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Interview avec Philippe de Chanville et Christian Raisson (EDHEC Master 2003 et 1994), les 2 EDHEC de l’année 2023

Interviews

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09/06/2023

Cette année, ce n’est pas 1, mais 2 diplômés qui se voient décerner le prix « EDHEC de l’année », lors de l’EDHEC Rendez-Vous parisien. Les désormais inséparables Philippe de Chanville et Christian Raisson (respectivement EDHEC Master 2003 et 1994) ont monté ManoMano à 4 mains, il y a maintenant un peu plus de 10 ans, après une rencontre en entreprise. Avec aujourd’hui 21 millions de références de bricolage et jardinerie en France, Espagne, Italie, Allemagne et Belgique, leur licorne – valorisée à 2,6 milliards de dollars – et avant tout place de marché de près de 5000 marchands, a donné un bon coup de plumeau à un secteur qui n’avait pas encore entamé sa mue numérique. La conviction de l’humain et l’innovation n’ont pas fini d’éclore d’une chrysalide en perpétuelle reconstruction...

Comment en êtes-vous arrivés à lancer ce projet entrepreneurial à deux ?

Christian Raisson : Je pense que ça a d'abord été une envie commune et simultanée de vouloir créer une boîte. Le faire ensemble a été quasiment une évidence, une impulsion, même si on avait peu travaillé ensemble dans notre ancienne boîte. On a passé un temps infini à se questionner sur nos ambitions, ce qu’on avait envie de faire. On dit souvent qu’à l'autre bout du monde, les EDHEC se reconnaissent par des valeurs communes, de respect, d'écoute, d'humilité. C’est une réalité ! Très rapidement, on a vu qu'on avait des valeurs extrêmement proches. Il n'y avait plus qu'à s'aligner sur une idée de business.

Philippe de Chanville : Ce fut un coup de foudre d’entrepreneurs, on avait une même vision de la place de l'humain dans l'entreprise. On voulait créer une entreprise où s’épanouir en tant que personnes. Ce n'est pas juste du business qui utilise de l'humain. Ce n'est pas non plus une ONG. Notre but est de faire vivre des familles dans un environnement de travail épanouissant, qui permette de développer des compétences.

Dans quelle mesure ces valeurs sont-elles transmises dans votre organisation ?

PdC : Une culture d'entreprise commence par ses dirigeants et se transmet par l'exemplarité. La réalité d'une culture d'entreprise, c'est ce qui se vit dans l'entreprise, et en premier lieu au plus haut niveau. Une partie de nos grands idéaux et de nos défauts se retrouve donc chez ManoMano ! La transmission est inhérente aux fonctions d'une entreprise par l’exemplarité, surtout quand les dirigeants sont très présents et voient beaucoup les équipes. Avec Christian, on a passé du temps à formaliser des valeurs d’entreprise qui permettent d'expliciter ce qu’on a vécu au lancement.

CR : On ne veut pas tomber non plus dans le paternalisme avec les salariés de ManoMano, on est très attachés à leur liberté. C'est un équilibre délicat.

Quelles sont vos bonnes pratiques pour diriger à deux ?

CR : La gouvernance a évolué au fil du temps, on a appris à travailler de mieux en mieux ensemble. Dans un couple d'entrepreneurs et d'associés, la complémentarité et la réflexion commune sont beaucoup plus efficaces. Aujourd’hui, on partage de plus en plus pour qu'il n’y ait qu’une seule voix. Les réunions, toutes à trois, apportent un peu moins de souplesse, mais on gagne beaucoup de temps, et la décision qui en sort est toujours beaucoup plus riche. Ce processus a été un cheminement : travailler les égos, comprendre comment l'autre fonctionne, intégrer qu'un cerveau est plus sensible à certains sujets. Faire attention à l’autre, c’est un vrai travail. Ce travail ensemble, je pense que c'est aussi un exemple pour les managers qui nous entourent chez ManoMano.

Comment innover et toujours avoir une longueur d’avance sur la concurrence ?

CR : Avec Philippe, on a l’énorme avantage de ne pas venir de la grande distribution ou de l'industrie. On vient de la finance et on est bricoleurs ! Notre modèle de marketplace est une sorte d'ovni qui n'existe pas ailleurs. On n’a jamais subi les contraintes d’un mastodonte du bricolage ou du jardinage. Toutes les innovations qu'on a apportées au marché étaient toujours sous le prisme de notre œil exclusivement client, qui nous donne une vision un peu différente de la concurrence. On trace notre sillon, c’est aussi notre force.

Qu’est-ce qu’une présence dans plusieurs pays d’Europe fait apprendre sur les tendances internet du bricolage et du jardinage ?

