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Jean-David Schwartz : « La culture de l'entreprise, ce ne sont pas juste de grandes idées, ce sont aussi des outils qui la servent »

Interviews

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20/09/2022

En début d’année 2022, Jean-David Schwartz (EDHEC Master 1997) a pris les rênes de la marque Yves Rocher. (ndlr: il a depuis été promu Directeur Général du Groupe Rocher). L’entreprise de cosmétiques, forte de 6000 salariés, a pris depuis de nombreuses années un virage écologique majeur, dont ce nouveau Directeur général monde décrit les grandes lignes et les chantiers futurs. 

Peux-tu nous décrire en quelques mots ton poste actuel et tes responsabilités ?

Je suis Directeur général de la marque Yves Rocher au niveau mondial, depuis janvier 2022. J’ai la responsabilité d’établir la stratégie de la marque à moyen et long-terme, de construire des équipes qui alimentent, animent, enrichissent et mettent en œuvre cette stratégie. Je suis aussi membre aussi du comité exécutif du Groupe Rocher, dont fait partie la marque Yves Rocher et dont je suis aussi Directeur général adjoint. À ce titre, avec mes pairs, je participe à la stratégie du Groupe pour le compte des différentes marques, et je fais en sorte que la culture du Groupe se propage et s’entretienne avec une valeur d’exemplarité.

Le secteur des cosmétiques offre toujours à apprendre, vis-à-vis du consommateur ou de la société…

Oui, c’est un secteur en perpétuel mouvement car la promesse beauté a les attributs du rêve, de la modernité et de la désirabilité, qu’il faut évidemment nourrir en disant, faisant, communiquant. Ce qui était désirable il y a 20 ans ne l’est plus forcément aujourd’hui. Notre industrie a toujours eu dans son ADN un besoin de modernité, inhérent aux types de produits. On remarque globalement que le besoin et le désir de beauté naissent de plus en plus tôt, entre 14 et 16 ans. Ce sont des générations nouvelles, par nature avec de nouvelles attentes et de nouveaux profils. Le jeu consiste à la fois à courir après cela et à le devancer. Yves Rocher, marque généraliste – ce qui est assez peu commun dans notre secteur –, accompagne finalement sa clientèle tout au long de sa vie, où les besoins et tendances évoluent, au-delà de la beauté en général.

Ce profil beauté naissant à l’adolescence, provient-il d’une synthèse par les consommateurs entre l’ensemble des marques, ou d’un élan plus personnel ?

Il est certain qu’aujourd’hui, les jeunes sont très façonnés par leur environnement et les insights qu’ils reçoivent en grande partie des réseaux sociaux. Ils sont en interaction – en exposition, même – avec une beauté devenue mondiale, même si tout le monde ne suit pas nécessairement la dernière tendance de tel ou tel pays. C’est le média qui façonne aujourd’hui principalement leur vision de la beauté. Une autre composante importante pour nous, c’est le type de besoin ou de beauté, pas uniquement chez les jeunes. En fonction de chacun d’eux, nous dressons des personas, pour faire correspondre l’ADN de chaque marque à une ou plusieurs communautés. Les start-ups qui démarrent occupent en général une niche. De grandes entreprises comme Yves Rocher s’adressent à un public beaucoup plus large, donc les profils le sont tout autant. Chacun est propriétaire d’un territoire qu’il cherche à développer.

Les marques de cosmétiques ont-elles toutes pour point commun une forte identité de marque et une recherche et développement innovante ?

Oui, c’est un vrai équilibre à trouver. Aucune entreprise n’est capable d’innover sur tous les plans et d’être première sur tous les critères. Chacune tire son épingle du jeu sur certains domaines. L’innovation passe d’abord par des paris sur un actif cosmétique, une technologie ou sur un emballage. Ensuite, il y a le marketing, le positionnement et l’image de marque, c’est-à-dire ce qu’on véhicule et la façon dont on vend. Dans tous les cas, l’innovation doit répondre aux attentes des consommateurs et les premiers critères d’achat des cosmétiques. Ils peuvent concerner l’expertise et l’utilisation (efficacité du produit), mais aussi l’émotion (attachement et identification à la marque). Ce ne peut donc pas être seulement rationnel. Un critère supplémentaire est une révolution depuis quelques années : la responsabilité sociétale et environnementale. Notre activité a une forte empreinte, entre le sourcing, l’énergie, le transport, la consommation d’eau. Et il y a actuellement un mouvement puissant et profond, relativement rapide, pour faire sa part et répondre aux attentes des consommateurs. La réglementation a par ailleurs évolué. La loi AGEC, qui interdit le plastique à usage unique, nous a par exemple beaucoup poussés ces derniers temps.

