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Interview avec Sabine Racine (MSc Legal and Tax Management 2011), Directrice Éthique et Conformité région AMECA chez Alstom

Interviews

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24/09/2024

Si le Master in Management et le MSc Legal and Tax Management de l’EDHEC Business School ont initialement conduit Sabine Racine vers la carrière d’avocate puis de juriste d’affaires, majoritairement en propriété intellectuelle, c’est avec l’éthique et la conformité (« Ethics & Compliance » en anglais, ou « E&C ») qu’elle a finalement opéré son virage professionnel progressif. Depuis avril 2023, elle couvre les sujets E&C de la région AMECA (Afrique, Moyen-Orient et Asie centrale, soit environ 5000 personnes) d’Alstom sur des missions en plein essor, intéressant à la fois le grand public, la presse et le marché. Elle nous explique comment faire converger ces thématiques avec le management de l’entreprise, face aux risques de corruption qui peuvent toucher chaque étape des projets.

Comment résumerais-tu ton poste et tes responsabilités ?

Il y a avant tout le déploiement et le suivi des procédures E&C  en conservant en permanence un prisme de « maîtrise des risques » : cartographie des risques, conflits d’intérêts, cadeaux et invitations, évaluations de tiers (clients, fournisseurs, partenaires), actions caritatives, sponsoring, lobbying, financement d’activités politiques, données personnelles, paiement de facilitations, sanctions internationales et droit de la concurrence. Je donne aussi énormément de formations auprès de tous les salariés, et je soutiens les dirigeants (fonctions et pays) de la région AMECA, qui doivent traiter d’éthique et de conformité, avec des indicateurs de performance en ce sens.

Il est crucial d’avoir une attention E&C en amont (revue du projet, du pays, des clients, des partenaires), mais également au cours de l’exécution des projets. La corruption peut subvenir à n’importe moment, et pas seulement durant l’appel d’offre. Sur certains projets, la recommandation de l’E&C est même de ne pas s’engager si le risque est trop élevé.

Mon rôle est également de promouvoir la « speak up culture », c’est-à-dire un environnement qui favorise la parole des salariés, en particulier lorsqu’ils ont un doute ou assistent à un comportement non-éthique, grâce à l’instauration d’un environnement propice à la parole sous l’impulsion des managers, et d’un outil d’alerte (anonyme, le cas échéant).

J’anime aussi un réseau d’ambassadeurs E&C dans les pays, et soutiens le département Droits de l’Homme et Responsabilité Sociale et Environnementale (RSE), ainsi que celui des Enquêtes et investigations, menées à part par souci d’indépendance et d’impartialité.

La culture du speak up dépend aussi de la culture managériale et Ressources Humaines (RH) de l’entreprise… 

Nous travaillons à former (parfois avec le soutien des RH) les managers, qui ont la responsabilité d’instaurer un climat de confiance et de libérer la parole, auprès de leurs équipes. En France, partager ouvertement des suspicions ou des situations qui semblent inappropriées est bien moins vu que dans d’autres cultures, comme la culture anglo-saxonne. On parle vite de « délation », mais les mentalités évoluent dans le bon sens, notamment grâce à une évolution législative (en France, la loi Waserman). La culture du speak up permet de détecter très vite le moindre dysfonctionnement. Il est important de rassurer sur le fait qu’il n’y aura pas de représailles en interne ou externe (licenciement, pressions, lynchage…) et que l’entreprise garantit la complète confidentialité dans le traitement des alertes. Cette culture est complexe à mettre en place, mais c’est la voie que les grandes entreprises françaises choisissent d’emprunter, avec tous les bénéfices qu’elle apporte.

Les métiers de l’Éthique et de la Conformité existent-ils depuis longtemps ou sont-ils nés suite à de récents scandales ?

Je ne pense pas que l’éthique soit innée au monde des affaires et aux entreprises. De grandes entreprises ont été condamnées pour corruption ou pratiques anti-concurrentielles, on a pu voir des scandales étalés dans la presse. On assiste à un foisonnement de lois et de régulations partout dans le monde pour lutter contre la corruption : la loi Sapin 2 en France, le Foreign Corrupt Practices Act aux États-Unis, l’UK Bribery Act, la Convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales de l’OCDE... Ces scandales et le contexte législatif de plus en plus tendu ont accéléré la naissance des départements Éthique et Conformité. Cette casquette était auparavant portée par les juristes qui pilotaient le droit pénal et le droit de la concurrence. Aujourd’hui, les Compliance Officers sont présents dans toutes les grandes entreprises, et travaillent main dans la main avec les juristes, mais ce sont des métiers et départements à part.  

