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Sophie Chabaud (EDHEC Master 1989) : « Il y a profondément quelque chose de bien en chacun »

Interviews

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16/12/2021

Agence de communication, événements sportifs, industrie automobile, téléphonie… Les secteurs dans lesquels Sophie Chabaud (EDHEC Master 1989) a évolué sont tous marqués du sceau des compétences en communication. Elle a rejoint en 2011 la Fondation Apprentis d’Auteuil, dont elle est désormais directrice adjointe de la Communication, des Relations de bienfaiteurs et des Ressources. Elle participe notamment au développement de la notoriété de la fondation et à la définition des messages de cette structure foisonnante et créative, qui compte 300 établissements et dispositifs et accueille 30 000 jeunes en difficulté sociale, scolaire ou familiale. Qu’est-ce qui fait vibrer de l’intérieur une fondation de plus de 150 ans ? Qu’est-ce qui anime ses collaborateurs ? Réponses avec une passionnée.

 

Comment résumerais-tu ton poste et tes responsabilités actuelles ?

J’ai deux casquettes : d’une part la communication, dont l’objectif est d’assurer le rayonnement de la Fondation, de développer sa notoriété et son image ; je suis également directrice adjointe sur l’ensemble des activités de collecte (mécénat, marketing,  philanthropie, libéralités), qui représentent 42% de nos ressources.

 

Quel socle commun en communication as-tu réutilisé de tes différentes expériences avant celle-ci ?  

En termes de compétences métiers, le socle commun est fort. On ne fait pas du copier-coller, mais ce sont souvent les mêmes réflexes, problématiques et types de questionnements quel que soit le secteur. Je travaille beaucoup sur les stratégies de contenu : c’est là qu’il y a le plus d’écart et un fort besoin d’immersion et d’apprentissage. Quand on passe par exemple de la stratégie de produit chez Renault (donc l’industrie) au secteur de la protection de l’enfance, de la formation ou de l’insertion, ça n’a plus rien à voir.

 

À qui s’adresse la Fondation Apprentis d’Auteuil ?

Nous sommes multi-cibles. La cible grand public permet de faire connaître la fondation et les spécificités de son action. Il faut aussi actualiser la connaissance de la fondation, car certains gardent encore l’image des orphelinats, qui étaient la première mission de la fondation. Nos campagnes ciblent ceux qui vont devenir sympathisants, et peut-être un jour donateurs. Un enjeu assez récent est d’y inclure les potentiels collaborateurs, ce qui implique une dimension forte de marque employeur : nous recrutons beaucoup et avons besoin d’être attractifs sur les métiers du social, des métiers peu valorisés, avec des conditions de travail souvent compliquées.

Nous souhaitons aussi sensibiliser et changer le regard des gens sur les jeunes et familles que nous accompagnons. C’est ce qu’on appelle le « plaidoyer », équivalent du lobbying dans le secteur privé, mais qui vise l’intérêt général, contrairement au lobbying qui défend des intérêts privés : ça consiste à infléchir les politiques publiques pour qu’elles soient plus favorables aux personnes que nous accompagnons. Ici, la dimension institutionnelle et politique est clé. 

La communication interne est par ailleurs indispensable pour la cohésion de notre effectif de 6 000 collaborateurs (auxquels s’ajoutent jusqu’à 3 000 bénévoles), dont l’essentiel regroupe des éducateurs, des enseignants, des surveillants de nuit,  des psychologues,...

Enfin, nous nous adressons aux jeunes et à leurs parents, en particulier pour nos collèges, lycées professionnels et dispositifs d’insertion. Pour ces derniers, nous allons par exemple de plus en plus cibler les NEETs (NDLR, acronyme anglais de « neither in employment nor in education or training », se référant aux jeunes de 15 à 29 ans qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation) parfois appelés « les invisibles ». Et comme cette terminologie l’indique, ils ne sont pas faciles à trouver ! Il y a un vrai enjeu à faire savoir que nous existons et que nous pouvons être une solution pour ces jeunes qui ne rentrent pas dans les schémas classiques. 

 

Dans votre communication, comment être sincère sans trop tirer sur la corde sensible ? 

C’est en effet un numéro d’équilibriste auquel je suis très sensible. Dans ce type de structures, il peut y avoir un fossé entre le marketing direct, qui a pour objectif d’inciter à passer à l’action, et les messages qui souhaitent exprimer des réalités. C’est pourquoi nous avons rassemblé la direction de la communication et la direction des ressources en une seule entité, il y a quelques années, en accompagnant les équipes pour une meilleure collaboration : pour viser une cohérence de nos messages et communications. Nous souhaitons refléter, avec le plus d’authenticité possible, ce qui se vit dans nos établissements.  La communication s’appuie donc beaucoup sur les témoignages et la parole des jeunes et des collaborateurs. Nous avons réussi à avoir un marketing moins « larme à l’œil ». Notre communication est volontairement fondée sur  les valeurs positives de la religion catholique comme l’espérance. 

