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Nicolas Houssin (EDHEC Master 1999), Vice President Marketing Mattel EMEA

Interviews

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21/11/2023

Les presque 22 ans que Nicolas Houssin (EDHEC Master 1999) a déjà passés chez Mattel l’ont fait toucher au marketing sous toutes ses formes. Aujourd'hui, il l'exécute en qualité de responsable de région (internationale). Retour sur Barbie, le phénomène cinématographique et médiatique de l’été d’après la plus célèbre marque du groupe (qui en possède bien d’autres !), et la nouvelle donne pour les producteurs de jouets dans une société où la guerre du contenu fait rage.

Comment résumerais-tu ton poste et tes responsabilités actuelles ?

Je suis responsable marketing de l’ensemble de nos catégories et marques pour la région EMEA (Europe, Moyen-Orient, Afrique), avec une équipe d’environ 130 personnes (communication digitale, médias, relations presse, data analytics, brand management). Les stratégies de croissance et le marketing mix que je contribue à définir sont adaptés et exécutés localement avec nos clients, distributeurs, agences. Mattel a un énorme catalogue de « propriétés intellectuelles », dont beaucoup sont inactives ou dormantes. Il y a à peu près 25 marques actives aujourd’hui, mais nous développons aussi beaucoup de jouets pour les studios de cinéma : poupées Princesses Disney, voitures Pixar Cars, poupées Trolls ou encore dinosaures Jurassic World pour Universal.

Dans un monde numérique, qu’est-ce qui pousse les enfants (et leurs parents acheteurs) à préférer un jouet plutôt qu’un écran ?

Beaucoup de nos marques sont transgénérationnelles. Barbie fête ses 65 ans en 2024, Hot Wheels a plus de 50 ans, Fisher-Price a plus de 90 ans. Les parents d’aujourd’hui sont attachés aux jouets Mattel de leur enfance, et aux souvenirs qui y sont associés. Depuis la pandémie, ils essayent de réduire l’exposition aux écrans pour leurs enfants, et semblent valoriser les jouets en alternative plus stimulante et éducative. Pour autant, nous ne sommes pas absents des écrans ! Nous sommes là où les enfants passent du temps, et nous nous efforçons de raconter des histoires intéressantes, amusantes et engageantes sur différents supports.

Serait-il plus difficile d’embarquer les enfants sans ces accroches « périphériques » ?

Ce qui engage surtout les enfants, c’est le storytelling autour des jouets, pour jouer ou rejouer leurs propres histoires. Les enfants ont besoin de peu de chose pour imaginer des scénarios, rejouer ce qu’ils ont vécu à l’école, dans leur famille, avec leurs amis... Nous cherchons effectivement d’autres points d’entrée, à travers le contenu (streaming, cinéma, plateformes de cinéma, séries, télévision, jeux vidéo, parcs à thème), ce qui permet de développer une marque et de créer des expériences.

Pour les parents, l’achat d’une poupée Barbie est généralement influencé par l’enfant, qui la demande pour Noël ou pour son anniversaire. Cependant, l’idée aussi est de créer une connexion avec les parents, pour qu’ils valorisent l’achat de cette marque-là plus qu’une autre, parce qu’ils y associent des valeurs et des avantages qui vont au-delà du simple temps de jeu.

Est-il important pour la crédibilité d’une entreprise de montrer qu’elle n’est pas uniquement axée sur un produit, mais sur un univers beaucoup plus large ?

Oui, et cela fait totalement partie de la stratégie Mattel. Un enfant passe du temps chaque jour avec ses jouets, mais il fait beaucoup d’autres choses, donc il faut créer du lien là où c’est pertinent. Par ailleurs, la visibilité a beau être importante, le marketing ne fonctionne que s’il est porteur de sens, avec des valeurs authentiques. Le succès de la marque Barbie s’explique depuis sa création par son incarnation de l’empowerment féminin. En jouant avec Barbie, tout devient possible. Des études réalisées ces dernières années montrent que dès 5 ans, les filles commencent à penser qu’un certain nombre de choses ne sont pas pour elles, contrairement aux garçons. C’est ce qu’on appelle le « plafond des rêves » (dream gap), et nous avons un certain nombre d’initiatives qui visent à changer les choses, comme un programme qui célèbre chaque année des rôles modèles féminins pour ce qu’elles ont pu accomplir dans différents secteurs d’activité. La raison d’être de Barbie est d’ouvrir et d’inspirer le potentiel des enfants, et en particulier des filles.

La date de sortie du film Barbie était-elle donc opportune, après #MeToo et dans un contexte où le combat pour l’empowerment des femmes est plus que jamais d’actualité ?

Le film ne s’est pas fait en réaction à #MeToo. Mattel cherchait depuis des années à faire un film sur Barbie. La réalisatrice Greta Gerwig et Warner Bros. se sont intéressés au projet, c’est ce qui a donné naissance au film. Le propos féministe vient de Greta Gerwig, à partir des valeurs de Barbie. Le film intègre plein de références à Mattel et à son histoire, qui sont le fruit d’un processus collaboratif entre Greta Gerwig, l’actrice principale Margot Robbie, Mattel Films et Warner Bros. En revanche, la ligne créative de Greta Gerwig a été autonome. C’est sa vision, ce qu’elle voulait faire. Il y a sûrement eu des discussions sur des scènes qui ont pu en mettre quelques-uns mal à l’aise, mais il faut l’accepter. Ce n’est pas et n’aurait de toute façon pas pu être un film publicitaire de Mattel.

