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Interview avec Émilie Sidiqian (EDHEC Master 2002), Vice-Présidente exécutive et Directrice générale France de Salesforce, et EDHEC de l’année 2024

Interviews

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19/06/2024

Un diplôme de l’EDHEC, un programme MBA à l’Indian Institute of Management à Bangalore, des mois d’immersion au Consulat de France au Kirghizistan et dans les DOM-TOM, 20 ans de carrière internationale chez Accenture où elle a accompagné des clients du monde entier dans leur transformation numérique : Émilie Sidiqian a toujours tracé sa route hors des sentiers battus. Avide d’apprendre et d’explorer de nouveaux univers, la Franco-Afghane, ex-championne d’échecs junior, saxophoniste férue de jazz, est aujourd’hui à la tête de Salesforce en France. Cette dirigeante passionnée sait entraîner ses équipes et mettre sa grande énergie au service de la réussite de ses clients. Animée par les valeurs d’égalité des chances, convaincue que la performance économique doit s’accompagner d’un impact positif sur la société, elle se bat pour faire de l’intelligence artificielle un levier au service de toutes les entreprises et du bien commun. Rencontre.

Comment est née ton histoire d’amour avec la Tech ?

 La Tech me passionne par sa capacité à transformer profondément l’économie et la société. Depuis plus de 20 ans, j’accompagne les entreprises pour faire du numérique un levier de réinvention et de croissance. Cette expérience m’a donné la chance de comprendre ce qu’on appelle une technologie à usage général : Internet, et désormais l’intelligence artificielle, c’est la même puissance de transformation que la machine à vapeur ou l’électricité au XIXe siècle. Or on ne peut jamais déployer ce type de technologie sans prendre en compte son impact sur l’ensemble de la chaîne de valeur et sans évaluer son acceptabilité sociale. Prenons l’exemple du véhicule électrique : son déploiement massif implique de repenser complètement l’équilibre des réseaux électriques et le stockage de l’électricité, mais aussi de prévoir l’implantation des bornes de recharge en harmonie avec le paysage urbain, de trouver des accords avec les collectivités locales… Travailler dans la Tech a toujours stimulé ma curiosité, poussée à m’intéresser aux nouvelles tendances, et même encouragée à voyager. J'adore mélanger les disciplines et me demander comment l'Histoire, la philosophie et la géopolitique peuvent éclairer les mutations technologiques et économiques que nous vivons.

 Comment vis-tu l’accélération technologique ? 

Comme un challenge, et j’adore être challengée ! J’ai d’ailleurs été à bonne école avec Pierre Nanterme, le président mondial d’Accenture à l’époque où j’y travaillais. D’abord, il m’a appris qu’il fallait agir à la fois en fast thinker et en fast mover. Il m’a également enseigné que si la performance au quotidien n’était jamais négociable, et qu’il était indispensable de se projeter à long terme. C’est une gymnastique exigeante qui vaut pour tous les dirigeants, mais qui se révèle particulièrement pertinente pour la Tech.  

Une entreprise a-t-elle un rôle à jouer pour la société ? 

Sans aucun doute. Aujourd’hui, on ne juge plus les entreprises uniquement sur leurs performances financières. Elles ont des devoirs vis-à-vis de la société et doivent agir sur les sujets qui conditionnent notre avenir collectif. C’est justement l’engagement quasiment militant de Salesforce en faveur du bien commun qui m’a convaincue de rejoindre l’entreprise. Depuis sa création en 1999, elle dédie 1% du chiffre d’affaires, 1% des produits, 1% du temps de travail à des projets d’impact positif. Chacun d’entre nous dispose de 7 jours ouvrés, payés à temps plein, pour rendre à la société ce que nous en avons reçu. En France, nous fournissons gratuitement des licences logicielles à des associations, formons des décrocheurs scolaires en zones rurales, gérons des plateformes de dons et de distribution de repas pour les sans-abris... Chez nous, l’inclusion et la diversité ne sont pas de vains mots. Nous accueillons nos salariés comme ils sont, en nous battant pour l’égalité des chances. Nous aidons à financer les transitions de genre de certains de nos salariés, et le congé dit « maternité » est un congé parental payé 6 mois, quelle que soit la composition du ménage. Nous assumons ces choix qui ne sont pas forcément valorisés dans toutes les entreprises. En fait, nous nous considérons davantage comme un écosystème que comme une entreprise, et nous avons à cœur de contribuer à faire évoluer la société de façon positive. C’est essentiel dans un contexte de montée des antagonismes et du repli sur soi. Nous nous attachons donc à agir concrètement, par exemple en ramenant à l'emploi des personnes qui en sont éloignées, ou en nous investissant comme partenaire de Paris 2024 afin de créer du lien social à travers le sport.

Quel impact a la technologie collaborative de Salesforce sur les organisations ?

La culture Salesforce, c’est que le succès de nos clients est notre succès. Il n’y a aucune distance entre ceux qui développent nos produits et ceux qui les utilisent. Pour nous, la clé, c’est d’écouter nos clients, de leur demander systématiquement leur retour d’expérience. Chacune de nos réunions commence par une séquence « Voice of the Customer ». Nous pratiquons d’ailleurs cette culture du feedback et de l’amélioration continue au plus haut niveau puisque nous sommes invités tous les 3 mois à « hacker » la stratégie de notre fondateur et Président Directeur général, Marc Benioff. C’est grâce à cette démarche de remise en cause et d’apprentissage permanent que nous innovons sans cesse – par exemple en ayant étendu notre suite de solutions au-delà de la stricte gestion de la relation client (CRM).

