Jeunes diplômés et DRH peinent à accorder leurs violons
ntre le moment où un étudiant entre dans une école ou un troisième cycle d'université et le moment où il en sort pour se mettre à la recherche d'un emploi, le marché a eu le temps de changer deux fois d'orientation !" Cette remarque de Thibaut Gemignani, directeur général du site de recrutement Cadremploi, est peut-être l'une des explications de l'écart qu'il a constaté en comparant les profils des emplois offerts par les directeurs des ressources humaines (DRH) sur son site, et ceux des emplois recherchés par les jeunes diplômés qui y déposent leur candidature. Alors que plus de la moitié des premiers concernent des postes de commercial, il se trouve moins d'un jeune diplômé sur dix pour chercher un emploi dans ce métier. Et inversement, alors qu'un quart des jeunes souhaitent travailler dans un bureau d'études ou un laboratoire de recherche, 7 % des annonces seulement proposent la concrétisation de ce rêve...
Il est vrai que les jeunes entrant dans la carrière ont des raisons d'être déroutés, si l'on en croit l'étude menée chaque année par la Conférence des grandes écoles sur l'insertion professionnelle de leurs diplômés. Les étudiants entrés dans les écoles en 1999 ont vu, en 2001, la promotion qui les précédait bénéficier à plein de la vague Internet : plus de 90 % (hors poursuite d'études) avaient trouvé un emploi dans les quatre mois, dont plus de la moitié avant d'être diplômés ! Mais quand leur tour est venu, ce taux est tombé à 80 %, puis à 72 % pour la promotion suivante, et à 69 % pour la promotion 2003, avant de remonter à 75 % pour la promotion 2004. Celui de la promotion 2005, en cours d'insertion, ne devrait pas être beaucoup plus flambant : "Il est difficile de dégager une tendance, observe Sophie Martre, chargée de l'emploi à l'association des centraliens. Certains mois, comme en avril, nous avons cru à la reprise en voyant affluer des offres. Mais dès le mois suivant, le soufflé était retombé."
Mais au-delà des variations quantitatives du marché, la persistance de l'inadéquation entre la nature des emplois offerts et des emplois demandés est frappante : depuis le rapport de Guy Viel, qui, en 1988, affirmait qu'il manquait 120 000 postes de commercial dans les entreprises françaises, ce déficit est une constante du marché du travail. A chaque fois que celui-ci devient défavorable à leurs diplômés, les écoles de commerce se souviennent de leur appellation, et expliquent à leurs troupes les beautés des métiers de la vente et du négoce. Mais lorsque le marché repart, ces écoles redeviennent des "business schools en concurrence sur le marché mondial de l'enseignement supérieur" et laissent leurs diplômés se ruer sur les métiers de la finance, du marketing, du conseil ou sur la création d'entreprises, selon la mode de l'année. "Quoi de plus naturel que de chercher à s'orienter d'abord vers ce qui est apparu comme le plus intéressant au cours de ses études", observe M. Gemignani : la stratégie marketing plutôt que la vente, le conseil plutôt que la comptabilité, la recherche plutôt que la production. Mais ce sont les fonctions de recherche-développement, de stratégie et de marketing qui sont les plus touchées lorsque la conjoncture amène les entreprises à réduire leurs investissements ! Car il s'agit d'abord d'écouler les stocks et de sauver ses parts de marché, ce qui est le travail des commerciaux.
Certes, les écoles et certaines universités ont amélioré l'information sur le marché du travail et la préparation à la recherche d'un poste, depuis que la situation de l'emploi s'est dégradée à partir de 2000. "Mais il faut au moins trois ans avant que ces initiatives portent leurs fruits, observe Sophie Martre, le temps de changer les mentalités, des étudiants comme des enseignants."
D'autres signes indiquent cependant que la dure réalité tend à s'imposer aux jeunes diplômés. Les prétentions salariales qu'ils affichent sur le site Cadremploi sont ainsi en baisse. "Ils ont compris qu'il n'était plus possible de se baser sur la moyenne des rémunérations de la promotion précédente, contrairement à ce qu'on leur a dit à l'école", remarque M. Gemignani. La part de ceux qui demandaient une rémunération inférieure à 30 000 euros brut par an est ainsi passée de 64 % en mai 2005 à 67 % en septembre. Autre signe, dans les choix proposés sur les formulaires du site, figure la nature du contrat recherché : 77 % cochent bien sûr la case contrat à durée indéterminée, mais, fait nouveau, 62 % cochent également la case contrat à durée déterminée, et 46 % la case intérim...
Antoine Reverchon Article paru dans l'édition du Monde, du 27.09.05
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