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Mael Barth : « Demain, les marques feront la différence par la sincérité et la profondeur de leurs promesses »

Interviews

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01/07/2022

Mael Barth (EDHEC Master 1999) devient en 2019 président de l’enseigne Jour, marque pionnière dans la restauration rapide healthy et engagée, notamment avec son offre de salades sur mesure à l’heure du déjeuner. D’abord implantée à Paris et en Île-de-France, le réseau se développe depuis quelques années en région (Lyon, Marseille, Ajaccio, Nice, Lille, Bordeaux, La Réunion) et à l’étranger (Genève, Luxembourg). Le manger local, la healthy food, le slow good ont-ils un véritable impact ? Qu’est-ce qui différencie le repas « utilitaire » de l’expérience ? Cet ancien président du Bureau des Élèves de l’EDHEC répond aux sujets qui animent son quotidien.

Comment perçois-tu la « quête de sens » des jeunes diplômés qui arrivent sur le marché du travail ?

Il y a des attentes très fortes qui surgissent de plus en plus tôt chez les jeunes actifs, mais paradoxalement, une entreprise vit toujours à travers ses performances, ses projets et ses succès, donc dans un « temps » souvent plus long que cette quête immédiate. Pour un dirigeant, cela n’est donc pas simple à corréler : les nouvelles équipes veulent avoir un impact tout de suite alors que, dans la plupart des entreprises, la culture est aux chaînes de décision longues, avec une réalité qui rattrape parfois les bonnes intentions. Chez Jour, j’essaye de donner du sens sans être fake, avec confiance et transparence sur ce qui peut être réalisé et à quel moment, tout en gardant un œil sur ce qui est « raisonnable » pour l’entreprise. Au vu de notre positionnement, nous avons des fortes demandes d’engagements de la part de nos clients et de nos salariés : celles-ci sont très souvent proches et nous permettent de prendre les bonnes orientations, sans avancer tête baissée au gré de la dernière tendance. En tant que salarié, j’ai toujours recherché la sincérité et la confiance, et je pense aujourd’hui qu’il vaut vraiment mieux éviter les mensonges ou les fausses annonces, et faire confiance dans le jugement des autres, salariés, clients ou actionnaires, plutôt que de les « promener » et de créer de la frustration !

Qu’entreprends-tu en ce sens chez Jour ?

Depuis la création de la marque, nous faisons beaucoup de choses sur lesquelles nous avons peu communiqué. L’enjeu est aujourd’hui de poursuivre dans cette voie en structurant le sujet de la communication pour dire ce que nous faisons et comment nous le faisons. Nous voulons également aller plus loin en travaillant sur notre raison d’être, notre mission sociétale, bien au-delà de l’origine France des produits ou du bio. Je pense que demain, les marques feront la différence par la sincérité et la profondeur de leurs promesses. Cela permet d’avoir des équipes motivées qui viennent tous les matins avec le sourire et l’envie de bien faire. Au-delà de notre cœur de métier qui est la restauration rapide, notre contribution sociétale doit prendre une part de plus en plus importante dans nos choix stratégiques à moyen et long terme, en nous donnant de véritables objectifs mesurables et mesurés.

Avant de rejoindre la restauration en général et Jour en particulier, j’ai passé une quinzaine d’années dans le conseil financier, sur des projets d’acquisition, de gestion de croissance et de restructuration d’entreprises. À la suite de ces expériences, j’ai peu à peu souhaité un terrain de jeu plus entrepreneurial et sur lequel je pourrais avoir plus d’impact (comme le souhaitent les jeunes actifs !). Au final, c’est ce que j’essaie de faire chez Jour au quotidien en étant persuadé que les retombées en termes d’engagement des équipes, de satisfaction client et in fine de performance d’entreprise, sont considérables.

As-tu constaté une baisse de fréquentation dans les restaurants Jour – majoritairement dans des zones de bureaux – due à un présentiel moins marqué depuis le Covid ?

