Les banques freinent le turnover de leurs conseillers
La rotation des conseillers clientèle du secteur bancaire devient un vrai casse-tête pour DRH. Pour assurer une progression de carrière régulière, la mobilité professionnelle s'impose. Au grand dam des clients, qui apprécient de moins en moins les changements fréquents d'interlocuteur. Les banques s'orientent donc progressivement vers un allongement de la durée des affectations pour mieux servir leurs clients. Reste à faire patienter de jeunes chargés de clientèle souvent pressés de progresser.
S'il est un refrain que l'on entend souvent parmi les clients des banques, c'est bien : « Mon conseiller, il change tout le temps. » Cette réalité, chacun l'a vécue au point de ne même plus prêter attention aux sollicitations d'entretien et de ne prendre rendez-vous avec son chargé de clientèle qu'en cas de besoin précis. « Le client n'apprécie pas d'expliquer sa vie à un nouveau conseiller, surtout s'il pense qu'il ne sera plus son interlocuteur dans dix-huit mois ou deux ans comme c'était le cas pour le prédécesseur », confirme Christophe Jankowski, directeur chez Orga Consultants et spécialiste du secteur bancaire.
Pour autant, il y a peu de temps encore, le client se faisait une raison et la banque poursuivait sa politique de turnover des conseillers sans trop se préoccuper des conséquences. « La gestion des carrières était organisée sur la mobilité des équipes », reconnaît Thierry Laborde, directeur des réseaux de proximité à la BNP. « Dans tous les réseaux, il faut bouger pour être promu », appuie Fabrice Asvazadourian, associé chez Mercer Oliver Wyman. La mobilité est d'ailleurs un des arguments forts avancés par les banques pour séduire leurs futures recrues, dont les effectifs, en particulier dans les forces de vente du réseau, sont en constante augmentation.
Des relations trop privilégiéesMais concilier les envies d'évolution du conseiller clientèle tout en respectant le besoin d'une relation stable avec son client se révèle souvent contradictoire. C'est pourtant une exigence désormais au coeur des priorités des banques de détail car les clients ne sont plus aussi captifs que dans le passé. « Dans la plupart des banques, c'est nouveau de prendre en compte la qualité de la relation client et notamment l'impact de la rotation des conseillers clientèle », constate Christophe Jankowski. Client historique ou récemment acquis, ce dernier est susceptible d'aller frapper à la banque voisine pour demander des tarifs plus avantageux, un prêt à meilleur taux ou tout simplement plus de considération et d'attention de la part de son conseiller.
Si l'habitude a été prise, dans les années 1990, de pratiquer une rotation régulière des conseillers, c'est pour deux raisons essentielles. D'abord pour assurer une progression de carrière régulière aux conseillers, puisque les promotions et les augmentations de salaire s'appuient essentiellement sur les changements de poste. Ensuite dans un souci de saines relations entre la banque et le client, la crainte étant de voir se constituer des relations privilégiées, trop amicales, qui risqueraient d'entraîner des pratiques peu rigoureuses. « Une banque ne peut laisser un conseiller sur le même poste pendant cinq ou six ans, au risque d'assister à une dérive de la gestion du compte client », affirme Marie-Frédérique Régnier, directeur associé chez Cosmosbay-Vectis, cabinet de conseil en management. « A force de le connaître, le conseiller ne questionne plus son client. Il peut même arriver qu'il lui octroie des crédits qui dépassent ses moyens. C'est souvent ce type de dossiers qui atterrissent au contentieux », poursuit cet expert du secteur bancaire. « Nouer des relations très étroites avec des entreprises ne pose pas de problème. En revanche, avec des particuliers, c'est différent », confirme Bérangère Grandjean, directrice des ressources humaines du groupe Banque Populaire.
Situations extrêmesFace à cette réalité, les banques ont multiplié les changements de postes des conseillers, aboutissant dans certains cas à des situations extrêmes : fraîchement nommée, une jeune conseillère - l'emploi des femmes n'a cessé de croître dans le secteur au point que 58 % des embauches en 2005 étaient féminines - prend un congé de maternité au bout de six mois, qu'elle prolonge pour élever ses enfants. Son remplaçant est lui-même nommé, après un an, dans une autre agence alors qu'il devait rester à ce poste trente-six mois. Le suivant part à la concurrence quelques mois après son arrivée. Celui qui reprend son poste hérite d'un portefeuille de clients démobilisés. « Les banques, dans un passé récent, ne se rendaient pas compte que de passif, le client était devenu réactif, et que ce genre d'événement était de nature à le pousser à changer d'établissement sans état d'âme », analyse un autre consultant.
Pour éviter ce genre de situation, les banques commencent à mieux structurer les mobilités professionnelles de leurs conseillers. En premier lieu, la plupart des grands réseaux fixent désormais à trois ans la durée d'un poste en contact avec la clientèle. « Un conseiller est actuellement nommé pour trente-trois mois, et nous tendons vers une durée de quarante mois, soit une perspective de trois postes sur dix ans », explique Thierry Laborde. « Pour bien maîtriser son portefeuille de clients, il faut trois ans », estime Bérangère Grandjean.
Efforts de pédagogieMême problématique au Crédit Mutuel de Bretagne, qui compte 250 agences et 3.300 salariés dont 2.700 conseillers : « Pour répondre aux demandes de la clientèle, les mutations ont été fixées, en moyenne, à quatre ans », note Gérard Corre, responsable des relations humaines. Et de reconnaître que « au départ, les jeunes collaborateurs qui voulaient souvent bouger, rechignaient. La mobilité est un facteur de motivation. Mais on a fait des efforts de pédagogie. Ils ont compris que c'était mieux pour eux et pour le client, et donc pour la banque. »
Et lorsque le changement d'interlocuteur devient incontournable, c'est dans la transmission des dossiers que peut se faire la différence : il faut « assurer la passation d'un conseiller à l'autre » comme le formule Gérard Corre. Pour ce faire, chaque établissement peaufine sa stratégie, même si dans l'ensemble, moyens et méthodes se recoupent (voir encadré). Mais aux dires des experts du secteur, il y a encore beaucoup d'établissements qui n'ont pas pris en compte ce problème. Au risque de se réveiller lorsqu'ils constateront une baisse de leur clientèle. Il sera alors peut-être trop tard pour renverser la vapeur.

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