Nicolas Bermond (BBA 2005), Global Media Distribution Director à la NBA
La National Basketball Association (NBA) s’est imposée comme l’un des piliers du marché sportif international, en étendant sa programmation, sa diffusion et sa présence dans 215 pays. À quelques semaines du début de sa saison 2020-2021, Nicolas Bermond (EDHEC International BBA 2005) nous parle de sa passion devenue métier : il travaille depuis plus de 12 ans depuis Londres pour l’institution américaine. Désormais Directeur de la branche Global Media Distribution, il nous raconte notamment ses envies d’ailleurs dès son plus jeune âge, les caractéristiques multiculturelles liées à son quotidien professionnel, ainsi que les nouvelles tendances média dans le sport.
Comment résumerais-tu ton poste et tes responsabilités actuelles ?
J’ai rejoint la NBA en 2008, au moment où elle déménageait de Paris à Londres. Le bureau de Londres représente les business pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique (où nous avons également un bureau), soit une soixantaine de personnes de différents départements, comme le département média, marketing et partenariats, le merchandising et l’événementiel. Je suis directeur du département média, composé de 7 personnes. Je manage nos partenaires TV et digitaux pour l’Europe et le Moyen-Orient. Je suis notamment en charge de nos 8 marchés les plus importants en Europe et au Moyen-Orient, qui représentent à eux seuls plus de la moitié des revenus du bureau de Londres. Dans mon équipe média, nous avons des personnes qui s’occupent de la vente et de la négociation des droits, et qui revoient les contrats avec tous nos diffuseurs. Et une fois les contrats établis, je travaille avec ces partenaires au jour le jour afin que la marque NBA soit le plus visible et valorisée sur les différents canaux TV et sur toutes les autres plateformes digitales. Ça passe évidement par la diffusion des matchs en direct, par des campagnes marketing, et par une partie événementielle normalement assez importante – comme un match à Paris en janvier dernier à l’AccorHotels Arena, complet en moins d’un quart d’heure –, mais évidemment moins depuis le COVID... Mon poste touche finalement à pas mal de choses avec vraiment un focus sur le partenariat média, qu’il soit TV ou digital.
Tu as fait le choix de l’Angleterre. Serais-tu allé à la NBA si les bureaux étaient restés à Paris ?
C’est une bonne question ! L’ouverture à l’international fait vraiment partie de l’ADN de l’EDHEC et j’avais envie de ça : on apprend beaucoup de choses sur soi-même, on se crée sa propre expérience. J’avais fait un échange à Newcastle en troisième année d'EDHEC International BBA, et c’est ce qui m’a donné envie de repartir une fois mon cursus terminé. Initialement, je voulais vraiment perfectionner mon anglais et partir aux États-Unis, c’était un amour né du basket. Mais j’ai été confronté à la dure réalité de l’obtention du visa et d’un travail là-bas… Je me suis rabattu sur Londres, dans l’idée de rester 3-4 ans pour me faire une expérience à l’étranger, avant de revenir en France. Et 12 ans plus tard, je suis toujours là ! J’ai un passeport anglais, une épouse anglaise et un enfant anglais ! Pour être honnête, si on m’avait offert un poste à la NBA à Paris à ma sortie d’école, je n’aurais jamais pu refuser une opportunité pareille. J’aime beaucoup la mentalité anglaise et c’est une expérience qui me plaît. Mais je me vois quand même retourner sur la Côte d’Azur – d’où je viens – à un moment donné.
Le fait de voir les coulisses de la NBA te donne-t-il un regard différent par rapport à ta passion du sport ?