Oui, nous avons constaté un changement d’habitudes pendant et après le Covid, lié à l’évolution de l’organisation du travail, sans pour autant mesurer les effets définitifs de ces changements. Nous devons nous adapter en permanence et être en mesure de servir nos clients où qu’ils soient. Cette situation nous a donc permis de confirmer certains choix stratégiques historiques (développement de l’offre Click & Collect, via notre site et notre appli de commande en ligne, avec un retrait ultra-rapide en restaurant) et d’aller plus loin sur certains sujets tels que l’élargissement des horaires d’ouverture en soirée, par exemple. Le Covid nous a aussi permis de recruter de nouveaux clients, notamment les petites entreprises ou les professions libérales, qui venaient travailler en présentiel au moment où les brasseries ont dû fermer. Il y avait moins de choix dans l’offre traditionnelle, donc ils ont pu découvrir notre marque et sont devenus fidèles. On peut venir déjeuner chez nous trois fois par semaine notamment grâce à l’offre de salades sur-mesure et au caractère healthy des produits que nous proposons, ce qui n’est pas forcément le cas pour des pizzas ou des burgers.

Y a-t-il aussi une tendance générale à mieux manger ?

La tendance existait déjà avant le Covid, et ce même en restauration rapide, notamment en centre-ville à l’heure du déjeuner, et elle s’est accentuée. L’origine des produits, la traçabilité, la qualité, sont également devenues très importantes pour les clients qui veulent manger vite et bien. Nous affichons en restaurant des ardoises qui indiquent l’origine de nos produits selon les cartes saisonnières, nous avons été les premiers à avoir du quinoa français… Les clients sont sensibles à tous ces aspects, et le marché s’élargit ! Manger sain tout en ayant du bon et du gourmand, c’est là que se situe notre créneau. Évidemment, une salade est par essence plus saine qu’une entrecôte, mais l’enjeu de la salade, c’est de se faire plaisir en la mangeant, en y mettant du goût, de l’assaisonnement, en proposant des ingrédients tels que du houmous, des falafels, du tzatzíki... L’objectif n’est pas de se dire qu’il faut réduire le plaisir pour mieux manger, au contraire ! C’est en offrant un environnement convivial et des produits gourmands que nous arriverons à faire bouger les lignes, pas en jouant sur la contrainte ou la culpabilité.

Comment travailles-tu cette convivialité ?

Historiquement, nos restaurants étaient très clairs et lumineux, ce qui était vertueux pour l’image de pureté, mais je trouvais cela un peu froid et pas assez chaleureux. Nous avons fait évoluer les couleurs de la marque (notamment en faisant évoluer le vert « laitue » du logo en vert « anglais » à la fois plus mature et plus chaleureux), l’aménagement, le confort et les matériaux utilisés dans nos restaurants, et nous avons formé les équipes à « l’enchantement » client. Notre métier de restaurateur consiste à créer une expérience qui justifie l’intérêt de venir déguster nos produits sur place, et cela encore plus avec le développement des plateformes de livraison. De la même manière que l’être humain ne pourra pas passer sa vie à travailler à distance, sans relation avec les autres, je pense que nous ne pourrons pas passer notre vie à manger sur notre canapé des repas livrés… même avec de la qualité ou des amis ! Vivre ensemble et cultiver une expérience sociale font partie de notre humanité.

Peut-on aujourd’hui parler de polarisation slow food et junk food ?

Pas forcément. Quand on regarde les chiffres, la restauration rapide fonctionne toujours très bien, quelle qu’elle soit ! Il y a toujours un écart entre les discours du consommateur et des grandes marques, et la réalité. Je pense aussi que nous sommes tous des êtres multiples : par moments, nous faisons très attention à ce que nous mangeons, nous prenons soin de notre santé, puis nous pouvons nous relâcher et prioriser le plaisir avec des choses plus riches. Tout cela semble très logique et rejoint notre objectif de ne pas être un extrémiste du « mieux manger ». C’est encore le sujet de la contrainte, il faut se faire plaisir tout en mangeant plus sain, et ne pas s’ennuyer ou se contraindre. Si nous faisions reposer notre business model uniquement sur les vegans, nous n’aurions vraiment pas assez de clients ! En revanche, nous pouvons les accueillir, de la même façon que nous pouvons aussi accueillir le profil caricatural de l’amateur de viande et de repas copieux.

