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Pr. Benoît Déprez (EMBA 2013), Directeur scientifique de l’Institut Pasteur de Lille : « Le savoir est difficile à quantifier, mais il a une valeur »

Interviews

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10.14.2021

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Pharmacien de formation, Benoît Déprez commence sa carrière de chercheur dans le privé alors qu’il est encore en thèse de chimie. Mû par ses aspirations initiales à la santé humaine, il devient professeur à l’Université de Lille et rejoint l’Institut Pasteur de Lille, dont il est devient par la suite le Directeur scientifique. Il cofonde parallèlement APTEEUS, une start-up dans les biotechnologies qu’il conseille régulièrement. Depuis 2020, il travaille avec ses équipes de l’Institut Pasteur de Lille à l’élaboration d’un traitement contre la Covid-19. Nous sommes notamment revenus avec lui sur le fonctionnement de la recherche en France et en Europe, ainsi que sur la façon dont s’est inscrite sa formation de l’EDHEC Executive MBA dans son parcours. 

 

Comment s’organise le secteur de la recherche scientifique dans la santé ?

La recherche s’exprime et s’exerce dans le secteur public, dans le privé, et en collaboration entre le public et le privé. Il y a donc un continuum de modalités de recherche, de l’amont (en général dans public) à l’aval qui va vers les applications et produits commercialisables (plutôt le privé). Le domaine des start-ups et des biotechnologies joue également un rôle-clé. Il y a par ailleurs des opérateurs de recherche privés à but non-lucratif, comme les fondations. Par exemple, l’Institut Pasteur de Lille est une fondation privée de recherche à but non-lucratif déclarée d’utilité publique.

Comment résumerais-tu ton poste et tes responsabilités actuelles ?

Mes activités se situent à l’université, mais également à l’Institut Pasteur de Lille, dont je suis le Directeur scientifique. J’y dirige une unité mixte de recherche, et j’enseigne à la Faculté de pharmacie de Lille. On ne peut pas dissocier la recherche de l’enseignement. C’est quelque chose qui a d’ailleurs été bien mis en valeur à l’EDHEC, où la recherche porte sur les thématiques phares de l’École. Je suis aussi co-fondateur et actionnaire de la start-up APTEEUS. On peut en effet être professeur des universités et participer au capital d’une entreprise qui provient de la valorisation des travaux de recherche effectués par le chercheur. Ce régime d’exception a été un levier important pour encourager la recherche d’entreprise sur la base d’une recherche académique de très haut niveau dans les laboratoires publics.

Tu es chimiste et pharmacien de formation. Comment fais-tu collaborer toutes les disciplines représentées à l’Institut Pasteur de Lille en qualité de Directeur scientifique ?

Dans les disciplines de la santé, en particulier la recherche thérapeutique, une grande partie des connaissances gravite autour de la biologie. Et la biologie elle-même est une expression de la complexité que la chimie peut atteindre, parce que tout est molécule, y compris la pensée. Comme la physique est une base de la chimie, la chimie est une base de la biologie. Ce qui change, c’est la complexité des objets étudiés. Les principes actifs présents dans nos médicaments sont des molécules chimiques relativement simples dont l’activité pharmacologique provient de leurs interactions multiples avec un environnement très complexe. Des physiciens étudient les objets biologiques, des chimistes conçoivent les molécules, des biologistes les testent pour s’orienter vers un « candidat » médicament. Cette interdisciplinarité peut même aller jusqu’à la transdisciplinarité, qui fait naître des concepts nouveaux – comme la pharmacologie – qui n’existent dans aucune des disciplines fondamentales prises séparément. Ce n’est pas simplement les faire travailler ensemble, et c’est cela qui est extrêmement stimulant. 

Les projets de l’Institut Pasteur de Lille naissent-ils à partir d’un besoin particulier ou de l’évolution prédictive des maladies ?

