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Stanislas Gruau (EDHEC Master 2009), l’aventure comme vecteur de changement

Interviews

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09/12/2022

Stanislas Gruau a le sport dans la peau. Il bat le record de la traversée Lille-Nice (entre les deux campus EDHEC) à la course à pied en 2011, il co-fonde (avec Alix Gauthier) l’agence de voyage d’aventure Explora Project en 2018. Du trading de matières premières pour Cargill – son ancienne vie – à l’entrepreneuriat responsable, des plateaux télé de « Qui veut être mon associé ? » (M6) aux actions écologiques locales, ce caméléon est devenu le témoin des besoins d’ailleurs et des loisirs « autrement », ainsi que de la reconnexion à soi et au monde. Instantanés de concrètes aspirations générationnelles. 

Pourrais-tu nous décrire ton poste et tes responsabilités ?

Je suis CEO d’Explora Project, une travel tech du voyage pleine nature responsable. Comme dans toutes les start-ups, la valeur ajoutée pérenne doit venir de solutions de financement et d’une vision suffisamment en rupture avec le secteur. Je gère aussi les relations interpersonnelles dans cette organisation de 30 personnes, et je suis l’image extérieure de la boîte, notamment sur les réseaux sociaux, tout en ayant un point de vue sur tous les départements aux côtés de mon associée Alix, même si je ne suis expert d’aucun !

L’aventure est-elle le seul moyen de décarboner le tourisme ?

Non, mais le marché du voyage d’aventure est très avancé sur la conscience environnementale. C’est un tourisme loin des zones de sur-tourisme. Le flux crée la bétonisation, la bétonisation appelle le rendement, et le rendement amène le flux. Pour sortir de cette spirale, il faut raconter de nouveaux ailleurs, être capable de stimuler par autre chose que la reproduction d’une photo ou d’un imaginaire de vacances. Le tourisme d’aventure essaie de repeupler l’espace, car 95% des touristes de la planète sont sur 5% du territoire. Hors des sentiers battus, avec des moyens de déplacement et des activités souvent à traction humaine ou animale, il dispose de moins d’infrastructures et consomme donc beaucoup moins d’énergie.

La COVID a contraint le tourisme classique. Les hôtels ne pouvaient pas ouvrir, les restaurants étaient fermés. Il a fallu trouver des solutions plus proches de l’environnement. Les refuges non-gardés étaient bondés et cette niche a grossi sous nos yeux. Au-delà de l’engagement environnemental, le voyage d’aventure porte énormément de valeurs de reconnexion à la nature et à son corps : retrouver la place de l’Homme, reprendre le temps, donner du sens à sa vie. C’est un cheval de Troie pour changer le secteur, qui regroupe les problématiques de la société actuelle.

Comment conserver ces valeurs alors que le marché explose ?

À l’intérieur de ce marché du voyage d’aventure, qui propose des activités en pleine nature, un certain nombre de sous-catégories ne sont pas adaptées au défi climatique, comme du kitesurf à Bali ou au Brésil sur quelques jours. Le voyage d’aventure durable, notre niche de niche, essaie d’expliquer au voyage d’aventure plus « long-courrier » qu‘il y a un danger à grandir. L’avion est le nœud du problème. Dans l’échelle carbone, tout le reste est quasiment un détail. Malgré notre croissance, on tient à diminuer encore davantage la part de l’avion dans notre catalogue (aujourd’hui à 14%) pour devenir la première agence de voyage européenne sans avion. Depuis 2020, Explora Project est la première agence de voyage française à mission. Notre raison d’être est d’offrir au plus grand nombre une expérience de voyage et un impact positif pour l’homme et l’environnement, et de convertir de plus en plus de personnes à cette manière de voyager. Quand on sait que le simple fait de bouger a un impact carbone, il faut surtout compenser avec des actions positives au-delà des participants.

