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Anne-Sophie Nomblot (EDHEC Master 2004), Présidente du réseau SNCF Mixité

Interviews

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13/12/2023

Né il y a un peu plus de 10 ans, le réseau SNCF Mixité (et ses 12 000 membres) est, en France, le plus grand consacré à la thématique, et le seul avec une présidente à temps plein. Anne-Sophie Nomblot (EDHEC Master 2004) nous parle des initiatives mises en place vers un idéal de l’égalité femmes-hommes, et des collaborations avec d’autres entités actrices de la diversité en entreprise !

Comment résumerais-tu ton poste et tes responsabilités actuelles ?

Mon rôle est de définir la trajectoire mixité de la SNCF en lien avec la direction des Ressources humaines (DRH), et d'animer une communauté d’environ 80 personnes volontaires dans le Groupe. Des « ambassades » par type de métier et par région géographique, en France et à l'international, à tous niveaux hiérarchiques, organisent localement des rencontres, événements et formations, en lien avec la stratégie nationale. Nous les réunissons régulièrement, les animons et leur proposons du contenu.

Je fais aussi partie de la direction de l'Engagement social, territorial et environnemental, qui comporte un pôle « Innovation et transformation », dont fait partie le réseau SNCF Mixité. 

Tu te consacres entièrement à la mixité, après avoir eu des expériences managériales et opérationnelles. À quel moment as-tu décidé de te concentrer à temps plein sur la mixité ? 

Cela s'est fait petit à petit. Je n'étais pas spécialement féministe ou engagée, cela ne faisait pas partie de mon éducation. Quand je suis devenue cheffe de gare à Marne-la-Vallée, une délégation japonaise en visite m’a offert une cravate comme cadeau, car il était naturel pour elle que ce poste soit occupé par un homme. Cette histoire a allumé une première lumière. À la création du réseau, j'ai commencé à participer à des ateliers de développement personnel. Ensuite, j'ai été mentorée dans le cadre du réseau. J'ai également été ambassadrice, puis intrapreneuse. C'est grâce au réseau que ma conscience de ces enjeux a grandi. 

Quelles compétences aimes-tu mettre en avant sur ce poste ?

C’est la somme des capacités transverses en gestion de projet que j’ai développées sur mes postes opérationnels précédents ! Je trouve aussi très important de mettre en valeur, dans les entretiens annuels, les compétences que les ambassadeurs et ambassadrices ont développées sur le terrain (contacts dans l'entreprise, prise de parole en public…). Cet engagement personnel bénéficie à l'entreprise, qui doit leur fournir en retour des moyens humains et financiers, et leur apporter une reconnaissance. Je communique donc aux managers de nos ambassadrices et ambassadeurs les actions mises en place chaque année.

Le changement de nom du réseau, de « SNCF au féminin » vers « SNCF Mixité » en 2021, s’est-il accompagné d’un regard différent porté par les hommes ?

Oui, en effet. Avant 2021, beaucoup d’hommes étaient sensibilisés et avaient envie d'agir, mais certains se demandaient s'ils étaient les bienvenus. Or cela concerne tout le monde ! Il y a maintenant environ 25% d'hommes dans le réseau. En moyenne, les femmes sont un peu plus sensibles à ces sujets que les hommes, et les jeunes davantage que les plus âgés. Mais il y a tellement de disparités que je me garderais bien de faire un portrait-type, car il serait probablement faux !

À la SNCF, comment s’arbitre l'égalité hommes-femmes par rapport, plus largement, à la diversité ?

À la DRH, le pôle « Diversité et inclusion » gère l’ensemble des questions de diversité dans le cadre d'accords sociaux. Ensuite, plusieurs initiatives du Groupe, comme l'association LGBT+ (Gare!), ou celle de diversité cognitive (Douances et Zébritudes), peuvent mettre en œuvre des actions plus précises. Des directeurs d’établissements m’ont par exemple sollicitée sur les modalités pratiques après qu'une personne de leur équipe avait fait sa transition de genre : changement d’adresse mail, vestiaires, toilettes… Nous sommes souvent amenés à faire le lien avec l'association qui sait gérer ce genre de situations et effectue ensuite un travail d'accompagnement.

Nous nous sommes refusés d’embrasser l'ensemble de la diversité, d’une part car les femmes constituent la moitié de l'humanité et car il y a encore beaucoup à faire, d’autre part car il est illégal d’avoir des statistiques sur la couleur de peau, l'orientation sexuelle ou le handicap, ce qui fait que le pilotage de ces sujets est très différent. 

Comment arrive-t-on à ancrer les pratiques dans l'entreprise ?

Nous chiffrons la trajectoire sur la mixité. Nous restons vigilants à l'égalité salariale femmes-hommes – moins d’1% d’écart car nos grilles de rémunération sont celles d’une entreprise publique –, la place des femmes dans les instances de direction et dans les postes techniques, et la lutte contre le sexisme et le harcèlement sexuel. De nouveaux sujets voient enfin le jour, comme l’égalité d’accès aux formations. Il n’y a pas que des indicateurs, il s’agit d’un vrai changement de culture d’entreprise, au plus près des gens.