Dans la chaine de valeur du médicament, le client final est très spécial car il a trois « cerveaux » différents : le patient, le médecin et le payeur. En France, le payeur est la Sécurité sociale voire une mutuelle, le médecin est celui qui décide d’utiliser un produit de santé, et le patient est celui qui l’utilise réellement et qui profite de ses effets sans forcément le payer. L’Institut Pasteur de Lille s’intéresse au besoin formulé par la communauté médicale, et travaille en pull, en se demandant comment répondre au besoin d’un médecin. Un besoin médical pour traiter la Covid-19 est par exemple né brutalement. Nous avons estimé pouvoir trouver un antiviral et nous nous sommes mis en ordre de marche rapidement. C’est un cas très rare, car le besoin médical évolue graduellement et de manière anticipable, notamment dans maladies comme le cancer et la maladie d’Alzheimer (liés à l’allongement de la durée de la vie), le diabète et les maladies cardiovasculaires (liés au mode de vie), ou les maladies infectieuses (liées notamment à l’apparition de résistances des bactéries aux antibiotiques).

Un autre pan de la recherche se fait en push, à partir de ce que les chercheurs observent. Ce qui motive les chercheurs, c’est de découvrir, décrire le monde plus précisément, et comprendre comment une cellule réagit à un environnement. Certains sont plus à l’aise pour décrire et identifier une application fortuite, et d’autres préfèrent savoir tout de suite ce qu’ils doivent chercher et leur objectif final. 

As-tu un quota de projets à respecter ? Les projets ont-ils une date limite ?

Quand on travaille en push – en décrivant de mieux en mieux un organisme ou une cellule –, l’horizon recule au fur et à mesure que l’on avance. Il n’y a donc pas vraiment de limite. Le financement de la recherche tend seulement à imposer un rythme et un calendrier puisque la recherche se fait désormais essentiellement sur des appels d’offres. On travaille en grande majorité en « mode projet », avec un objectif, des jalons, et un calendrier par rapport au budget alloué. Une institution de recherche est finalement une mosaïque de projets. Son activité se quantifie très bien à l’international par discipline et par pays, en fonction du nombre d’articles publiés (et de la qualité des journaux), du nombre de citations… En tant que Directeur scientifique d’une institution, il est devenu nécessaire de promouvoir une recherche qui aboutisse à des métriques honorables. Cela permet de satisfaire les parties prenantes, comme les ministères qui accordent des subventions. Il reste important de permettre aussi une recherche plus exploratoire et risquée, qui fondera peut être les bases d’une découverte importante.

Être chercheur aujourd’hui, c’est donc aussi savoir se vendre et promouvoir des projets, surtout avec la concurrence internationale dont tu parlais ?

Tout à fait, c’est un métier qui inclut tous ces aspects, souvent appris sur le tas. Le PhD est la porte d’entrée vers le monde des chercheurs, mais on ne vérifie pas trop les qualités d’organisation et de personal branding, la capacité à exploiter un environnement au mieux, le travail en équipe, la gestion de projet, la capacité décisionnelle de savoir quand il faut tuer un projet ou au contraire être opiniâtre. C’est un management d’individus et d’équipes parce les projets mono-personnels n’existent plus, du moins dans le monde de la santé.

Est-ce pour avoir une autre vision de la gestion de projet que tu as voulu rejoindre l’Executive MBA de l’EDHEC ?

La base était effectivement d’acquérir ces réflexes et outils de management, mais pas forcément pour diriger une institution. Comme cofondateur d’APTEEUS, je pouvais aussi avoir un regard plus juste sur une activité d’entreprise, de la lecture d’un compte de résultat à la structuration d’un besoin de financement. J’ai beaucoup apprécié les cours de stratégie, la façon de « penser » un projet. Ce sont des choses nécessaires, qui ne sont pas enseignées dans une faculté de sciences. L’EMBA est aussi une parenthèse que l’on se crée dans son activité professionnelle, pour ouvrir son esprit à autre chose.

Quelle vision as-tu de ton environnement professionnel depuis l’EDHEC ?

Une université est une structure qui créé du savoir. Le savoir est difficile à quantifier, mais il a une valeur. Je rêve de pouvoir utiliser les outils financiers et comptables pour créer un compte de résultat et un bilan dont les composantes seraient adaptées à l’activité du savoir, car les institutions peuvent être aujourd’hui assimilées à des entreprises. J’ai lancé cette dynamique à l’Institut Pasteur de Lille pour mieux gérer les projets de recherche. C’est exactement comme de la valorisation de l’innovation, cela peut se quantifier dès le début d’un projet de recherche, surtout en version pull. Un projet pourrait posséder une valeur marchande, actualisée en fonction du risque d’atteindre ou non son objectif, ainsi que de l’investissement restant. Cela permettrait à des managers de mieux travailler dans une institution de recherche.