Cette raison d’être a-t-elle donc pour vocation à changer le mode de vie des personnes qui voyagent avec Explora Project ? 

Quel que soit le secteur, la démarche éco-responsable suit quatre étapes. D’abord, mesurer l’empreinte carbone ; puis, réduire les émissions au maximum tout en conservant une viabilité économique qui permette de garder une croissance et un impact sur le plus grand nombre (c’est d’ailleurs là qu’économie et écologie s’entrechoquent) ; ensuite, neutraliser ou compenser le résiduel, par exemple avec des partenariats avec des forêts ; enfin, engager collaborateurs, clients, membres et followers sur toutes les sphères de leur vie, et que ça devienne le prisme d’analyse de leur consommation quotidienne. Ces quatre cercles sont de plus en plus diffus et nombreux. Notre approche consiste à proposer des actions toujours locales (collectes de déchets à Annecy…), parce que même si on a tous compris l’urgence climatique, tant que ça ne change pas notre vie, à part une éco-anxiété inconsciente, on ne sait pas quoi faire concrètement. Ce sujet est une charge mentale pour beaucoup. Il faut donc le tourner de manière plus légère. Les clients viennent chez nous pour se changer les idées, vivre des émotions fortes, mais pas nécessairement pour du voyage responsable. Si on attaque direct en expliquant l’impact de leur voyage, il y a un désengagement absolu. C’est à faire en pointillé, en fonction de là où ils en sont dans leur processus personnel.

Y a-t-il une évolution de l’approche du voyage, de la simple photo instagrammable vers une expérience où l’on vivrait de « nouveaux ailleurs », comme tu l’évoquais ?

Les réseaux sociaux évoluent. Ce qui était instagrammable il y a quelques années – de la très belle photo – ne l’est plus aujourd’hui, puisque des gens face caméra racontent sincèrement leurs émotions et font pleurer de l’autre côté de l’écran. Aujourd’hui, on constate un changement dans l’univers du voyage, de l’ordre du choc générationnel. Pour caricaturer : la génération née dans les années 50 et 60 souhaitait voyager confortablement après avoir travaillé durement pendant l’année. C’était du voyage sur-mesure, dans lequel plus on avait d’argent, plus on allait loin et mettait du luxe. La génération Z propose une autre projection de voyage : le voyage expérientiel et sensoriel, peu importe où, pour se sentir appartenir à la planète ensemble, dans la stupéfaction face à notre monde. Pas juste d’aller dans tel ou tel pays, comme quand j’étais petit. Aujourd’hui, on accepte un groupe de gens qu’on ne connaît pas mais qu’on a choisi. Avec les réseaux sociaux, on peut suffisamment s’informer sur la vie des autres pour savoir si on a envie de partir avec eux. Ce n’est plus la loterie de voyage de groupe. Ces expériences partagées, puissantes émotionnellement, passent par le dépassement de soi dans un respect de l’environnement, qui se retrouve dans les habitudes de consommation. Plus ils sont jeunes, plus ils sont engagés là-dessus, mais moins ils ont d’argent. Plus ils sont âgés, la tendance s’inverse sur les deux points. 95% des 25 à 45 ans ne partent pas en vacances avec des agences de voyage, ce qui montre que l’offre qui existait était peu adaptée pour eux.

La notion d’expérience s’est généralisée à toutes les strates de la société. En quoi est-elle différente chez Explora Project ?

