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Moojan Asghari (MSc Corporate Finance 2015), l'entrepreneure visionnaire qui fait bouger le monde de la Tech.

Interviews

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18/05/2021

Titulaire d’un bachelor en ingénierie industrielle en Iran avant son double diplôme Grande École / MSc in Corporate Finance & Banking à l’EDHEC en 2015, Moojan Asghari s’est rapidement éloignée de la finance d’entreprise pour une aventure bigarrée de l’entrepreneuriat fondée sur l’expérimentation, l’amour du risque, et surtout la Tech et les communautés. Elle a notamment cofondé il y a 4 ans Women in AI, une organisation à but non-lucratif visant à attirer les femmes dans le secteur de l’intelligence artificielle. En octobre 2020, elle a créé la plateforme Thousand Eyes On Me, sur les versants du développement personnel et de l’empowerment des minorités de genre. Diversité, inclusion, écologie : autant de sujets qui passionnent Moojan et font d’elle un espoir pour notre monde de demain.


Quelles sont tes responsabilités actuelles et comment s’organisent-elles ?

Je suis PDG et Head of Product de Thousand Eyes On Me. Je gère notre équipe de 5 personnes à New York, en Inde, en France et en Espagne, mais également le recrutement, les relations presse et les levées de fonds. J’anime aussi la série de podcasts « Thousand Voices », où j’interroge majoritairement des femmes managers du monde entier sur leur parcours.

Côté Women in AI, je m’occupe des Women in AI Awards, dont on vient de finir la dernière édition en Australie en mars. C’est un prix pour les femmes qui innovent et entreprennent dans l’intelligence artificielle. Je suis aussi en charge de gérer nos équipes pour notre sommet mondial annuel. 

À l’origine, tu te destinais plutôt à une carrière dans la banque et en finance d’entreprise. Qu’est-ce qui t’a donné envie de te tourner vers l’entreprenariat et la Tech ?

Ce sont le hasard et la curiosité qui m’ont fait passer de la finance à la Tech. J’ai travaillé pendant un an et demi sur des grands projets de financement structurés d’aéroports. C’était très intéressant, mais je me sentais comme une petite fourmi dans une très grande structure. Dans la banque, même à des postes élevés, faire évoluer les choses était très compliqué, le chemin était trop long pour pouvoir avoir un vrai impact. J’ai donc créé ma première start-up après mon stage de fin d’études au Crédit Agricole. J’ai dû apprendre par moi-même car je n’avais jamais eu de cours sur l’entrepreneuriat. J’ai été acceptée dans un incubateur et ça a bouleversé mon parcours, j’ai rencontré beaucoup d’entrepreneurs et développé mon réseau. Mon parcours d’ingénieure et mon goût d’apprendre m’ont permis d’accéder à un poste de Product Owner dans une start-up de développement web et d’applis mobiles. J’ai ensuite participé à l’organisation d’un hackathon dans l’intelligence artificielle et j’ai eu une révélation. Et c’est un peu plus tard, en me renseignant sur les nouvelles tendances dans la Tech, que j’ai cofondé Women in AI. La Tech est un milieu qui évolue tous les jours, c’est fascinant de voir combien ça peut changer notre vie. 

Aujourd’hui, ton cursus ingénieure est une vraie plus-value dans la Tech. Cela te permet de voir comment les choses s’intègrent les unes aux autres…

Beaucoup de personnes me demandent s’il faut avoir un parcours dans l’AI pour devenir expert ou même travailler dans ce domaine. Je leur réponds que non. Il ne faut pas se limiter parce qu’on n’a pas fait les études pour ou qu’on n’a pas d’expérience. On peut le faire si on le veut, il faut juste trouver de quelle manière entrer dans le milieu. Mais ça peut vraiment servir de savoir comment utiliser la technologie et communiquer avec des développeurs. Mon parcours me permet d’avoir une vision plus large, de me lancer sur des sujets que je ne connais pas forcément, et de savoir comment toujours apprendre. J’avais choisi l'ingénierie industrielle pour avoir une vision globale des choses, je n’étais pas spécialisée sur un domaine précis. J’ai voulu faire une grande école pour développer l’axe managérial. En devenant entrepreneure, j’ai tout de suite senti que je pouvais décider et changer le cours des choses, que je pouvais créer des solutions. Cela rejoint aussi le principe d’empowerment de Women in AI et de Thousand Eyes On Me.  

Cet engagement pour les femmes, était-ce une vocation ?