 

Comment équilibrer l’identité catholique de la fondation et son ouverture à tous ?  

Nous sommes une fondation catholique, reconnue d’utilité publique en 1929. Nous servons l’intérêt général tout en nous appuyant sur notre identité et un socle de valeurs issues de l’Évangile.. Pour un certain nombre de personnes, cette continuité est plutôt rassurante car elle apparaît comme un élément de stabilité depuis la création de la fondation,  il y a plus de 150 ans. La mission est restée la même – accompagner les jeunes qui rencontrent, à un moment de leur parcours, des difficultés, pour en faire des « hommes et des femmes debout » –, et s’est adaptée au fil des siècles. Cela peut parfois jouer au niveau des donateurs, en fonction de leur croyance ou non-croyance, mais chacun entend ces valeurs humanistes comme il le veut. Nous accueillons des jeunes de toutes  religions, bien entendu. Originaires de France ou d’autres pays, comme les mineurs non accompagnés. . Certaines personnes musulmanes sont rassurées d’être dans un environnement avec des croyances religieuses, même si ce ne sont pas les leurs. Le partage interculturel et interreligieux est très important pour nous. Lors d’une convention des directeurs en début d’année, nous avions fait intervenir le grand rabbin de France, l’archevêque de Marseille et le recteur de la Mosquée de Paris. Ces moments de compréhension mutuelle sont centraux et favorisent l’ouverture à l’autre. Que l’on soit croyant ou non, la foi en l’Homme est le socle de notre approche. Nous sommes convaincus qu’il y a profondément quelque chose de bien en chacun, bien que parfois, ce que les personnes ont vécu le rende plus difficile (mais pas impossible) à trouver. Pour des enfants abîmés, reprendre confiance, c’est déjà beaucoup.

 

Comment avoir un impact sur les politiques publiques ? 

Là aussi, il faut commencer par « faire savoir », par le témoignage et l’immersion. Changer les regards, c’est aussi un des objectifs de notre campagne de communication. Nous invitons les responsables politiques dans nos maisons d’enfants, nos écoles, nos maisons des familles, et ils sont souvent très touchés et comprennent mieux les réalités des jeunes, et les enjeux. Une équipe est dédiée au plaidoyer : elle identifie, en lien avec les équipes sur le terrain, ce qu’il faudrait changer dans les lois pour qu’elles soient plus favorables aux jeunes et combattre ainsi les dysfonctionnements qui affectent la vie des enfants qu’on accompagne. C’est un travail de lobbyiste, mais pour le bien commun. C’est un combat quotidien, mais il est clair que les élections présidentielles et législatives sont des temps forts de notre action. Par exemple, en vue des élections de 2022, nous préparons une grande campagne de mobilisation pour engager le grand public à « prendre le parti des jeunes » ! Avec comme socle, un petit bouquin, qui s’appuie sur  la parole de milliers de jeunes et collaborateurs que nous avons écoutés via une concertation. Nous défendons des convictions en nous appuyant sur leur parole, leurs idées et sur les solutions qu’on expérimente sur le terrain. Sur cette base, l’enjeu est de formuler des propositions concrètes pour faire bouger les lignes ! Et de les partager avec les équipes de campagne, les politiques mais aussi le grand public. 

 

Comment la Fondation Apprentis d’Auteuil choisit-elle les projets qu’elle porte ? 

En matière d’insertion, il y a plusieurs cas de figure. Nous pouvons identifier des besoins qui n’ont pas encore de réponse. Nous en construisons alors une, seuls ou avec des partenaires, et cherchons les financements pour la mener à bien. C’est de l’ingénierie sociale. L’avantage de notre financement basé sur des fonds publics (58%) et privés (42%), est d’agir en complément des politiques publiques, et donc de pouvoir financer la partie innovation avec des fonds privés ; et, si cela fonctionne,  de développer ces dispositifs et de les essaimer.

Il nous arrive aussi de répondre à des appels à projets. Il y en a eu un certain nombre sous la présidence d’Emmanuel Macron, notamment dans l’insertion, avec les Plans d’Investissement dans les Compétences. Ces appels à projets peuvent concerner une thématique générale partout en France (y compris en outre-mer) où la jeunesse est particulièrement en souffrance, ou encore  des territoires précis. Nous proposons alors de  développer des dispositifs qui ont déjà fait leurs preuves  ou d’en créer de nouveaux. L’État finance en général une grande partie (de l’ordre de 80%) ; charge à nous d’aller chercher les 20% restants, via le mécénat ou la philanthropie. Outre les impacts de nos actions que nous nous devons de mesurer, nous expérimentons aussi des approches que nous partageons en vue d’une mutualisation avec d’autres acteurs.  Par exemple, sur l’insertion, nous avons utilisé le design thinking pour aller « sourcer » les jeunes, et avons partagé cette expérience à l’issue de 18 mois de travail. 

