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Faïza Younsi (EDHEC Master 2001), journaliste économique sur BFM Business

Interviews

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11.15.2021

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Faïza Younsi s’est très vite éprise d’économie, si bien que le passage par une école de commerce s’imposait presque naturellement. Sa carrière naissante d’auditrice à la sortie de l’EDHEC Business School est devenue peu à peu une vie consacrée à l’information et à l’objectivité. M6, France 24 et France 3, des émissions aux actualités générales, n’ont fait que confirmer ses premières amours. Elle présente les journaux télévisés du soir sur BFM Business – la seule chaîne TV spécialisée dans l’économie – depuis plus de deux ans, et nous explique dans un entretien sa position de témoin privilégié des transformations de l’entreprise, ainsi que la perception des médias en France.

 

Comment résumerais-tu ton poste et tes responsabilités actuelles ?

Je présente les cinq journaux d'actualité de BFM Business de la soirée. Je fais un long travail de recherche d’informations auprès des agences, et en lisant la presse et les dépêches. Je participe aussi chaque jour à une conférence de rédaction avec les reporters et rédacteurs en chef, ce qui nous permet de dessiner l’architecture de mes journaux et de raconter l'actualité économique.

Quelle est la recette d’un journal télévisé réussi ?

Nous essayons déjà ensemble de faire en sorte que tous les sujets incontournables soient bien traités, avec les bonnes sources et les bons intervenants. Il y a aussi des sujets un peu moins « visibles », et que nous traitons pour couvrir tous les pans de l'économie. Nous couvrons également l’actualité des entreprises, comme les levées de fonds, aussi bien pour une start-up qui devient une licorne, que pour des projets à plus petite échelle mais à haut potentiel économique. Par exemple, il y a quelques semaines, nous avons parlé de MaaT Pharma, start-up pionnière dans le milieu du microbiote intestinal. Il n'y a en tout cas jamais de prise de position. Il y aura juste des sujets qui vont nous toucher un peu plus que d'autres, mais ça ne changera pas la manière de les traiter. 

Comment choisis-tu tes sujets ?

En conférence de rédaction, le travail est vraiment collectif. Les reporters ont déjà préparé leur sujet ou le préparent dans la soirée, et sont déjà très pointus dans leur secteur. Je travaille au coup par coup avec ces spécialistes, qui ont forcément du recul sur leur sujet. J'essaye d'en avoir aussi, mais je dois garder une vision extrêmement large. Il y a toujours une frustration de devoir faire le choix et de ne pas pouvoir tout dire, surtout sur les entreprises qui portent des projets inspirants ou positifs. Nous sommes très complémentaires avec l’émission Tech & Co et Le Grand Journal de l’Éco, alors parfois nous nous partageons des sujets. Je connais à l’avance la liste des invités et les sujets traités, et souvent mes journaux font écho à ce qui se passe dans l'émission. Pour les JT, nous traitons d'une soirée sur l'autre les reportages importants, et nous ventilons d'un journal à l'autre les informations moins incontournables. Nous préparons toujours plusieurs reportages d'avance, même si nous n'avons parfois pas le temps de les intégrer. L’œuvre Girl With Balloon de Banksy (NDLR, un street-artist), dont le prix initial a flambé une fois autodétruite, est le genre d'informations sympathiques à la fin d'un journal, après avoir parlé de sujets plus graves. C'est aussi amusant de constater que le marché de l'art a sa propre logique.

Quel public BFM Business cible-t-elle ?

Ce que j'aime justement dans nos JT, c'est que nous parlons à tout le monde : aux personnes qui sont complètement impliquées dans l'économie – patrons, dirigeants ou experts – et à celles qui s'y intéressent, qui veulent investir, ou qui ont seulement envie d'avoir un prisme sur l'actualité, qui soit différent de l'actualité générale. À travers l'actualité économique, on parle de beaucoup de choses, et de la société qui change. Tout le monde s'intéresse d'une manière ou d'une autre à l'économie. Les particularités d'un journaliste économique, c'est de pouvoir faire ce grand écart entre susciter suffisamment l’intérêt de la personne déjà bien informée, et ne pas perdre de vue la personne qui s’y intéresse « seulement ».

Quel est donc le ton à trouver ?

Il faut vulgariser, tout en ayant quand même un cœur de cible très impliqué dans le monde économique. En même temps, je dirais que les gens qui s'intéressent à l'économie ont une bonne culture générale du monde économique. Les sujets un peu pointus nous demandent un plus grand travail de recherche pour en parler correctement. Sur les journaux, sur un reportage ou une brève, il ne faut ni tomber dans le jargon de spécialiste ni être trop simpliste, parce que ça n'intéresserait plus personne. Et finalement, une personne intéressée se renseignera par ailleurs. Je ne viens pas du tout d'un milieu familier avec le monde de l'entreprise. J'adorais l’économie, d’où ma volonté de faire ces études-là. Ce serait dommage de mettre de côté toutes les personnes qui s'y intéressent et que nous pourrions amener à ça. 