Lorsque je suis arrivée à l’EDHEC en 2012, je n’aurais jamais pensé être dans le domaine du féminisme ou de l’empowerment. Je ne pensais pas du tout que les femmes et les minorités aient besoin d’initiatives et de programmes spécifiques. En travaillant dans la Tech, je me suis aperçu qu’il y avait un gros problème. Je viens d’un pays où les femmes n’ont pas les mêmes droits que les hommes et je suis venue en France avec la vision que nous étions tous égaux, mais j’ai compris au cours de mes expériences ici que ce n’était pas le cas. Ne serait-ce déjà qu’en termes de salaires dans les entreprises. Ce sont des petites choses qui m’ont poussée à mener cette bataille. Mon pouvoir secret, c’est la communauté, mobiliser et rassembler les gens autour d’une cause à impact. Le groupe crée une force, une énergie. Avec Women in AI, on est aujourd’hui dans 140 pays, on a 30 000 abonnés, donc c’est quelque chose qui continue d’inspirer 4 ans après !

As-tu vu une évolution dans les mentalités avec Women in AI et le mouvement #MeToo ?

À l’échelle mondiale, #MeToo a changé les mentalités, notamment sur le droit des femmes, jusque dans la sphère professionnelle. Les entreprises commencent d’ailleurs à se pencher sur le sujet. Beaucoup de budget est alloué à des formations pour les salariés, la Commission européenne a fait passer des lois sur les quotas minimums dans les entreprises… Au début, quand je parlais de l’importance de la diversité dans la Tech, des hommes me disaient qu’on n’avait pas besoin de ces initiatives, que personne n’avait jamais empêché les femmes d’entrer dans la Tech. J’avais du mal à expliquer que le terrain devait être prêt et la culture d’entreprise accueillante pour recevoir plus de diversité, car ce n’est pas seulement du recrutement. Maintenant, je n’ai plus besoin de les convaincre : ils connaissent le problème. Donc c’est plutôt positif, mais la France reste malheureusement assez « sur la défensive » par rapport aux pays nordiques, par exemple, qui sont plus dans une position de leadership. Mais on va y arriver, on va dans le bon sens !

Vois-tu des évolutions sur ces sujets en Iran ?

J’ai rencontré pas mal d'entrepreneurs au forum Silk Road Startup que j’ai organisé là-bas pendant 2 ans. Même si on a très peu de marge de manœuvre pour parler des droits des femmes, il y a aussi un mouvement un peu plus important en ce sens dans la société. Les entreprises font des campagnes marketing et recrutent peu à peu plus de femmes. En Iran, il y a 70% de femmes ingénieures. Le problème n’est donc pas l’accès des femmes à ces métiers, mais plutôt aux postes de direction car même avec des diplômes, elles doivent rester à la maison s’occuper des enfants. C’est toutefois un pays très orienté Tech, avec un taux de pénétration de téléphones mobiles à 120% : chaque personne a plus d’un téléphone portable. Cela permet d'être très connecté au monde et de savoir tout ce qui se passe, donc il y a tout de même un impact positif.

Et maintenant que les consciences sont éveillées, quelles sont les prochaines étapes pour ce combat pour le droit des femmes et des minorités ? 

C’est une question très importante. Dans la Tech, des entreprises allouent des budgets à des programmes de diversité et inclusion, parce qu’il faut le faire. C’est bien, mais le plus important, c’est la vision à plus long terme, et cela implique des investissements pour comprendre pourquoi il faut le faire. On doit pouvoir s’appuyer sur l’engagement des équipes et des comités exécutifs. Pour que les cultures d’entreprise et l’impact sur la société changent, il faut recruter plus de femmes. Même si les quotas sont des vecteurs de diversité, il ne faut pas se dire que c’est terminé une fois qu’on a coché des cases. Il faut aussi recruter plus de personnes avec cette nouvelle mentalité pour faire changer la stratégie des entreprises. Dans l’éducation secondaire et supérieure aussi, il est plus que temps de rendre systématiques les enseignements sur la diversité.

À travers Women in AI et Thousand Eyes On Me, prépares-tu les personnes à ce que sont les entreprises aujourd’hui et comment se différencier sur le marché ?