Le succès du film a-t-il des conséquences sur les objectifs marketing de Mattel ?

Oui, bien sûr. Mattel, Hasbro (franchises Transformers et G.I. Joe) et LEGO (La Grande Aventure LEGO, LEGO Batman…) savent que les films ont un impact incroyable sur la notoriété d’une marque. Le film génère des revenus, mais l’idée est de capitaliser sur le moment pour vendre nos jouets. Cela s’est avéré être plus qu’un film, un évènement culturel au-delà de nos attentes. Et ce n’est pas fini, car Barbie va sortir sur toutes les plateformes à Noël, après la diffusion sur les plateformes premium. Le film a aussi permis de développer la vente de produits dérivés au-delà du jouet, auprès d’adultes et de fans : mode, chaussures, accessoires, déco... Le film n’est pas réservé qu’aux enfants. Il est grand public, et s’adresse à tous, ceux qui aiment Barbie, et ceux qui l’aiment moins. Il y a effectivement un effet de halo sur la vente de jouets pour enfants, puisqu’un évènement de la sorte le fait devenir top of mind. Barbie a toujours beaucoup fait parler d’elle, en bien comme en mal. Nous savions qu’une création autour de Barbie aurait un impact différent par rapport à n’importe quelle autre de nos marques, pour ce qu’elle représente, pour la perception que les gens en ont, et pour le propos engagé du film.

Le propos du film – donc de la réalisatrice – est-il aussi celui que veut embrasser Mattel ?

Le propos du film est vraiment lié à l’histoire de la marque Barbie. Avant Barbie – la première poupée mannequin –, les petites filles ne pouvaient jouer à la poupée qu’avec des nourrissons. Aucune poupée ne leur permettait de se projeter dans un monde d’adultes. L’inclusivité est aussi une valeur très forte chez Mattel. Nous consacrons de plus en plus de temps et d’énergie à faire en sorte que nos marques représentent le monde tel qu’il est, tel que les enfants le voient. Certains voient encore Barbie juste comme une poupée blonde. La vérité, c’est qu’il y a plein de poupées sous la marque Barbie : différents cheveux, origines et silhouettes, handicaps... Un gros travail de design a lieu aux États-Unis, de façon à rendre l’offre inclusive.

Cela passe-t-il aussi par le fait de dégenrer le jouet ? Faire en sorte qu’un type de jouet ne soit pas attribué qu’aux filles ou qu’aux garçons ?

La Commission européenne et beaucoup de gens s’intéressent aujourd’hui à ce sujet, et nous essayons d’être beaucoup moins prescriptifs sur « qui » peut jouer. S’il n’y a que des filles dans une publicité Barbie ou sur un packaging, il sera compliqué pour un garçon de se projeter. Avec deux filles et un garçon qui jouent ensemble, c’est tout de suite différent. Le rose est tellement propre à Barbie qu’il y a un juste milieu à trouver, mais l’idée est d’être le plus inclusif possible dans nos campagnes.

Le projet de 16 longs-métrages du Mattel Cinematic Universe (autour d’UNO, Polly Pocket, Les Maîtres de l’univers, Hot Wheels…) cherche-t-il à prendre un créneau dans la pop culture ?

Mattel est avant tout fabricant de jouets. Nous cherchons toutefois à construire des marques franchises qui résonnent au-delà du seul jouet. Les films permettent de toucher des fans, des adultes, des collectionneurs, bien au-delà des enfants. Dans le marché du jouet, presque un tiers du marché vient des kidults, segment en énorme croissance de ceux qui ont passé l’âge de l’enfance (ados, jeunes adultes, adultes, collectionneurs). Nos marques transgénérationnelles justifient de s’adresser aussi à ce public sur le contenu comme sur les produits. Notre plateforme Mattel Creations cible cette audience et met régulièrement en avant des objets en série limitée issus de collaborations entre des artistes et nos marques. C’est dans cette veine-là, par des événements ponctuels, que nos marques entrent dans la pop culture, créent et entretiennent une relation privilégiée avec les fans.

Tu dis dans ton profil LinkedIn : « I believe in kindness. » (« Je crois en la gentillesse ») Pour toi, est-ce l’avenir d’une entreprise en bonne santé ?

Je crois beaucoup en la bienveillance, à créer un environnement d’empathie où les gens se sentent libres d’être eux-mêmes et d’exprimer leurs opinions même si elles sont différentes. Je pense que dans une entreprise, les intentions sont a priori positives, personne n’est là pour faire un mauvais boulot. La psychological safety est bien ancrée chez Mattel. Il est fondamental de créer une culture dans laquelle les gens ont envie de venir et ont un impact positif, peuvent challenger et proposer des choses. Si nous ne créons pas un environnement qui permette cela, je doute qu’il soit possible d’avoir des bons résultats sur la durée.


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