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Rencontre avec Guillaume Lagarde (Programme Dirigeant 2022), commandant de la base aérienne de Tours

Interviews

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21/04/2024

Bientôt à mi-mandat du commandement de la base aérienne de Tours et Cinq-Mars-la-Pile (opérant, depuis l’Indre-et-Loire, le contrôle militaire du ciel dans la partie Nord de la France) et de la base de défense de Tours, Guillaume Lagarde a intégré le Programme Dirigeant (Advanced Management Programme, AMP 2022) sur le campus EDHEC de Paris, dans le sillage de deux décennies de carrière dans les Armées. Et si les entreprises de la société civile et les institutions militaires pouvaient apprendre mutuellement en matière de leadership ?

Comment résumerais-tu ton poste et tes responsabilités actuelles ? 

Je commande la base aérienne 705 – site « François et Jean Tulasne » à Tours Nord (1500 personnes), et site du camp « Mailloux » (500 personnes) à Cinq-Mars-la-Pile – et la base de défense de Tours (4000 personnes) qui l’englobe. J’ai une lettre de commandement, avec un volet plutôt classique, qui me demande d’exécuter des missions permanentes et de maîtriser les activités, et un volet plus spécifique, lié au territoire et à la conjoncture, comme veiller à la montée en puissance des organismes interarmées, avec 500 personnes qui nous rejoignent cet été dans le cadre du chantier ministériel de déconcentration. Je consacre un temps important aux arbitrages financiers, que je coordonne avec les autres commandants de formation administrative. Mon rôle est d’être décisif au-delà de la gestion des affaires courantes, dans la conduite de projets autonomes : faisabilité, conception et mise en œuvre, pour que l’une ou l’autre base s’intègre dans le paysage local, souvent en lien avec le département d’Indre-et-Loire. Un des enjeux actuels de ce poste est de réussir à mener à bien en 2 ans – durée du mandat – des projets qui se montent généralement plutôt en 6. Ou alors, d’essayer à 2 ans et 6 mois pour que la personne qui me succède puisse les achever. Je n'ai souvent pas de calendrier imposé par un plan ministériel, ce qui me permet d'être plus agile. J'ai justement développé des partenariats militaire / civil, public / privé, en me positionnant dans la continuité de mon prédécesseur. Je reste intimement convaincu que cette démarche est clé pour avancer vite et bien. En allant chercher des experts, nous trouvons un terrain d'entente intelligent tout en gagnant beaucoup de temps, une contrainte centrale dans mon travail. 

La base aérienne et la base de défense forment un ensemble assimilable à une petite ville. Ton rôle est-il comparable à celui d’un maire ?

C'est d’abord un rôle de directeur d'établissement, mais il est vrai qu’en tant que deuxième employeur du département (après le CHRU), l’ensemble des deux bases s’apparente à une petite ville, donc nous entretenons des liens étroits avec les autorités civiles, militaires et économiques, et représentons un pôle d’attractivité en termes de dépenses. Cette année, nous aurons investi plus que la ville de Tours ! Comme les collectivités, je dois traiter de transports et de mobilités douces. Un opérateur privé de trottinettes vient de se lancer dans notre zone de Tours Nord, un autre est sur le marché des vélos en libre-service. Il faut réussir à les intégrer pour les relier au tram, dont le terminus est actuellement à 30 minutes de marche. Et puis, les réalités du quotidien (garde d’enfants, inscription à l’école, recherche de médecin traitant...), déjà compliquées pour le commun des mortels, le sont encore plus quand on est muté régulièrement, environ tous les 3 ans pour les cadres des Armées. Une de mes missions consiste ainsi à rendre le travail le plus agréable possible pour toutes les personnes. La motivation et l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle doivent se traduire par des éléments concrets, comme des crèches. 

Comment est constituée ton équipe ?

Je m'appuie sur une équipe de 6 personnes. J'ai un adjoint pour chaque base, et je suis l'échelon de synthèse, puisqu’un sujet peut concerner les deux bases. Parmi les autres cadres à mes côtés, l’un s'occupe de l'infrastructure, des télécommunications, de la finance, des mobilités, du développement durable. Un second s’occupe plutôt du volet sécuritaire et opérationnel. Le chef de cabinet travaille entre autres sur la communication et les partenariats. Puis, il y a de nombreuses fonctions support, à l’instar des ressources humaines, sur des sujets plus spécialisés (restauration, par exemple…). Je leur confie des projets reposant essentiellement sur leur périmètre mais porter un projet aujourd'hui en dehors des schémas classiques, en temps restreint, n'est pas nécessairement évident. Je dois donc m'assurer avec eux comme avec le commandant d'unité (chef de service) que je choisis, qu’ils ne perdent pas trop de temps avec les obstacles qu’ils pourraient rencontrer, notamment réglementaires.

Dans le recrutement, donne-t-on autant la chance à l’expérience qu’aux compétences ?