Tous les secteurs ont leurs spécificités. L’expérience est ce qu’on a chez l’un mais pas chez l’autre. Avec Explora, on a l’avantage d’un environnement dépaysant qui fonctionne sur presque tous les sens des clients. Ils en ont plein les yeux, c’est la nature avec ses odeurs et ses bruits. La nourriture est locale et bio, sans déchets. On a toute une chaîne de fournisseurs, et le guide va toujours inclure des produits du jour. L’univers ne fait bien sûr pas tout, mais à partir du moment où les sens sont en alerte, on est extrêmement sensible à ce qu’on vit, et c’est beaucoup plus facile de se souvenir de paysages avec des émotions fortes. Comme dans les moments où on est épuisé ou survolté en trail, on photographie mentalement les endroits qui ont contribué à cette expérience-là. Reste à faire entrer de l’émotion dans l’équation. C’est ce qui remplir les artères du souvenir. Je pense que c’est en étant en-dehors de sa zone de confort, avec des personnes qu’on ne connaît pas sur le papier. Ce qui joue, c’est donc la nécessité de créer du lien, la survie personnelle, la cohésion du groupe. Certains sont moins sportifs que d’autres, certains galèrent plus mais n’osent pas dire qu’ils ont mal au dos, d’autres vont vouloir se montrer en courant à l’avant, d’autres acceptent de se répartir les charges. Un groupe naît de lui-même dans un lieu complètement différent, toutes les barrières sociales tombent. Il faut arriver à avoir les bonnes personnes sur la bonne expédition avec le bon niveau, sur la bonne aventure, pour que l’émotion par le dépassement de soi prenne, que tous les marqueurs de l’expérience sensorielle se mettent en place et que les clients n’oublient jamais ce moment.

L’émission « Qui veut être mon associé ? », est-ce un exercice similaire à une levée de fonds traditionnelle ou y-a-t-il également des contraintes liées à l’image ? 

Ce n’est effectivement pas du tout le même exercice qu’un pitch investisseur. En fait, c’est la continuité des réseaux sociaux. Comme un énorme live Instagram. Avec les mêmes codes, la nécessité d’être clair, captivant, synthétique, sans que les gens zappent, s’adapter à l’audience, être prudent sur le jargon pour ne pas apparaître comme un sachant. Il faut savoir ce qu’on peut se permettre de dire avec son passif, son physique, son secteur. À la télé, étant donné l’énorme volumétrie de l’audimat, c’est dangereux de paraître trop sûr de soi, trop business, ou de ne pas assez vulgariser son activité. Alors que pour les investisseurs, qui sont les mêmes que ceux avec qui on échange habituellement, on ne sera jamais « trop », d’autant qu’ils posent de vraies questions. C’est un exercice d’entre-deux. Il faut arriver à comprendre en fait l’enjeu réel – créer de l’engagement chez les 2 millions de téléspectateurs – et le canal – être crédible devant des investisseurs. Ça reste un exercice de communication, qu’on a vécu comme un ascenseur émotionnel inédit : jusqu’à 400 000 connexions minute sur le site, les réseaux sociaux qui explosent, des dizaines de milliers de tweets, des déclarations d’amour, des insultes et même des menaces de mort !

Ce personal branding t’apporte-t-il des clients ?

Il est toujours difficile de mesurer le chemin entre les réseaux sociaux, le site et moi. Je peux porter des messages que je ne peux pas nécessairement porter avec la marque, et c’est aujourd’hui la manière la moins chère et la plus efficace de le faire. C’est encore très expérimental, et on peut parfois avoir du mal à y trouver une partie business, même si des marques incarnées portent plus facilement des messages. J’ai participé à la dernière saison de « Ninja Warrior : Le Parcours des héros », qui sera diffusée sur TF1 en janvier et février prochains. Je l’ai fait à titre personnel, mais ça me paraît plutôt cohérent de mettre en miroir mon personal branding de sportif et le voyage d’aventure. Le présentateur Denis Brogniart est d’ailleurs déjà parti avec Explora Project. Ce n’est jamais mauvais d’être en prime time sur TF1 ! On revient toujours au même sujet : être populaire ou dans la masse, dégrader son image personnelle, sa marque ou ses valeurs au profit de l’audience, et dépendre d’un montage qu’on ne contrôle pas. Je n’ai pas d’avis tranché, je crois que c’est un sujet qui mérite d’être exploré !


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