Sur un tout autre registre, il y a également une vraie demande des « consommateurs » (et de la jeune génération), qui exigent de l’entreprise une démarche « éthique » au sens large. On attend d’elle une démarche éthique sur le long terme, et plus seulement de rémunérer les actionnaires. Cela s’inscrit dans un contexte législatif qui suit cette tendance, notamment avec la loi Pacte qui a instauré une « raison d’être des entreprises ». Une entreprise « éthique » – preuves à l’appui – attire plus d’investisseurs et des profils à l’embauche.

Enfin, les départements éthiques dépendent des initiatives propres à chaque entreprise et de la personnalité du top management, si ces sujets leur tiennent à cœur. C’est le cas chez Alstom, avec des leaders très engagés en ce sens.

N’y a-t-il pas un risque de greenwashing à vouloir communiquer sur les pratiques vertueuses d’une entreprise ?

C’est toute la complexité de la communication. Je suis persuadée que la communication (externe et interne) est un atout majeur de l’E&C, quand elle est bien utilisée. Il s’agit d’ailleurs d’une des recommandations de l’Agence française anticorruption (AFA). Il y a un côté « procédurier » dans l’E&C, et il peut être intéressant de « marketer » certains aspects pour le rendre plus accessible aux collaborateurs, investisseurs et partenaires.

Il est primordial selon moi de saisir toutes les occasions pour rappeler des principes ou victoires E&C. Par exemple, il était important de communiquer sur le renouvellement récent de notre certification ISO 37001, preuve de notre engagement et de nos efforts en la matière.

Si aucune entreprise n’est parfaite, il n’empêche qu’il est important de pouvoir communiquer sur ses bonnes pratiques quand elles existent.

Comment la corruption peut-elle entrer dans une entreprise ? 

Elle peut entrer de plusieurs manières. Certaines activités, comme celles qui impliquent des interactions avec des personnes ou organismes publics, sont plus à risques. Des représentants et agents qui agissent pour le compte de l’entreprise, représentent également un vecteur de corruption. En outre,  la « petite » corruption, quand elle se répète régulièrement et sur une longue durée – par exemple un cadeau de faible valeur pendant des années –, peut devenir problématique. La formation est ici essentielle, l’objectif étant que les salariés aient les bons outils et réflexes pour réagir quand ils sont sollicités ou témoins de comportements non-éthiques.

Dans une entreprise de transports comme Alstom, avec de nombreux partenariats publics et privés, comment arrivez-vous à harmoniser la politique E&C avec toutes les parties prenantes ?

Certaines parties prenantes peuvent avoir des règles internes différentes, la clé étant de s’assurer qu’il y a un socle minimal de valeurs éthiques communes. Nos fournisseurs s’engagent aux mêmes standards éthiques que les nôtres, et nous sensibilisons régulièrement nos partenaires, clients et sous-traitants.  

Qu’apporte le lien direct de l’Éthique et Conformité avec la direction générale ?

Le lien direct avec la direction générale montre que l’E&C est une priorité absolue dans la conduite du business. Mais pour éviter les conflits d’intérêts, les entreprises doivent mettre en place des garde-fous afin que les Chief Compliance Officers aient l’indépendance et les compétences nécessaires dans leurs politiques E&C. L’engagement et la confiance de la direction générale pour mener à bien les politiques E&C sont au cœur de la lutte contre la corruption. Les enjeux sont énormes : les salariés peuvent aller en prison, les amendes peuvent être colossales, une entreprise peut subir des interdictions de participer à des projets financés par des banques voire être exclue de certains marchés publics.

Ta double casquette business / droit est-elle la seule porte d’entrée pour travailler dans l’E&C ? 

Pas nécessairement, mais il faut bien connaître le business et l’industrie afin de gérer au mieux les risques E&C. De nombreuses casquettes permettent d’accéder à ce métier : droit, commerce, mais aussi finance, audit, contrôle interne, gestion de risques. Il faut apprécier la pluridiscipline, être très rigoureux et concret, ainsi qu’aimer la communication accompagnée de formation. Je côtoie des Compliance Officers formidables qui n’ont pas du tout le même profil que moi. C’est un métier très concret, comparé à ma carrière de juriste, qui était plus axée « contrats ». Aujourd’hui, je vis au milieu des projets, en phase d’appels d’offres, d’exécution, en travaillant main dans la main avec le business et les dirigeants.

 

Plus d’informations sur les engagements éthiques d’Alstom


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