture avec l’œuvre de Wolfgang Tillmans, résolument contemporaine, a su attirer un public large.
Dans le projet 2030, nous développons un pôle nouvelle génération pour les familles, les scolaires, les enfants, les adolescents. Un ado n'a pas forcément envie d'aller voir les expositions mais à force de côtoyer le lieu, pour quelque raison que ce soit, il crée un attachement et y retourne naturellement, pour peut-être pousser l’expérience plus loin par la suite.
Le Centre Pompidou est un lieu vivant, ouvert à tous les publics, un moviment, comme le définissait Francis Ponge.
> En savoir plus sur le Projet Redéploiement Centre Pompidou 2030 ou pour continuer à suivre les programmations du Centre Pompidou
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