Effectivement, c’est vraiment ma passion, j’ai toujours voulu travailler dans le sport. Quand j’étais au collège, on nous avait demandé un rapport sur ce qu’on voulait faire plus tard et je me souviens avoir écrit « marketing dans le sport ». Tout parcours est semé d’embûches, il faut être persévérant pour arriver à ses fins. Je suis toujours fan de basket et je consomme toujours de la NBA 7j/7, 24h/24, mais c’est forcément différent quand on a l’œil professionnel ! J’avais assisté à plusieurs matchs avant de rejoindre la NBA, mais je n’avais jamais vraiment pris conscience de tout le travail réalisé en amont et de toutes les équipes et tout le personnel impliqués pour seulement 3 heures de spectacle, comme pour le match de Paris en janvier dernier. C’est un événement qui se prépare des mois et des mois à l’avance, d’autant plus que la NBA est très perfectionniste, donc on n’a pas le droit à l’erreur. Je suis en tout cas entouré de collègues très professionnels et talentueux, donc les résultats sont souvent très satisfaisants. J’ai la chance de travailler avec quasiment tous les départements au bureau, sur des missions vraiment variées, avec des nouveaux projets au moins chaque saison : j’apprends constamment. Heureusement d’ailleurs, parce que ça fait 12 ans maintenant que je suis à la NBA !
Tu travailles sur le marché Europe occidentale et Afrique. Vois-tu des spécificités locales dans ton activité selon les zones avec lesquelles tu travailles ?
Globalement, comme on peut s’y attendre, on tend vers une consommation média qui se fait de plus en plus sur les plateformes digitales au détriment du bon vieux poste de télévision. Il y a quand même un développement plus particulier dans certaines régions, comme en Asie, où la population consomme plus de la moitié des contenus sur des plateformes mobiles. Malgré tout, chaque pays partenaire est différent, donc l’approche va être différente en fonction de telle ou telle spécificité. Je pense aussi qu’il y a un aspect démographique à prendre en compte : le mode de consommation diffère généralement selon les âges. On va clairement adopter une stratégie différente si on s’adresse à la génération Z, par rapport aux boomers ou à la génération X.
L’équipe générale de la NBA à Londres est-elle surtout composée de personnes anglophones ou de profils entièrement internationaux ? Quel est l’atout d’être français à la NBA ?
L’atout numéro 1 d’être français c’est d’être champion du monde et de pouvoir chambrer ses collègues quand on arrive au bureau (rires) ! La NBA embauche énormément d’étrangers, au bureau de Londres on est par exemple une dizaine de Français. À l’étranger, c’est toujours un plus de parler une autre langue, surtout quand on couvre tous ces pays-là. On cherche énormément à localiser notre produit dans chaque pays, donc c’est important d’avoir un melting pot de profils pour mieux visualiser les besoins propres à chaque région et chaque culture.
Quelle stratégie la NBA, très américaine, a-t-elle employée pour conquérir la planète, et en particulier des pays qui n’ont pas la culture du basket ?
C’est vrai que le rayonnement de la NBA aujourd’hui se fait à l’échelle mondiale, sur tous les continents, quand on compare à d’autres sports comme le football – moins présent aux États-Unis – ou le football américain – beaucoup moins présent en Europe ou en Asie. Je vois 4 grands facteurs :
- Le contenu : il y a des matchs tous les soirs et donc des histoires à raconter tous les soirs. On a énormément de contenu disponible sur la télé, sur les plateformes digitales et sur les réseaux sociaux, ça nous paraît important d’être accessible à tous.
- La diffusion internationale des matchs : c’est notre ancien boss (« Commissioner ») David Stern – malheureusement décédé en début d’année – qui à partir des années 80 a fait énormément de choses pour que le produit s’exporte à l’international.
- La délocalisation des matchs NBA depuis les États-Unis vers d’autres continents comme l’Asie, l’Europe ou l’Afrique. Il y a eu aussi l’effet Barcelone en 1992 (NDLR, la Dream Team aux Jeux Olympiques) : c’est d’ailleurs là que tout a commencé pour moi en tant que fan. Et ça a permis au basket US de s’afficher aux yeux de tous avec des superstars comme Michael Jordan, Magic Johnson ou Larry Bird. C’est là que le véritable « boom » du basket a eu lieu à travers le monde.
