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Entretien avec Guillaume Gressin (EDHEC Master 2003), Directeur exécutif stratégie et opérations commerciales Amérique Latine, chez Airbus

Interviews

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16/05/2023

Numéro 1 de l’aviation civile dans le monde, Airbus se positionne également sur la fabrication d’hélicoptères, la Défense et l’Espace. Guillaume Gressin (EDHEC Master 2003) a grandi professionnellement ces 16 dernières années au sein du groupe en France et à l’étranger. Aujourd’hui à la tête de la stratégie et des opérations commerciales pour la zone Amérique Latine et Caraïbes, il nous explique les chantiers en cours des fabricants du secteur aérien pour un monde décarboné, où 2050 n’est pas qu’un horizon lointain. 

Peux-tu nous décrire ton poste et tes responsabilités actuelles ?

Je couvre une zone de 1300 salariés sur 3 piliers principaux : les relations publiques avec les gouvernements et les entités publiques ; puis, en corollaire, le développement industriel et stratégique de l’aviation du futur, notamment sur les thématiques de décarbonation ; et enfin, la gouvernance.

Comment stratégie et développement commercial s’articulent-ils dans ton métier ?

Les deux sont fondamentalement liés. Dès qu‘on parle de développement commercial, les besoins stratégiques évoluent. Or si on ne fait que s'adapter, on reste très opérationnel et on passe peut-être à côté de l’essentiel. La théorie voudrait qu’une bonne stratégie permette d’aller d'un point A à un point B, entre 5 et 10 ans. Évidemment, dans un monde avec beaucoup d'incertitudes, ce chemin n'est pas sans embûches. La raison d’être d’Airbus depuis 5 ans (« Être les pionniers d'une industrie aérospatiale durable pour un monde sûr et plus uni ») permet de définir une vision à long terme, puis une stratégie régionale.

Quelle est la place du soft power des États dans les décisions stratégiques d’Airbus ?

Il y a du soft power dans la partie civile, et du hard power lorsque les États sont nos clients directs, notamment pour l’aérospatial, la défense et les hélicoptères (recherche en mer ou en haute montagne). L'impact des États sur le développement de l'aérien est essentiel. Nous évaluons avec eux les régulations qui rempliront le mieux leur propre objectif de décarbonation comme le nôtre. Une multinationale a l’avantage de pouvoir éviter les décisions contre-productives. Les régions les plus avancées dans la sécurité aérienne ou la décarbonation aident les gouvernements à prendre ces décisions complexes qui nécessitent une expertise. Très souvent, nous mettons les États en relation avec des organismes experts des thématiques qu'ils recherchent, et qui peuvent les accompagner à développer leur propre réglementation.

Airbus peut-il donc influencer les décisions politiques ?

Absolument ! Mon travail me passionne parce que je vois l’impact direct qu’il peut avoir. Chez Airbus, nous partageons notre plan avec la grande majorité des acteurs industriels de la filière. Notre objectif d’ici à 2030 est de réduire de 63% nos émissions carbone de production par rapport à 2015 (année de l'Accord de Paris), alors même que notre activité est en croissance. Nos objectifs de décarbonation sont maintenant annuels pour échelonner notre cap neutralité carbone en 2050. Cela se traduit par des investissements dans nos différentes chaînes industrielles, et par de nouvelles chaînes décisionnelles.

Nos ambitions vont encore plus loin, avec un objectif d'ici à 2035 de réduction de 46% – validé le mois dernier par la Science-based Targets Initiative, après 2 ans de travail – de l'impact carbone de nos produits sur l'énergie que nous utilisons, et sur toute la durée de vie. Nous avons à la fois une vision et une feuille de route très précise. Nous ne cachons pas derrière des innovations futures.

Quels sont les leviers pour décarboner l’aviation ?

Sur l’innovation, les avions ont aujourd’hui une motorisation qui consomme jusqu’à 25% de moins qu’il y a 15 ans. Les matériaux composites sont plus légers, et nous travaillons aussi sur l’aérodynamisme des avions.

Ensuite, nous travaillons à remplacer peu à peu les énergies fossiles avec de nouveaux biocarburants qui utilisent des déchets organiques ou publics, voire des algues, et avec des carburants de synthèse à base d'hydrogène vert. Selon les données de la coalition Air Transport Action Group (ATAG), les biocarburants devraient représenter un peu plus de 50% de la solution globale pour la neutralité carbone en 2050.

Il faut également optimiser le temps de vol des avions et éviter le sur-place, en particulier dans les aéroports engorgés, grâce notamment à l'intelligence artificielle et au big data.