Peut-on parler d’une éducation du consommateur à ce sujet-là chez Jour ?

Nous tentons de contribuer le plus possible en étant prescripteur du changement sur ces sujets. C’est ici que nous passons un peu au-dessus de notre pure mission de restaurateur rapide. Notre but n’est pas seulement de vendre des salades et de faire bien manger, mais aussi de mettre au centre des débats la qualité des produits et de l’alimentation. Les grandes conquêtes sont faites de petites victoires : nous faisons au mieux sur beaucoup de sujets en restant cohérent. Ne pas proposer de tomates en hiver, c’est top, mais si l’ananas, la mangue et l’avocat sont toujours là, ne sommes-nous pas uniquement dans le marketing ? En revanche, chercher à s’approvisionner au plus proche en progressant chaque année, ne pas proposer de produits ayant voyagé par avion, c’est à la fois possible et viable pour l’entreprise !

Pourquoi avoir choisi de te présenter au BDE EDHEC plutôt qu’à une autre association ?

Je suis entré à l’EDHEC en grande partie pour la vie associative. Avec le BDE, j’aimais bien l’idée d’animer et d’organiser la vie étudiante pendant toute l’année, plutôt que d’avoir un objectif d’événement unique ou de guide. Je trouvais aussi le champ d’action plus large et j’adorais le fonctionnement de la campagne et des élections, avec la création d’une équipe et la poursuite d’un objectif clair et commun. Il fallait aussi s’ouvrir à tous les étudiants, aller vers eux pour les connaître et les convaincre. Ce type de défi me plaît, notamment quand il me permet d’aligner mes envies avec un bel objectif commun !

Si tu étais aujourd’hui président du BDE comme tu l’étais à la fin des années 90, que changerais-tu dans ta façon de le présider ?

Certains enjeux n’existaient pas quand j’y étais. Il n’y avait pas de réseaux sociaux, nous étions parmi les premières générations à avoir des adresses mail (Hotmail ou Caramail !), le téléphone portable se démocratisait petit à petit. Les enjeux d’image sont assez différents aujourd’hui, notamment sur les réseaux sociaux. Les cursus ont également changé, il me semble : plus internationaux, plus à la « carte ». Sur la vie d’une promotion, il y a maintenant beaucoup plus d’alternances, et l’année de césure est institutionnalisée. Je pense que l’on voit peut-être moins sa promo qu’à mon époque, ce qui modifie significativement la gestion de la vie de l’école.

Que t’évoquent aujourd’hui tes années EDHEC sur le plan de la vie étudiante ?

On a une vie à chaque âge. Quand on est en prépa, à part quelques exceptions et quelques baratineurs, la priorité est donnée au scolaire et on ne peut pas faire la fête tout le temps ni contribuer significativement à la vie sociale. On arrive en école de commerce loin de chez soi, complètement libre, c’est une autre forme d’expérience et de savoir-être que l’on développe. Cela passe parfois par des expériences différentes, mais chacun peut ainsi se construire à un moment donné. Il ne faut pas blâmer ou condamner ce temps de libertés et de possibles (tissu associatif, cursus, échanges) qu’offre l’école de commerce. C’est ce qui permet aussi de se façonner, de grandir et de ne pas justement finir dans une carrière unique, sachant qu’en entreprise, la qualité de savoir-être et l’expérience apportent une valeur essentielle à ce qu’on fait. Si on a un excellent savoir-être mais qu’on n’est pas carré, c’est compliqué. Si on est très structuré, mais qu’on n’arrive pas à lever un peu la tête, à avoir de l’empathie ou à penser différemment, cela crée aussi des lacunes importantes.

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