- L’augmentation considérable du nombre de joueurs internationaux qui vont jouer en NBA : ils évoluent désormais dans la meilleure ligue du monde et ont un énorme impact dans leur propre pays. On a par exemple Tony Parker ou les frères Gasol en Espagne, ce qui permet à la marque NBA de vivre constamment même à l’échelle locale.
Aux États-Unis, il y a ce soft power du cinéma aussi qui fait qu’il y a une grande visibilité, non ? On pense par exemple au film Space Jam, dans les années 90…
Beaucoup de personnes, notamment en Angleterre, où la NBA n’est pas trop implantée, me disent qu’ils ont vu Space Jam quand je leur dis que je travaille pour la NBA. C’est vrai que ça a permis à la NBA de se développer. Derrière ça, il y a quand même une superstar comme Michael Jordan qui au-delà du film a fait grandir l’image de la NBA, pas seulement par le sport en lui-même, mais par la marque Jordan : c’est une marque à lui tout seul ! On voit aujourd’hui l’impact qu’il a avec ses chaussures, il y a plusieurs joueurs d’ailleurs maintenant qui lancent leur propre marque. La stratégie de la NBA a toujours été de mettre en avant ses joueurs. C’est le produit le plus important, que ce soit à travers des actions de matchs ou du contenu qui peut passer par le cinéma ou les plateformes en ligne.
Justement sur Netflix, The Last Dance est en ligne depuis quelques mois. Est-ce que ça fait aussi partie des stratégies qui à l’avenir vont être mises en route pour pouvoir continuer cette longévité et même toucher des nouveaux publics ?
Sans aucun doute ! Le succès de The Last Dance a été fulgurant, avec plus de 5 millions de vues en moyenne sur chacun des 10 épisodes. Ça fait de lui le documentaire sportif le plus regardé de toute l’histoire ! Un marché concurrentiel se développe à une allure phénoménale avec Amazon, Apple, Disney, et en France avec Canal+ ou récemment Salto, lancé par TF1, France Télévisions et M6. C’est intéressant de voir comment ces chaînes de TV font équipe ensemble pour faire face à cette concurrence internationale. Aujourd’hui, les diffuseurs TV doivent redoubler d’efforts pour proposer du contenu attractif. De plus en plus de sports sont sur ce créneau : la Formule 1 fait notamment des documentaires vraiment excellents sur Netflix, et il y a également plusieurs événements sportifs diffusés en direct, tels que le tennis ou le rugby. Donc oui, nous suivons ça de près et explorons les potentielles opportunités, mais je ne serais pas surpris que dans quelques années voire quelques mois, la NBA soit présente sur ce type de plateformes.
En période COVID, comment cela se passe-t-il concrètement pour les diffusions et pour les téléspectateurs ?
Il faut s’adapter au jour le jour à un monde différent et qui ne sera plus jamais pareil dans tous les secteurs. Le sport, et donc la NBA, n’a pas été épargné. Le plus gros challenge est de pouvoir mesurer les incertitudes du lendemain, tout en continuant à faire bouger les choses. On avance un peu à l’aveugle. En France, pendant la crise sanitaire, le gouvernement considère le sport comme produit non-essentiel, mais selon moi ce n’est pas la bonne approche. Il s’agit non seulement d’un facteur économique important, mais il y a aussi une espèce de vecteur de cohésion nationale derrière le sport, et je pense que ça ferait beaucoup de bien en ce moment de pousser là-dessus. Du côté de la NBA, on préfèrerait bien sûr avoir des salles pleines avec les fans, mais je pense qu’on a su s’adapter assez rapidement, notamment avec la « Bulle » d’Orlando (NDLR, la NBA Bubble, zone de confinement créée en Floride au printemps 2020 pour réunir la plupart des joueurs NBA afin de terminer la saison 2019-2020 en toute sécurité), qui nous a permis de continuer à diffuser des matchs en direct pour nos partenaires jusqu’à la fin de la saison. On a également dû adapter notre contenu, comme par exemple avec la série de jeux vidéo NBA 2K, avec qui nous avons pu créer du contenu original durant le confinement. Je pense aussi que le téléspectateur prend petit à petit l’habitude de regarder le basket et les autres sports sans public, même si c’est très différent. Plusieurs éléments de production, tels que le son de fans en train de chanter pendant le match, se sont mis en place. Il y a eu différents nouveaux plans de caméra qui ont été testés, notamment des plans plus serrés pour ne pas qu’on voie les tribunes vides. À la NBA, nous avons également créé dans la Bulle un écran virtuel pour permettre à certains fans d’assister aux matchs depuis leur canapé.