Le traitement de l'information économique peut-il faire prendre conscience aux entreprises des transformations qu'elles doivent entamer ?

Oui, complètement. Nous parlons régulièrement des secteurs automobile et pharmaceutique, qui sont en train de changer très vite. Je pense que quand on travaille dans ces secteurs-là et qu’on voit ce que les autres sont en train de faire, on se dit qu’on a un intérêt à le faire aussi. Dans les JT, nous ne nous contentons pas de parler des parts de marché des acteurs automobiles, nous parlons aussi notamment des investissements dans l’électrification. Ces acteurs peuvent ainsi avoir un benchmark énorme, connaître les orientations d'un secteur. C’est comme le Bitcoin, un phénomène qui prend de l'ampleur et qui est suffisamment fort aujourd'hui pour que toutes les monnaies du monde essaient de se dématérialiser. L’économie parle du monde et de la société dont on veut. Ces sujets permettent aussi d’avoir de la visibilité sur ce qui s'est passé en un an et demi de Covid, à travers les yeux d’un observateur non-acteur. Je suis impressionnée en tant que journaliste de voir les écarts se creuser à une vitesse vertigineuse entre les entreprises, quelle que soit leur taille. Certaines tirent leur épingle du jeu et réussissent à se métamorphoser, et d'autres n’y arrivent pas. Ce n’est pas qu’une question d'argent : il y a aussi de la survie et de l'agilité, du recrutement, de l'innovation. L'industrie automobile a été obligée de faire en un an ce qu'elle était censée faire en dix, sur le développement de l’électrique et de l’hybride. Regardez avec quelle rapidité on a réussi à avoir des vaccins et à les mettre sur le marché. Tout s'est accéléré, les transitions prévues se sont faites par la force des choses.

Malgré sa notoriété, BFM Business doit-elle toujours défendre le fait qu’elle diffuse de l’information sûre ?

Travailler sur l'économie, quelque part nous protège, et justement ça nous retire de tout un tas de débats parce que les cibles vont être les entreprises. BFM Business a une identité business, et donc un public très fidèle depuis les débuts quand BFM était seulement une radio. Il est facile pour nous de défendre notre identité, notre patrimoine et nos valeurs. Qu'on soit d'accord ou non avec ce qu'il se passe, on peut toujours en discuter. Ca nous arrive d’être critiqués sur les réseaux sociaux par des gens qui considèrent que ce n'est pas de la « vraie » information. C'est assez rare, mais il y a de toute façon une défiance vis-à-vis de l'information, quelle qu'elle soit. Nous sommes objectifs, il n'y a pas tellement de débat dessus. Les médias, d'une manière générale, ne devraient pas affirmer ou défendre quoi que ce soit. Il y a toujours un angle éditorial, en revanche. Dans Le Figaro, on ne va pas traiter l'information de la même manière que dans L'Humanité, mais ça restera quand même du journalisme. Quasiment tous les médias ont des cellules de fact-checking pour démentir les accusations, mais même avec ça, quelqu'un qui n'a pas envie de croire aux médias mainstream n'y croira pas et ira s'informer sur d'autres sites internet où les gens ne sont effectivement pas journalistes. C'est d'autant plus dangereux que je ne suis pas sûre qu'il soit possible d'avoir un dialogue. On m’a déjà dit : « Vous, les journalistes, vous ne nous dites pas toujours tout ». Pourquoi cacherions-nous l'information ? Quand bien même nous la cacherions, d'autres en parleraient.

J'ai l'impression que dans la fabrique de l'information, il y a vraiment un fossé avec le grand public. Les gens ne savent pas tous forcément ce qu’une carte de presse implique, et la manière dont nous traitons l'information. Nous donnons une information à partir de sources sûres, ce n'est pas une idée ou une opinion. Sur certains sujets, il peut y avoir effectivement des débats d’idées, mais c'est autre chose, ce n'est pas de l'information. Ceux qui veulent s'informer s'informent peut-être aujourd’hui différemment, ou se méfient tellement des médias qu’ils ne veulent même pas savoir comment on prépare des journaux. Et quand on est attaqué sur Twitter, il est difficile d’essayer de convaincre, de discuter ou d’amener une réflexion en 280 signes. Répondre peut avoir pour effet d’attiser la haine, certains points de vue sont irréconciliables.


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