Etre coopté par Internet, le dernier must du recrutement
Pas à pas, Internet s'insinue dans tous les segments du marché du recrutement. Le 19 octobre, deux sites spécialisés sont apparus sur le Web : Cooptin et Jobmeeters. L'un comme l'autre partent d'une idée simple : plus de 40 % des embauches de cadres s'effectuent par relations personnelles. Il s'agit donc de jouer sur la capacité d'Internet à démultiplier et accélérer la circulation de l'information au sein de ces réseaux. Et de vendre le concept aux recruteurs submergés par le flot de candidatures obtenues sur les sites d'offres d'emplois. L'avantage, selon les promoteurs de ces sites de cooptation, est double : premièrement, il permet au recruteur d'élargir sa recherche aux candidats passifs, qui ne consultent pas forcément les annonces, mais dont un ami, une relation, pense qu'ils pourraient être intéressés par le poste offert ; deuxièmement, les coopteurs effectuent spontanément un tri des candidatures qui remontent au recruteur, afin de "mettre en valeur" leur réseau.
Cooptin, lancé par le site d'offres d'emplois Keljob, propose ainsi au recruteur de diffuser une annonce (au prix unitaire de 950 euros) à un cercle de coopteurs qu'il aura préalablement sélectionnés sur la base de leur curriculum vitae (CV) parmi tous ceux qui s'inscrivent gratuitement sur le site Cooptin pour offrir leurs services (ils étaient 1 200 à la fin octobre). Chaque coopteur doit ensuite diffuser l'offre, et reçoit une prime de 150 euros sous forme de chèque-cadeau si l'un des candidats qu'il présente est embauché. Cooptin fonctionne soit en libre-service, soit en location de sa plate-forme logicielle (10 000 euros par an) aux couleurs de l'entreprise.
Jobmeeters, créé par quatre spécialistes du recrutement par Internet, fonctionne différemment : les annonces payées par le recruteur (à un tarif négocié) sont rendues publiques sur le site, et tout internaute peut s'y inscrire gratuitement comme coopteur en s'engageant à diffuser l'offre et à faire remonter les candidatures auprès du recruteur. Celui-ci verse au coopteur une prime de 150 euros minimum en cas d'embauche d'une des personnes présentées.
Autre circuit également en vogue : la multiplication des blogs (sites personnels) lancés par des candidats à l'embauche.
En théorie, un usage massif de ces outils pourrait permettre à une entreprise de se passer des coûteux services des cabinets de recrutement : les coopteurs font à la fois office de chasseurs de têtes et de sélectionneurs ; les blogs permettent de rentrer directement en relation avec un candidat dont le futur employeur est déjà censé avoir perçu les qualités et les défauts.
Mais l'exercice paraît avoir quelques limites. "La cooptation via les relations personnelles, les anciens élèves de grandes écoles ou les réseaux professionnels, a toujours existé, observe Maryvonne Labeille, directrice du cabinet de recrutement qui porte son nom et vice-présidente du Syntec Recrutement, le syndicat professionnel du secteur. Il est normal que ces réseaux utilisent à leur tour Internet. La vraie question est de savoir si cela va accroître leur part dans le recrutement total : il faut du temps pour surfer sur les blogs et éplucher les CV, aussi cooptés soient-ils." Par ailleurs, les cabinets de recrutement jouent eux-mêmes depuis longtemps de ces réseaux, et récompensent les "coopteurs" (souvent d'anciens candidats désormais en poste) par des cadeaux. Cyril Janin, directeur de Keljob, observe d'ailleurs que le tiers de l'assistance, lors du lancement de Cooptin, étaient des cabinets. "La sélection ultime continuera d'être déléguée par les recruteurs à des professionnels des techniques d'entretien, tout simplement parce qu'ils n'ont pas le temps de le faire eux-mêmes, estime Mme Labeille. Or, il faut rencontrer les candidats pour ne pas se tromper. Dans quatre missions sur cinq, la personne embauchée ne correspond pas au profil initialement demandé."
M. Janin, bon prince, partage cette opinion. Il rappelle qu'un blog de candidature est une arme à double tranchant. Tout d'abord, il n'apporte qu'une information biaisée au recruteur. Ensuite, celui-ci n'ira consulter un tel site qu'à l'issue du processus de sélection, pour en savoir "un peu plus" sur un candidat. Et là, attention aux surprises. "Les créateurs de blogs oublient la plupart du temps de faire évoluer leur "oeuvre"". Or, on ne s'adresse pas de la même façon à la bande de ses copains et à une entreprise !" Les traces de ses vies antérieures ne sont pas toujours bonnes à laisser dans la grande mémoire du Web ...
Antoine Reverchon Article paru dans l'édition du 01.11.05 Le Monde

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