En considérant le côté « non-essentiel » des cosmétiques, comment faire en sorte qu’ils soient un fer de lance en matière de réflexion sur la durabilité ?

Tout le monde a son échelle de valeur sur la notion d’ « essentiel » ou de « non-essentiel ». Le besoin de beauté est millénaire, l’histoire de l’humanité parle de la beauté et de soin, avec cette gradation de soin basique à quelque chose de plus aspirationnel. Au vu du contexte récent, notre industrie est mise au défi sur ses bases, mais le besoin est là, quoi qu’il arrive. Le marché de la beauté ne s’est d’ailleurs pas effondré, il est juste en léger recul en Europe de l’Ouest depuis la fin des années 2000, pour la toute première fois. Cette « déconsommation » correspond à un désir de revenir à l’essentiel, justement. La marque Yves Rocher ne s’est pas réveillée il y a 5 ans en se disant qu’il fallait mettre l’accélérateur sur la RSE. Le rapport à la nature a toujours été inscrit très fortement dans nos valeurs, avec une conscience et des engagements. Le Groupe Rocher a d’ailleurs été le premier groupe international à devenir entreprise à mission, en 2019. Maintenant, il faut continuer à l’être.

Quels sont les changements concrets pour Yves Rocher du fait de ce statut d’entreprise à mission ?

Cela nous a poussés à accélérer la naturalité des formules, l’agroécologie, les champs bio. Nous restons une entreprise de grande consommation, donc nous devons aller vers une consommation toujours plus responsable en réduisant l’intensité promotionnelle par exemple. Pour baisser notre empreinte écologique, nous avons aussi un rôle de sensibilisation de nos consommateurs. L’objectif n’est pas d’être parfait tout de suite, mais nous ne pouvons pas avoir d’énormes trous dans la raquette. Cela peut nous inciter à renoncer à certains produits que nous ne pourrions pas améliorer pour des raisons techniques.

Ceux qui découvrent notre marque à La Gacilly, notre terre d’origine, en Bretagne, où nous avons développé tout un écosystème, nous disent souvent qu’il faut absolument communiquer là-dessus. Nous sommes assez low profile. Ce n’est pas une question d’être vertueux, mais authentiques dans les messages. Nous nous refusons à parler de neutralité carbone. Nous parlons plutôt de bas carbone, de réduction de nos émissions. D’autres font des raccourcis parce qu’ils plantent des arbres. Nous avons planté 135 millions d’arbres en 25 ans, donc si nous faisions le même calcul par rapport aux émissions, nous serions neutres  depuis des années. De même, dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat, nous projetons une diminution de nos émissions carbone en valeur absolue, alors qu’une grande majorité raisonne en termes de diminution des émissions carbone à l’unité produite vendue, ce qui ne touche pas leur croissance.

Les consommateurs sont-ils prêts à faire des concessions sur les produits dans une optique plus éthique et responsable ?

C’est une question très stratégique, à laquelle toute l’industrie est confrontée. Le pourcentage de naturalité des formules est un atout pour la marque Yves Rocher. Aujourd’hui, nos nouvelles formules sont entre 95% et 98% naturelles, ce qui n’était pas le cas il y a 40 ans. Les métiers passionnants de la R&D présentent le défi majeur d’établir une formule à la fois naturelle, sensorielle, expérientielle, avec le toucher et la galénique. Le consommateur veut tout, et c’est normal : naturalité, sensorialité, sécurité et performance. C’est notre responsabilité de développer des formules qui répondent à ces demandes. Chaque entreprise va pousser les curseurs plus ou moins loin. La marque Yves Rocher est très axée naturalité, donc essaye de pousser ce curseur au maximum. Cela ne veut pas dire que nous ne travaillons pas les autres !