C’est exactement ce qu’on fait avec Women in AI. Avec Thousand Eyes On Me, on fait naître et grandir la force de travail de demain. Car si l’on veut d’une société inclusive, il faut que les personnes se sentent égales et épanouies dans les entreprises. Avant de recruter des profils plus divers, il faut les éduquer avant d’arriver sur le marché du travail. Par exemple, il y a 20% maximum de femmes dans l’intelligence artificielle dans le monde. La France est à 15%, donc pour atteindre les 50%, on doit commencer dès maintenant à éduquer les femmes qu’on recrutera demain. Avec Women in AI, d’un côté, on prépare les femmes à s’acclimater au secteur de l’IA avec des cours ; de l’autre, on encourage les femmes déjà expertes dans l’IA à prendre des postes exécutifs dans les entreprises, pour inspirer les nouvelles générations. Avec Thousand Eyes On Me, on pousse les femmes à avoir des rôles décisionnaires dans les entreprises sur des postes de management. On parle beaucoup des femmes, mais la diversité ne se traduit pas seulement sur le genre et la binarité femme-homme. Ce sont aussi les groupes LGBT, les autres religions, les autres cultures, l’âge… Quand on a commencé Women in AI, on était moins informés sur les questions LGBT. Aujourd’hui, on est plus sensible à cela et on se doit d’être à jour. Le combat n’est pas exactement le même, mais il est similaire. Les personnes issues des minorités subissent peut-être plus fortement les discriminations. Si une femme est musulmane et a la peau foncée, on voit qu’a chaque fois qu’elle « coche » un critère en plus, elle réduit ses chances d’avoir des responsabilités élevées dans l’entreprise. L’innovation ne vient pas avec les personnes du même sexe qui ont le même parcours. La diversité entraîne une vraie richesse.

Tu te bats pour la diversité et l’inclusion, mais aussi pour l’environnement, avec Greentech Alliance. Quels sont les points communs entre ces combats ? 

La diversité et l’inclusion sous-entendent un accès identique pour tous à l’éducation et au pouvoir dans la société ; l’environnement est un sujet très présent depuis la COP21 à Paris. Pour moi, ces deux sujets ont en commun l’accès aux ressources dans le monde. Si on vit sur une planète qui manque de ressources naturelles, alors on va s’approprier le droit de quelqu’un d’autre pour le simple fait d’avoir le pouvoir et la technologie. C’est la même chose pour la diversité et l'inclusion dans la Tech : si je suis blanche, d’un milieu aisé, avec des ressources intellectuelles et culturelles, tout est plus facile pour moi dès le début. Quelqu’un qui vient dans mon pays ne pourra pas avoir autant de chance que moi dans la vie. C’est vraiment l’accès aux opportunités d’une façon équitable et à long terme qui compte. Pour ne pas faire mourir la planète, il ne faut pas réfléchir aux 5 prochaines années, mais aux 20, 30 ou 100 prochaines. Et cela va même plus loin pour la diversité. Le Forum Économique Mondial estime qu’il faudra un peu plus de 200 ans pour atteindre l’égalité homme-femme ! Pour arriver à un changement radical, il faut des initiatives comme les nôtres et des actions communes des gouvernements et des acteurs de la société, comme les entreprises. On n’a que 10 ans pour éviter que les températures augmentent sur Terre. Si tous les pays dans le monde décident de le faire, on pourra le faire. Je pense que mon rôle et celui de beaucoup de personnes comme moi dans les organisations, c’est de mobiliser les gens, de les convaincre de prendre des décisions convergentes et acter dans cette direction.

Comment la Tech peut-elle aider à sauver la planète ? Pousses-tu les femmes à s’orienter vers la Green Tech ? 

Avec GreenTech Alliance, que j’ai rejoint en tant que conseillère, l’idée est de créer une alliance de toutes les entreprises et personnes qui portent la cause environnementale. La Tech peut vraiment résoudre les problèmes environnementaux, mais elle peut être ange ou démon. On a consommé beaucoup de ressources sur Terre en développant des technologies. Or d‘un autre côté, on peut réfléchir aux technologies qui peuvent changer en bien la planète. On peut obtenir des images satellites du fond des océans, là où se trouvent 80% du plastique dans le monde. On peut recréer artificiellement des coraux en laboratoire et les remettre dans les océans. Je crois en la force de la technologie pour nous aider répondre aux enjeux environnementaux. La technologie peut nous aider à (re)créer notre environnement, elle doit être une alliée. Les êtres humains veulent toujours plus, mais je prends ça de façon optimiste : c’est aussi bien créer des choses nouvelles qu’explorer des territoires inconnus !

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