La fabrication émet toujours du carbone, d’où notre travail aussi sur la partie résiduelle en compensation après avoir agi sur les leviers de réduction. Avec l'hydrogène, l'entité chimique la plus disponible, 3 fois plus puissant énergétiquement et environ 3 fois plus léger par unité de masse que le carburant traditionnel, mais aussi 3 à 4 fois plus volumineux, nous travaillons à accélérer les innovations disruptives. Nous projetons la livraison du premier avion civil à hydrogène pour 2035.

La responsabilité de décarbonation de la société incombe-t-elle surtout aux  constructeurs ?

Non, c'est un travail collectif. Si l’avion à hydrogène existe en 2035 mais que l’hydrogène vert n’arrive pas dans les aéroports, on n'aura pas réduit grand-chose. Le changement d'écosystème, avec le financement et le développement, se travaille donc dès aujourd'hui avec les États. Il faut identifier les premiers aéroports – au départ comme à l'arrivée – qui auront cette technologie, et aider nos clients à avoir accès à ces carburants à hydrogène. Les avions produits aujourd'hui ou commandés pour les 10 prochaines années ne sont pas sur des technologies hydrogène. Ils vont voler pendant 25 ans, et auront besoin de biocarburant. Des associations aident les aéroports dans leur feuille de route de développement. L'Organisation de l'Aviation Civile Internationale (OACI), qui dépend de l'Organisation des Nations Unies, regroupe les différentes filières industrielles au niveau international. Elle a trouvé un accord novateur en novembre dernier sur cette vision Net Zero 2050 pour toute l'aviation : maintenant, les pays sont engagés dans cette décarbonation. C’est d’abord en montrant l'exemple et en étant crédibles dans nos engagements que l’ensemble de la filière pourra avancer. C'est pour cela que nous nous sommes imposé des objectifs validés par les critères les plus stricts.

L’objectif est d’entraîner les autres maillons de l’industrie dans ce sillon de décarbonation…

Exactement. Aujourd’hui, les biocarburants représentent moins de 0,1% de la production. La technologie est connue, mais le retour sur investissement est plus compliqué au départ, comme l'énergie solaire il y a 20 ans. Sur les biocarburants et l'hydrogène, les innovations sont fulgurantes, il y a actuellement une révolution industrielle de la clean tech. Les coûts vont diminuer à mesure qu'il y aura des projets. Reste à accélérer la production de ces biocarburants, grâce à des certifications. Les États ont ce rôle d'accélérateur et  garantissent la transition avec une approche régulatoire.

L’Amérique latine est-elle un nouvel acteur majeur des énergies renouvelables ?

Elle a toutes les capacités pour le devenir. Il y a une biomasse très abondante, encore peu valorisée, et des territoires très vastes où le vent souffle constamment. En pionnier, le Chili est en train d'installer de l'éolien et du solaire dans ses terres. Le désert d'Atacama a un indice solaire parmi les plus élevés au monde. L’électricité renouvelable y est donc peu coûteuse, c’est un gros avantage compétitif. Le Chili se projette même en exportateur net d'hydrogène vert, car la production va dépasser les besoins du pays.

Et pour les biocarburants ?

L’expertise historique de raffinerie pétrolière en Amérique Latine est similaire à l'ingénierie pour les biocarburants.

En revanche, les États ont beaucoup de priorités sociales, de santé, d’éducation, d'économie et d'infrastructures, avant de parler de développement durable. Là aussi, il est essentiel de se parler et de se comprendre, pour avancer ensemble. C’était le fondement d’un concours que nous avons lancé à l’automne dernier au Mexique auprès de compagnies aériennes et d’organismes parapublics, pour montrer l’intérêt des biocarburants sur l’économie et la souveraineté. Les universités et centres d'investigation mexicains ont été appelés à proposer des solutions de production de carburant durable. Sur les 39 dossiers reçus, 3 ont été récompensés lors du salon aéronautique Famex fin avril à Mexico, pour des projets à partir de plantes locales : agave, moringas et Jatropha.

Quelles sont les relations entre l’aérospatial et les autres secteurs, en matière d’innovation ?

Les industries étaient assez cloisonnées, mais un changement est en train de s'opérer. Est-ce dû aux nouvelles manières de travailler, ou est-ce plus facile maintenant de se connecter avec des industries complémentaires, mais qui n'étaient pas forcément partenaires ? Nous avons signé des contrats de coopération avec des acteurs de l'hydrogène, de l’automobile, des secteurs de l'énergie, et nous rencontrons des entreprises très diverses, dans la récupération et le traitement des algues comme dans les microplastiques ou les biocarburants durables. Il y a aussi un changement de dimension lié à la « simplicité technologique » dans laquelle nous vivons, notamment sur des sujets transverses tels que la décarbonation. On ne peut pas travailler chacun dans son coin, à réinventer la roue quand elle a déjà été inventée ailleurs. Paradoxalement, on a besoin de concurrence pour accélérer l'innovation, mais également de coopération pour avancer plus vite.


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