La hausse du prix des matières premières peut-elle compromettre le développement de produits plus responsables ?

Oui, et l’inflation en général. Nous sommes très exposés à la hausse du coût du pétrole et des matières premières agricoles. Le marché est mondial, le mécanisme d’offre et de demande fait augmenter les prix très vite. On ne peut pas changer les formulations de nos produits du jour au lendemain juste parce que le coût des matières premières a augmenté. C’est donc le coût qui augmente. Si c’est pérenne, on peut imaginer des arbitrages, mais pas sur des engagements profonds comme la réduction carbone. Il y a deux ans, nous avons passé l’entièreté de nos flacons à 100% de matière recyclée recyclable, donc sans plastique vierge. Ce sont des coûts importants pour la marque, rendus encore plus élevés avec l’inflation des matières, mais nous avons fait le choix de rester tels quels. Nous ne nous voulions pas nous contenter de 80% recyclé recyclable, pourtant toujours supérieur aux pratiques du secteur. Mais il faut aussi rester réaliste. Le panier du consommateur n’est pas extensible, nous cherchons à rester le plus accessible possible pour lui. Le développement durable n’est jamais blanc et noir. C’est toujours une conjonction entre l’économique, le social et l’environnemental.

L’éco-hôtel Spa La Grée des Landes et la Fondation Yves Rocher sont-ils aussi des moyens pour éduquer le consommateur à l’art de vivre lié au produit plutôt qu’au produit lui-même ? 

Tout à fait. Nous avons l’ambition stratégique de développer des offres expérientielles et des services, en complément ou substitution de nos produits. Le premier objectif est d’avoir une façon différente d’entrer dans la marque, avec une perception et une expérience distinctes. Ensuite, c’est d’avoir une empreinte environnementale plus faible. L’écosystème durable de La Gacilly, où se trouvent l’éco-hôtel spa, un restaurant locavore et un jardin botanique, est un atout incroyable. Avec le projet « Gacillyze the world », nous avons l’idée d’essaimer cet écosystème partout dans le monde. La biodiversité est un engagement majeur et historique de la part de la marque Yves Rocher, que nous allons poursuivre intensément ces prochaines années avec la partie mécénat de la Fondation, mais aussi au sein du business model de la marque. Quand nous plantons des arbres, ce sont aussi des haies en Bretagne et la lutte contre le démembrement. La façon dont nous cultivons et cueillons nos matières premières fait aussi toute la différence. Quand nous ouvrons une boutique dans un nouveau centre commercial, nous artificialisons un sol, c’est une responsabilité. Réchauffement climatique et biodiversité sont liés, ce sont les deux batailles mères de l’humanité. Au tour aussi des établissements d’enseignement supérieur de se mettre à la page pour que les candidats veuillent les rejoindre pour un savoir-faire avéré sur la responsabilité et la soutenabilité.

En tant que leader de la marque Yves Rocher, comment fédères-tu les collaborateurs autour du projet ?

C’est un chemin, parce qu’une culture ne se crée pas comme ça, d’autant que celle de la marque a 60 ans, et je n’en suis donc pas l’unique dépositaire ! Je fais confiance à l’intelligence collective, je sais que je ne peux pas avoir toutes les réponses seul. Si les salariés reçoivent de la confiance, ils seront responsabilisés et prendront les bonnes décisions. La bienveillance, l’empathie et la gentillesse sont des mots qui peuvent faire peur ou paraître galvaudés, mais je les assume ! Ce sont des valeurs modernes quand elles vont de pair avec le sens des responsabilités et l’exigence. Pour l’année prochaine, nous avons un projet sur le même principe que la Convention citoyenne pour le climat. Le gouvernement avait sélectionné des personnes qui ne s’y connaissaient pas forcément en changement climatique, et avait fait le pari qu’elles trouvent ensemble des solutions. Les experts sont unanimes sur le fait que les propositions ont visé juste. Nous demanderons donc à nos collaborateurs ce que sera la marque en 2030, en mobilisant 10 à 15% des équipes. Cet exemple illustre concrètement cette confiance au-delà des discours « tarte à la crème ». La culture de l'entreprise, ce ne sont pas juste de grandes idées, ce sont aussi des outils qui la servent.


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