Damien Dhellemmes (MBA EDHEC 1995), Senior Vice-President commercial de la division Digital Energy chez Schneider Electric
Passé par un MBA à l’EDHEC après une école d’ingénieur, Damien Dhellemmes a vu du pays depuis 1995 ans au sein de Schneider Electric (implantée dans plus de 140 pays), dont il est aujourd’hui Senior Vice-President commercial de la division Digital Energy. L’automatisation industrielle et l’optimisation énergétique sont à présent au cœur de la stratégie de l’entreprise. Damien nous précise les enjeux de ces transformations permises par l’essor de l’intelligence artificielle et de la data.
Peux-tu nous décrire ton poste et tes responsabilités actuelles ?
Nous aidons nos clients à être plus efficaces et durables grâce à des logiciels, produits et services numériques. C’est un poste mondial, sur la plus petite division du groupe – tout de même 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires –, mais aussi la plus en croissance. Ma responsabilité consiste à gérer le déploiement commercial de la stratégie et l’atteinte des objectifs financiers, via la mobilisation de nos forces commerciales dans les différents pays.
Chez Schneider Electric, tu as d’abord travaillé en production et logistique, puis sur la partie commerciale et les services numériques. Ce cheminement est-il nécessaire pour maîtriser toute la chaîne ?
Forcément, cela m’a aidé, et je dis souvent que j’ai eu plusieurs carrières au sein de la même entreprise. J’ai initialement obtenu un diplôme d’ingénieur, mais j’avais une fibre commerciale. Je me suis donc assez vite tourné vers un MBA à l’EDHEC, avec l’idée de devenir ingénieur technico-commercial. J’ai été recruté à l’époque par Schneider Electric en Thaïlande pour un équivalent de Volontariat International en Entreprise (VIE) sur un poste de production. Cela a marqué le début de mon histoire d’amour avec la Supply Chain, à Limoges et Angoulême, puis en Asie, en Chine, en Inde et finalement Singapour. Mon dernier poste dans ce secteur couvrait les usines, la logistique et les achats de l’Inde à la Nouvelle Zélande, soit 15 000 personnes et plus de 40 usines. Mais j’avais un goût d’inachevé car j’étais entré dans ce groupe pour des postes commerciaux, que je n’avais encore jamais occupés. J’ai finalement obtenu des responsabilités commerciales pour Singapour, la Malaisie et le Brunei ; je suis en Asie depuis plus de vingt ans. Dans mon poste de « patron de pays », j’ai passé beaucoup de temps à promouvoir et à vendre une distribution énergétique connectée ; cela m’a amené vers mon poste actuel de Responsable commercial pour cette division.
Ton parcours a été une sorte de questionnement perpétuel…
Ce qui m’a toujours stimulé, ce n’est pas forcément la taille des postes, mais les opportunités d’apprendre. Quand j’ai commencé en Supply Chain, mon plan de carrière était de devenir directeur d’usine, ce que j’ai été à Angoulême, à 30 ans. À partir de là, que faire ? J’avais vraiment envie de retourner en Asie depuis mon VIE, alors je suis parti en Chine en 2004 pour gérer notamment des joint-ventures et des sites industriels. En 2007, j’ai commencé à aller davantage en Inde, et j’y ai géré dès 2009 la Supply Chain, et nous avons fait passer le nombre d’usines de 3 à 20. Nous avons beaucoup construit, beaucoup acquis, et j’ai beaucoup appris.
Où en sont aujourd’hui nos besoins en énergie dans le monde ?
De manière générale, on a de plus en plus besoin d’énergie dans un monde en croissance. Mais il y a aussi de nombreux impératifs liés au changement climatique et à la décarbonation de nos sociétés, qui obligent à mieux gérer l’efficacité énergétique. La solution à cette équation, c’est l’électricité (l’énergie la plus propre) et le numérique (son vecteur). Chez Schneider Electric, nous avons la chance de surfer sur ce marché global très porteur. Les véhicules électriques en sont les exemples les plus flagrants, tout comme les data centers, ces monstres énergétiques dont on a absolument besoin pour pouvoir gérer l’explosion numérique au-delà de la simple connectivité des personnes, et vers la connectivité des objets, qui sont devenus les premiers consommateurs de données. L’efficacité énergétique combine désormais 2 facteurs : la prise de conscience qu’une croissance effrénée n’est plus soutenable sans prendre soin de notre planète, et le coût de l’énergie elle-même – les crises actuelles, dont celle en Ukraine, forcent le réveil. Nous aidons nos clients à digitaliser pour être plus efficaces (donc économiser) et plus durables !