Nous sommes habitués à recruter du personnel en sortie d'études (de la 3e à Bac + 5), avec aucune ou très peu d’expérience. Nos militaires, qui ont pour la plupart connu uniquement l’armée, n’imaginent donc pas naturellement qu’un candidat avec une ou plusieurs expériences significative(s) dans la société civile puisse rejoindre ensuite l’armée. Pourtant, les besoins en recrutement sont importants, et j’encourage à embaucher ces profils, en général très motivés, et qui évitent aussi d'épuiser l'outil de formation. Néanmoins, les armées tiennent compte de l’expérience, en particulier dans les changements de poste chez les plus « anciens » (autour de notre âge médian, 34 ans), et sur les parcours des cadres dirigeants. Pour le niveau sommital, il y a des expériences obligatoires sur certaines thématiques : gestion budgétaire, conduite des opérations… Sur les compétences, nous essayons de maintenir pour la mobilité un principe de filière, pour que ceux qui ont envie de changer de poste aient toujours les compétences pour travailler là où ils voudraient être. Et nous ne savons pas toujours forcément bien répondre à cette attente, puisque nous voulons être certains d’amortir notre investissement, à la fois dans la gestion des deniers publics et dans le temps de formation, qui est un temps où on ne produit pas.

Le programme AMP, à l'EDHEC, t’a permis de théoriser un leadership que tu avais acquis par la pratique à l’armée. Dans le programme Grande École ou BBA, on prend le chemin inverse : d'abord la théorie, puis la pratique du management dans le monde professionnel…

Il est toujours fondamental de connaître, comprendre et s’approprier la théorie, pour ensuite, par l'expérience, en tester les limites. Les apprenants du Parcours Dirigeant sont des cadres expérimentés et des entrepreneurs, auprès de qui j’ai beaucoup appris grâce au partage d'expérience. J’ai constaté, dans les cas pratiques, qu’ils étaient finalement moins préparés à la prise de décision sous contrainte qu’à la prise de décision du quotidien. Chez les militaires, au contraire, la gestion du risque opérationnel commence par la planification. Ce modèle a prouvé son efficacité pour la conduite des opérations, mais peut avoir le défaut de son process, au point de faire parfois oublier l'intention initiale du donneur d’ordre. Quelle que soit la préparation, il y aura toujours une forme d'incertitude. Nous consacrons à cette planification un temps qui me semble parfois un peu excessif. En entreprise, le temps consacré à la gestion de projet est lié à une question de rentabilité, et est à mon sens plus approprié, pas uniquement dans le secteur concurrentiel. Les schémas de pratiques font que nous ne raisonnons pas toujours pareil. Comme nous ne sommes pas confrontés au même quotidien, nous ne développons pas exactement les mêmes qualités.

L’armée évolue-t-elle dans ses pratiques managériales ?

Les transformations, y compris en management, sont le quotidien des armées. Il y a également chez nous une culture très forte du retour d’expérience. Nous nous intéressons surtout à ce qui n'a pas fonctionné, car on ne progresse que sur ses points faibles. Il faut savoir faire son autocritique. Je peux communiquer mon avis personnel au cours d'un entretien de notation annuelle avec l'autorité hiérarchique, ou avoir parfois des échanges plus informels et débattre avec certains généraux. S’il y a effectivement une assez grande ouverture, cela ne veut pas dire que nos recommandations sont nécessairement suivies. Je ne prétends d’ailleurs pas être représentatif d’un commandant de base de l’armée de l’air, n’étant pas issu du corps du personnel navigant et n’ayant pas une carrière fortement opérationnelle. J'arrive néanmoins à trouver ma place dans ce monde, où j'apporte une forme de diversité. Mon rôle est d’essayer de faire progresser rapidement l’institution tout en prenant en compte le cadre qui est le nôtre. C'est un équilibre à trouver pour introduire de la modernité et vivre avec son temps sans trop déstabiliser l’outil de combat qu’est la base aérienne.

Quels sont les moyens pour faire savoir au grand public que les Armées sont le théâtre de telles transformations et d’opportunités professionnelles ? Y a-t-il aussi une responsabilité à « démystifier » l’institution ?

Oui, complètement ! Il y a déjà un travail de vulgarisation à faire auprès des autorités civiles et des collectivités locales, qui nous connaissent de façon inégale. Nous sommes assez bien connus des cadres dirigeants et du monde économique ; beaucoup moins de la population, qui a moins d’occasions de nous rencontrer. À Tours, ce déficit de connaissances s'explique aussi par la proximité géographique avec la ville de Tours, impliquée dans de nombreux sujets avec les communes de la métropole. Nous sommes certes le deuxième employeur du département, mais parmi des milliers d’autres ! Il y a donc un effort de rayonnement à réitérer chaque année, et tout un tas de préjugés à casser au sein de la population pour que ceux qui veulent nous rejoindre sachent réellement qui ils rejoignent. C’était le principe de nos journées job dating, que nous avons organisées début mars. Nous sommes là pour expliquer nos métiers (anciens ou nouveaux), et en particulier ceux auxquels on ne pense pas de prime abord, comme la logistique, le transport, la mécanique, l’hôtellerie, la restauration, l’hébergement ou la communication, en plus bien sûr du pilotage, du contrôle aérien et de la filière espace !

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