APTEEUS peut-il être considérée comme une sorte de vitrine pour crédibiliser encore davantage l’innovation et la gestion de projet à l’Institut Pasteur de Lille ?

L’existence de l’entreprise prouve que l’on peut valoriser la recherche. APTEEUS s’intéresse au besoin médical des maladies rares, qui souffrent d’une grande difficulté de financement. Les investisseurs n’imaginent pas faire de profit lorsqu’un médicament est créé pour 50 personnes en Europe. La population existante n’est souvent pas suffisante pour réaliser des statistiques correctes et des essais cliniques. On ne peut pas prouver par la méthode habituelle que le médicament va fonctionner. Il faut se tourner vers des business models innovants qui s’apparentent à l’économie sociale et solidaire. Une des voies viables est de lever des fonds avec des associations de patients pour s’engager dans une recherche de traitement si la maladie peut être abordée par nos technologies.

Il y a différentes temporalités entre le travail de recherche et l’acceptation par l’administration. Comment gère-t-on les différents rythmes ?

Sur une technologie qui répond à un besoin stable, nous intégrons tout à fait ces longueurs. Dans une situation normale, si nous voulons développer un nouvel antibiotique pour traiter la tuberculose, il y a un besoin immense mais pas d’urgence absolue, et nous interagissons régulièrement avec les financeurs et les régulateurs. Pendant la Covid, nous nous sommes heurtés à beaucoup d’interférences scientifiques, politiques et réglementaires. Les essais cliniques sont quant à eux souvent géopolitiques. Il est impensable d’obtenir une autorisation de mise sur le marché aux États-Unis sans avoir fait des essais cliniques sur le territoire américain. Le marché américain est toujours le premier visé par la recherche de technologies de santé en Europe, puisque les prix pratiqués y sont beaucoup plus élevés.

Qu’apportent les projets européens aux progrès de la recherche ?

Je pense que l’Europe est une bénédiction pour les chercheurs. Les financements européens sont plus sélectifs que les financements nationaux car ils représentent plusieurs millions d’euros. La récompense de l’investissement européen est plus difficile à obtenir, mais beaucoup plus importante, sans différence de délai d’obtention par rapport à un dossier national. L’Europe, par le financement de la recherche et de projets collaboratifs, d’échanges d’étudiants et de chercheurs, a aussi un rôle absolument clé dans le maintien de la paix, qui fait partie de la construction européenne. La modalité de financement la plus répandue dans les projets européens est le consortium, dans la mesure où les différents partenaires et pays sont complémentaires. Il existe aussi des financements qui récompensent l’excellence scientifique d’un programme géré par une personne ou une équipe, en attribuant des bourses de recherche.

Tu es associé de la Galerie Bacqueville à Lille et aux Pays-Bas. Vois-tu aussi l’art comme une forme de recherche et d’innovation ?

C’est une fenêtre sur le monde qui m’est totalement indispensable. L’art contemporain et la recherche présentent beaucoup de similitudes dans les risques qu’ils impliquent. Quand on essaye de promouvoir un jeune artiste comme galeriste, c’est un pari sur l’avenir. On augmente la cote d’un artiste en le promouvant et en lui faisant garder sa motivation. Ce n’est pas de la production de savoir, mais d’émotion, et c’est pour cela que j’apprends beaucoup sur mon propre métier de chercheur. C’est aussi une façon de regarder le monde autrement et de fréquenter des personnes à la sensibilité plus accessible que certains chercheurs. 

L’art est témoin de l’évolution du monde, au même titre que la recherche…

L’artiste est de toute façon lui aussi toujours cherchant et chercheur. Il cherche à comprendre, à se comprendre lui-même, à réagir. Certains artistes ont vocation à changer le monde, certains artistes ont simplement vocation à exprimer des sentiments, mais ils laissent tous une trace. L’art peut se nourrir de science, de concepts physiques et mathématiques. Les chercheurs étudient le monde physique, les artistes utilisent ou cherchent des nouvelles représentations du monde physique qui ne font pas appel à la même rationalité, mais le substrat est assez proche.

 

En savoir plus :

Travaux du laboratoire du Pr. Benoît Déprez

Institut Pasteur de Lille

APTEEUS

Galerie Bacqueville


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