 

« C’est dur d’avoir 20 ans en 2020 ». Quel regard as-tu sur la situation des jeunes en 2021 ?  

 Les confinements ont été plus compliqués pour les jeunes en difficulté, car ils sont plus éloignés de l’école, n’ont pas forcément d’ordinateur chez eux, et ont besoin d’un accompagnement renforcé. En revanche, ça a permis il me semble de remettre les jeunes en avant ; on a notamment beaucoup parlé de santé mentale. C’était une nécessité, face à la croissance en besoin d’accompagnement psychologique, chez les enfants placés par exemple (mais pas seulement), qui ont parfois du mal à être accompagnés pour des raisons financières ou par manque de pédopsychiatres. La violence est aussi un sujet exacerbé ces dernières années, et qui remonte fortement de nos écoutes terrain: violence institutionnelle, violence intrafamiliale, prostitution des jeunes filles. Nous militons pour le respect des droits de l’enfant, à l’autre bout du monde tout comme en France, où les droits peuvent aussi être non-respectés, voire inconnus des enfants eux-mêmes.

 

Quelles ont été les conséquences de l’isolement lié au Covid ? 

Le risque des confinements, c’est que les jeunes se replient davantage sur eux-mêmes, avec des réseaux sociaux qui « ferment » plus qu’ils n’ « ouvrent », surtout pour des adolescents déjà fragilisés. À Apprentis d’Auteuil, nous croyons beaucoup en la rencontre. Quand les « anciens » nous racontent leur parcours, ils citent souvent le nom d’une personne grâce à laquelle ils se sont sentis aimés, compris, et ont évolué. En 2020, nous avons essayé de garder les liens avec les moyens du bord. Certains enfants accueillis dans le cadre de la protection de l’enfance, c’est-à-dire placés, ont été isolés de leur famille pendant 2 ou 3 mois, mais malgré tout, parfois, ils ont vécu de belles expériences avec des éducateurs qui vivaient exceptionnellement 4 ou 5 jours d’affilée avec eux. Étonnamment, les liens avec les familles se sont parfois reconstruits par l’intermédiaire de cette distance. Une maman qui ne parlait plus à ses enfants placés a pu par exemple leur parler au téléphone : ils se sont dit des choses qu’ils ne s’étaient jamais dites.

 

Le Covid a-t-il entraîné une hausse des dons ? 

Une étude sur la générosité des Français parue récemment montre en effet que les dons ont augmenté en 2020, tout comme le nombre de donateurs, alors que ce chiffre stagnait voire diminuait ces dernières années. Ce qui est signe de la solidarité montrée par tous. Cette augmentation des dons déclarés est surtout portée par ceux réalisés aux personnes en difficulté, appelés « dons Coluche ». Ce sont bien sûr les associations qui ont répondu à l’urgence des situations liées aux confinements qui ont levé le plus de fonds. Mais l’enfance reste une des causes préférées des Français, et les besoins sont constants. La fin d’année est une période charnière pour la collecte, mais nous faisons confiance à la générosité de nos donateurs !

 

Comment définirais-tu le vivre-ensemble inhérent à la fondation ? 

Le « vivre-ensemble » est un mot-valise, on ne sait jamais trop ce qu’on met dedans. Je dirais que c’est apprendre à ne pas juger, à accepter l’autre avec ses différences, tel qu’il est, à ne pas mettre d’étiquette : pas juste un « élève », un « décrocheur » ou un « migrant ». Et ça, ça s’apprend, ça se vit, ça s’expérimente. L’éducation à la citoyenneté est une des approches de la fondation. L’ouverture à l’autre aussi. Nous essayons de faire vivre des expériences différentes, interculturelles aux jeunes. Notamment à travers des chantiers de solidarité internationale :  des jeunes partent 2 ou 3 semaines dans un pays pour reconstruire un bâtiment, par exemple, avec un de nos partenaires locaux. Ils rencontrent des jeunes d’autres cultures, d’autres religions, découvrent d’autres modes de vie et reviennent souvent transformés. Le père Brottier, figure tutélaire de la fondation, disait vouloir  faire des jeunes des « hommes et des femmes debout ». Même maintenant, nous n’avons pas trouvé de meilleure expression. L’objectif est de leur faire reprendre confiance en eux et de s’épanouir dans la société, pas seulement dans un travail, mais en tant qu’êtres humains. De vivre avec les autres, en harmonie si possible. Le vivre-ensemble, c’est un peu tout cela.

 

Informations complémentaires :

 En savoir plus sur la Fondation Apprentis d’Auteuil

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