Cependant, Schneider Electric est un distributeur, et non un producteur d’énergie…
Pas vraiment un distributeur non plus ; nous sommes un fournisseur de technologies. Nous ne produisons pas d’énergie, mais nous fournissons toutes les infrastructures (produits, systèmes, software et services) qui permettent de la véhiculer et de l’utiliser. Nos client obtiennent des équipements de distribution électrique et des logiciels qui les aident dans la gestion de production et de distribution énergétique. Même si nous ne faisons pas de panneaux solaires ou de batteries, nous gérons les systèmes électriques. Nous sommes très présents en aval, là où l’énergie est consommée, que ce soit dans un data center, dans un hôpital, dans un bâtiment tertiaire ou dans une maison. Nous avons aussi des objectifs de durabilité qui tendent vers un monde plus « électrique », et un impératif d’efficacité énergétique. La hausse actuelle des coûts de l’énergie améliore le retour sur investissement de nos clients qui s’engagent dans cette transition énergétique.
Penses-tu que ce marché restera porteur ?
Je pense que ce marché va rester très porteur. Il suffit de regarder tous les engagements que les entreprise prennent contre le réchauffement climatique, aux horizons 2023 et 2050. L’exemple des véhicules électriques ne fait que démarrer : si on compare la part de marché qu’ils représentent avec les engagements pris par les constructeurs sur ces véhicules, c’est énorme. On pensait d’ailleurs que cela se stabiliserait mais c’était sans compter l’arrivée de l’intelligence artificielle, de l’edge-computing, du véhicule autonome… Cela génère énormément de data, donc un certain nombre de secteurs et de segments proches de nos activités vont continuer à croître. En toile de fond, les conférences des Parties (COP) participent à la prise de conscience du réchauffement climatique. Le débat est ouvert sur leur efficacité, mais cela avance, et les entreprises font de plus en plus de cette question un impératif. Au niveau mondial, on voit bien une évolution qui va dans le bon sens et va continuer.
Avec le numérique, très gourmand en carbone, comment peut-on réussir à diminuer son impact ?
C’est un sujet permanent de réflexion et de discussion ! Les acteurs mondiaux des data centers et les promoteurs immobiliers se mobilisent aussi pour être plus durables, tout en étant plus efficaces. La clé réside selon moi dans la data. Aujourd’hui, nous pouvons proposer des systèmes de gestion énergétique (power-monitoring systems) ou des systèmes de gestion technique de bâtiment intégrés (building management systems) qui font converger l’ensemble des sous-systèmes de n’importe quel bâtiment. Ces logiciels récupèrent les données émises par ces bâtiments, autrefois inutilisées. Grâce à l’IA et au machine learning, nous pouvons à présent évoluer vers un monde capable d’anticiper ce qui va se passer. Souvent, il s’agit de construire un digital twin du batiment, de l’infrastructure (aéroport, centre commercial, usine…) pour modéliser ses besoins et simuler sa consommation énergétique. Cela permet aussi de détecter rapidement des non-conformités, et de les corriger. Les économies d’énergie peuvent atteindre 25% sur un bâtiment intelligent (qu’il vaut mieux, il est vrai, rénover, s’il n’est pas neuf) : il peut détecter la non-présence et éteindre ce qui ne sert plus, comme le chauffage, la lumière, les ascenseurs. C’est ce que j’appelle le concept de self-healing, le bâtiment est en pilote automatique : il détecte que quelque chose ne tourne pas rond, analyse et corrige le problème. On aboutit ainsi à une démarche d’amélioration continue de la consommation énergétique.
Quelle est la différence de positionnement entre Schneider Electric et les géants d’internet (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, les GAFAM) sur cette question de la smart city ?
La domotique est très résidentielle, et nous sommes davantage situés, pour l’instant, dans le secteur du B2B, des bâtiments de taille moyenne ou plus imposants qui doivent devenir des smart buildings. Néanmoins, nous investissons aussi beaucoup dans ce secteur de l’habitat, afin de lui apporter cette technologie et nos solutions dans les mois et les années à venir. Il s’agit de toute façon de la même « recette », il n’y a que l’échelle qui change. Par rapport aux GAFAM, nous venons d’abord du hardware, du produit. Nous nous chargeons d’équipements qui n’ont pas le droit de tomber en panne (data centers, hôpitaux). Nous connaissons nos produits, parce que nous les créons, et les fabriquons dans nos usines ; nous les comprenons, et pouvons intervenir sur nos équipements en temps réel. En modélisant une consommation énergétique, en la comparant à des centaines de sites que nous connaissons et dont nous nous occupons dans le monde, notre analyse de situation sera pertinente. D’ailleurs, nous ne vendons des logiciels et applications numériques que dans nos domaines de compétence. Nous collaborons souvent avec les GAFAM, ils sont aussi nos clients et nos fournisseurs !
Comment établir une stratégie énergétique durable dans un monde instable qui traverse des crises majeures ?
Si la partie macro-économique est gérée au niveau du groupe, notre groupe a la chance d’être très international et diversifié. Notre équilibre géographique entre les pays du monde nous permet d’être moins sensibles à des effets de crise locale. Ensuite, nous avons appris avec le COVID et la crise de l’électronique à revoir notre organisation Supply Chain end-to-end. Nous fabriquons nous-mêmes plus de 90% des produits que nous vendons, et nous sommes capables de continuer à servir nos clients dans un monde de plus en plus complexe. Nous avons largement développé notre agilité et devons continuer de progresser ; c’est un sujet qui prend beaucoup de temps et d’ampleur.
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