Sur les violences conjugales, la SNCF peut fournir un accompagnement d’urgence ou mettre en place une cellule d’aide psychologique pour les enfants. Nous entraînons les collègues et les managers à savoir identifier des signaux faibles de violences. J’ai aussi formé les ambassadeurs et ambassadrices à accueillir la parole des victimes de violences conjugales, de sexisme ou de harcèlement sexuel.

Les actions du réseau SNCF Mixité visent-elles aussi les usagères et usagers ?

In fine, oui. De plus en plus d’études montrent que les femmes ne voyagent pas de la même manière que les hommes, notamment sur les trajets du quotidien. Les hommes font surtout des trajets travail-domicile (et en voiture), les femmes font moins de kilomètres et davantage d’arrêts intermédiaires (pour aller chercher les enfants ou le pain). De plus, le sentiment d’insécurité dans les transports en commun pour les femmes est bien plus important que pour les hommes. Cela amène à réfléchir sur l’offre proposée, à partir d’études intégrant le genre, le motif et l’horaire du voyage. 

Dans Femmes invisibles, l’autrice Caroline Criado Perez cite la ville de Karlskoga en Suède, qui a un jour décidé de déneiger les pistes cyclables et les trottoirs en priorité – plutôt que d’abord les routes, ce qu’elle avait toujours fait –, pour permettre aux femmes de mieux circuler. Les dépenses de santé ont baissé, le risque d’accidents a diminué. L’urbanisme et le ferroviaire sont souvent pensés par des hommes. Inclure les 2 genres dans la réflexion permet de poser les questions autrement, pour des changements qui bénéficient à tout le monde.

La diversité ne devrait-elle pas être impulsée par le pouvoir politique plutôt que par les entreprises ?

En RSE, on parle souvent du « triangle d’inaction » : les 3 grands acteurs que sont la force publique (le politique), les entreprises et les citoyens se renvoient la balle. Les citoyens voudront se plier au tri des déchets dès lors qu’une loi les y obligera, le politique dira que c’est aux entreprises de mieux trier. Pourtant, c’est plutôt l’inverse sur les enjeux de diversité. Beaucoup de lois sont passées, notamment la loi « Rixain » sur le quota de 40% de femmes dans les Comités exécutifs. On en est encore loin en France. Néanmoins, il existe bel et bien une pression politique sur l'égalité femmes-hommes. Certaines entreprises suivent, d'autres anticipent, ce qu'elles ne faisaient pas avant. D'un point de vue citoyen également, de nombreux progrès sont faits dans le tissu associatif. On observe de réels progrès partout dans le triptyque. 

Les lois et quotas mis en place sont-ils rétrospectivement bénéfiques pour les femmes ?

Je pense que c'est un passage obligé et transitoire. On pourrait faire les choses de façon un peu plus douce, mais ce sont les lois qui permettent aux femmes d'accéder à des positions stratégiques. Les autres pays européens n’ont pas ces lois, et c’est en France qu’on retrouve le plus grand nombre de femmes dans les conseils d’administration. La féminisation de la sphère professionnelle a aussi amené avec elle une plus grande diversité d'origines et un rajeunissement des conseils d'administration. Ces lois ont fait gagner 25 ans aux femmes. Cependant, le nombre d'hommes présents en Comex n'a pas particulièrement diminué. Il s'agit plutôt d'une augmentation du nombre de chaises dans l’assemblée, qui sont occupées à présent par des femmes. Le prochain cheval de bataille sera d'éviter que les postes stratégiques ne soient attribués qu’aux hommes. 

En tant que plus gros réseau féminin de France, avez-vous un rôle à jouer auprès des autres entreprises pour développer ce système ? 

Oui, bien sûr, il existe d'ailleurs des méta-réseaux autour de la mixité, tels que l'Alliance de la mixité en entreprise ou l'Observatoire de la mixité ; de nombreux acteurs se réunissent entre collègues d'entreprises du privé et du public pour partager les bonnes pratiques et déployer des idées à grande échelle. Nous essayons d'avoir un impact sur les jeunes : des personnes formées interviennent dans les collèges et les lycées sur les stéréotypes accrus de genre à l'orientation (garçons qui s'orientent vers les métiers techniques, filles vers le care), et désormais le harcèlement des jeunes filles dans les transports.

Le réseau SNCF Mixité deviendra-t-il un jour inutile ?

Un jour, je voudrais parler des inégalités femmes-hommes au passé ! Il reste néanmoins beaucoup de chemin. Pour être honnête, le pourcentage de 24% de femmes à la SNCF occulte encore à juste titre nos efforts pour la place des femmes dans les métiers techniques. Malgré toutes nos initiatives, nous sommes encore loin d’être irréprochables.

Je ne suis d’ailleurs pas certaine que la situation soit meilleure dans la nouvelle génération, notamment sur le sexisme. Je ne suis donc pas encore complètement optimiste. Mais imaginons que nous y arrivions quand même et que tous les métiers de la SNCF soient paritaires, que l'égalité salariale soit une réalité : le sujet ne sera plus la mixité, mais je pense que le principe du réseau survivra. Ce fonctionnement atypique, hiérarchiquement transverse, fait émerger des innovations et marche comme un incubateur : nos remontées terrain viennent de partout et génèrent de nombreux projets à petite ou à grande échelle.


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