Quelle créativité l’intelligence artificielle (IA) libère-t-elle ?

L’IA devient le nouveau système nerveux de l’économie et des entreprises. Encore récemment, elle reposait essentiellement sur des modèles statistiques prédictifs et d’automatisation. Nous basculons aujourd’hui dans une logique d’IA générative, qui transforme en profondeur le fonctionnement des entreprises car elle exploite en temps réel toute la richesse des données pour automatiser les tâches chronophages, augmenter l’efficacité des métiers et donner plus de place à la relation client et aux tâches à haute valeur ajoutée. Voici quelques exemples d’application de l’IA sur certains métiers : pour un conseiller financier, analyser l’historique d’un client afin de lui proposer des plans et des objectifs sur mesure ; pour un concessionnaire automobile, collecter des informations à partir des données d’un véhicule et planifier proactivement un rendez-vous de maintenance ; pour un spécialiste du marketing, générer quasi instantanément plus d’un millier de fiches produits ; pour un commercial, proposer automatiquement des réponses conversationnelles avec la tonalité et le style de la marque afin d’augmenter son taux de conversion. Il ne faut pas rater la vague ! L’IA est un outil extraordinaire qui a vocation à devenir, pour chaque salarié, un nouveau collègue qui améliore son impact et élargit son terrain de jeu. Les entreprises doivent saisir l’opportunité de former l’ensemble des salariés aux nouveaux usages de l’IA, de faire monter tous les métiers en compétences et en employabilité, et de faire émerger de nouveaux emplois. C’est la condition pour faire de l’intelligence artificielle un progrès pour les entreprises, pour les salariés, pour la société dans son ensemble.

Y a-t-il des limites éthiques à l’IA ?

Bien sûr. Pour une entreprise comme la nôtre qui accompagne des entreprises BtoB, la stratégie est celle de l’IA de confiance afin d’assurer à 100% la sécurité et la confidentialité des données de nos clients. Cela passe par des solutions comme la détection automatisée de toxicité, le masquage ou la récupération sécurisée des données… Car ces données appartiennent à nos clients et doivent absolument rester chez eux. On le voit : ces solutions techniques concrétisent un positionnement éthique. Et je suis heureuse de souligner que la France est aujourd’hui le pays le plus exigeant en matière d’éthique et de sécurité des données business. La CNIL est devenue notre référence à l’échelle globale de Salesforce : être bon en France, c’est être bon mondialement !

Évidemment, la question éthique de l’IA dépasse le cadre des entreprises et nous concerne chacun en tant que citoyen. La production massive et automatisée de fausses informations constitue une menace redoutable pour la démocratie dans un contexte de polarisation politique et géopolitique. Avec l’IA et les réseaux sociaux, la manipulation des esprits a changé d’échelle. À tous les échelons de la société, on doit s’entraîner à identifier des hallucinations ou à détecter des sources problématiques... Notre meilleure arme, c’est de cultiver l’esprit critique.

Les outils proposés par Salesforce permettent-ils de réduire l’impact carbone de vos clients ?

Chez Salesforce, nous défendons depuis l’origine un modèle de croissance durable. C’est une valeur-clé que nous plaçons au cœur de notre développement. En 2013, nous avons lancé un plan mondial sur 10 ans pour rendre l’ensemble de nos opérations neutre en carbone. Nous avons atteint l’objectif avec deux ans d’avance grâce à l’usage d’énergies 100% renouvelables. Avec les grandes entreprises qui sont nos clientes, nous coconstruisons des modèles qui vont anticiper des indicateurs-clés, par exemple ceux qui permettront de réduire la quantité d'eau nécessaire au refroidissement des data centers. Mais le grand enjeu actuel, c’est évidemment de maîtriser l’empreinte environnementale de l’IA générative. Nous sommes le premier grand acteur de la Tech à avoir appelé, en amont de toute régulation, à rendre public l’impact carbone des modèles d’intelligence artificielle. Tout le secteur doit se mobiliser pour que cette technologie révolutionnaire contribue à restaurer plutôt qu’à dégrader l’environnement. 

La représentativité des femmes dans la Tech a-t-elle évolué ces dernières années ?

Seules 9 % des fondatrices de start-ups bénéficient de financements, et il n’y a que trois femmes à la tête d’entreprises du CAC 40. Mais je reste optimiste. D’abord, la loi Rixain contribue à changer la composition des COMEX, qui devront inclure 40 % de femmes d'ici à 2030. Ensuite, dans la Tech, on ne pourra plus s’abriter longtemps derrière le nombre réduit de développeuses, puisque 65% des emplois du numérique ne nécessitent pas de coder. Ce sera encore plus vrai, demain, avec l’IA générative. Pour agir concrètement, j’ai lancé en juin 2022, avec 40 partenaires et organismes de formation, le programme « 1000 femmes dans la Tech ». Il propose une formation ou une reconversion (vers les métiers d’administrateur, de développeur, de consultant technique, de consultant technico-fonctionnel ou de product owner) qui débouche sur un stage ou un emploi dans l’écosystème Salesforce. Et la bonne nouvelle, c’est que cela fonctionne ! Pour moi, l’inclusion et la diversité sont avant tout affaire de conviction et de valeurs, mais elles sont aussi un impératif business et la meilleure boussole pour faire de la technologie un progrès pour tous. 

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