On a parlé de l’expérience des consommateurs, mais comment les joueurs vivent-ils de jouer dans une salle vide ?
Ce n’est pas l’idéal pour eux, mais ils continuent à être payés, ils font leur travail comme nous tous ! Dans la Bulle, on n’a eu aucun cas de COVID parmi plus de 250 joueurs pendant 3 mois ! Ils étaient testés tous les jours. C’était un nouveau rythme à prendre pour eux, mais ils se sont adaptés et ont continué à vivre leur passion et faire leur métier. Je pense que c’est ce qu’ils voulaient avant tout. On va entamer la nouvelle saison le 22 décembre avec très probablement des salles vides au départ, et puis on verra comment évoluent les choses.
Vois-tu depuis le mois de mars des changements de comportement de consommation ou même dans les contrats que tu passes avec les chaînes ou les plateformes ?
En termes de diffusion, comme je le disais, on a pu « expérimenter » en interne de nouveaux dispositifs au niveau de la production des matchs. Sur la consommation, je préfère attendre encore un peu avant de me prononcer car c’est difficile de se baser uniquement sur les 3-4 premiers mois. Il y a clairement eu une plus grande consommation sur les plateformes média parce que les gens étaient chez eux. Et on a su adapter le produit, il fallait qu’on soit présent même quand il n’y avait pas de matchs diffusés à la télé. On essaie donc de mettre tous les jours du contenu sur nos plateformes digitales pour justement ne pas perdre l’attrait des fans et continuer à leur parler. Je ne pense pas qu’il y ait un changement radical dans la consommation même mais il faut que nous, ayants-droits et diffuseurs, regardions ça de très près. Il y a depuis quelques années une forte tendance du second screen, le « deuxième écran » où les consommateurs vont regarder à la télé pas seulement du sport, mais aussi des séries ou des émissions, et utiliser une tablette ou leur téléphone en même temps pour discuter de ce qui est diffusé. Donc là aussi il y a énormément d’engagement à créer par la NBA autour de ça. On doit s’inclure le plus possible dans ces discussions de fan à fan, ceux qui discutent sur Twitter ou Snapchat, et donc être présent sur ces réseaux-là aussi.
Ça devient de la gestion de communauté…
C’est ça, il y a une communauté très développée, notamment en France. Je prends l’exemple de TrashTalk et First Team : ce sont des fans qui ont lancé leur chaîne sur Youtube et qui sont maintenant présents sur toutes les plateformes, dont Twitter. Ils ont créé leur propre communauté, qui est présente devant tous les matchs, à 21h comme à 3h du matin. Les gens se lèvent, prennent un café, regardent les matchs, discutent ensemble. Ils ne sont plus seuls dans leur salon, ils sont tous ensemble à travers leur écran de téléphone. On voit énormément de nouvelles chaînes YouTube se lancer, des podcasts, par des gens qui ont une expertise très poussée du sport – pas seulement du basket – et qui lancent leur propre chaîne. Même si ce n’est pas du tout leur métier, ils arrivent tout de même à trouver leur public. Et c’est quelque chose qu’on peut faire de chez soi sans forcément avoir des moyens colossaux. Il suffit d’avoir le talent et l’envie.
Plus d'infos sur la NBA sur son site officiel
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