PdC : Certains pays sont par nature plus digitaux, comme l'Angleterre et l'Allemagne. L’Espagne et l’Italie le sont moins, mais beaucoup plus mobile que desktop. Ça compose un paysage digital, mais avec le même constat partout que le monde du bricolage-jardinage fait sa transition digitale de manière tardive.

CR : La durabilité et la transformation énergétique sont dans certains pays plus avancées que dans d'autres. L'Allemagne est à la pointe : on y vend beaucoup plus de panneaux solaires, de systèmes de pompe à chaleur ou de systèmes de chauffage raisonné. Et on sent que cette vague va arriver partout ailleurs, ce qui peut nous donner des idées sur l’élargissement de l’offre dans d’autres pays.

Comment voyez-vous évoluer ce marché dans les années à venir ? 

PdC : La vague du digital transforme les habitudes des consommateurs dans tous les secteurs, jusque dans le bricolage et le jardinage, un marché dont le retard s'explique par la nature plus technique des produits, ce qui demande un usage complexe de la data et de meilleurs algorithmes. Cette vague n’est pas près de s'éteindre. Le digital apporte un vrai gain pour les clients, à tous points de vue. Il a encore de la place à prendre, en termes d’offres, de prix, de conseil, c’est-à-dire tout ce qui tout ce qui aide le client à réaliser ses projets. Avant d'envisager l'après, on envisage la suite : comment aller plus vite encore dans cette transition.

CR : La prochaine étape sera la vente de services qui accompagnent la vente de produits, comme le « Do It Yourself » et le « Do It For Me ». Ce n'est pas qu'un produit « sec ». Il y a quelques années, on a monté Supermano, une aide entre bricoleurs pour des petits travaux d'aménagement en intérieur. Il y a encore beaucoup de potentiel de ce côté-là.

Quels sont les ressorts de l’innovation responsable chez ManoMano ?

CR : C'est un sujet qui nous passionne, Philippe et moi. On est les premiers à sortir un Carbon Score sur l'ensemble de notre catalogue. Sur l’émission interne de CO₂ – partie la plus chiffrée et documentée par les équipes –, on s'est donné une réduction ambitieuse à 5 ans, avec les engagements Science Based Target initiative, des Nations Unies. À tous les rayons, on peut mieux faire ! On a créé en 2018 notre propre logistique, Mano Fulfillment, et on suit de près chaque semaine les données de transport du vide pour le faire passer de 60% (il y a deux ans) à 20 %. Une de nos valeurs a changé : la « bienveillance » est devenue « responsabilité », pour l'humain, mais aussi pour la planète. Nous ne voulons pas que le client prenne cela juste comme un élément marketing.

PdC : Dans notre rapport annuel RSE ManoImpact, les composantes « Individus », « Société », « Intégration » et « Environnement » représentent une trentaine d’initiatives, comme le Carbon Score ou la seconde main. Chaque salarié peut donner une journée par mois à l’association de son choix pour une cause d'intérêt général. Dès qu’on le peut, on intègre à nos équipes des personnes en réinsertion sociale. Il vaut parfois mieux la qualité que la quantité, intégrer par exemple moins de personnes en situation de fragilité, mais s’assurer qu'elles soient embauchées derrière.

Ces actions en matière de responsabilité influencent-elles les partenaires de ManoMano ?

CR : Le but est bien sûr de les influencer et de changer le monde avec eux. On ne pourra rien faire sans eux. Et on force un peu le système. On prend souvent l'exemple du Nutri-Score, grâce auquel il y a eu beaucoup de reformulations de produits. Le client est de plus en plus regardant là-dessus. Un score A ou B est devenu un avantage concurrentiel. Un industriel qui voit ses produits mal notés en Carbon Score va réfléchir sur la façon dont il opère, et changer la fabrication ou le transport.

Que vous évoque le réseau EDHEC Alumni ?

PdC : Dans les écoles de commerce du top 5, l'EDHEC se différencie entre autre par sa manière de former ses étudiants à rechercher un alignement personnel, plutôt que de les encourager à suivre les modes du moment. Le réseau EDHEC Alumni est pour moi la certitude de toujours trouver des gens qui ont réussi à tracer leur chemin en fonction de leurs convictions. L’EDHEC est la réassurance que cela est possible. Penser différemment, penser en fonction de ses valeurs, ce n'est pas s'ostraciser ou diminuer ses chances de réussite, c'est juste une manière différente de faire du business.

CR : L’EDHEC nous a aussi donné confiance dès le premier jour. Quand 2 EDHEC montent une boîte, le réseau et l'École appellent pour proposer des collaborations. Philippe a fait travailler l'intelligence collective de l'EDHEC, avec des conférences et des cas de marketing aux étudiants. Ça aide aussi à faire prendre la sauce.

Ensuite, on est tous les jours sollicités par des entrepreneurs. Je réponds toujours aux EDHEC. On a une sorte d'héritage et un devoir de transmission. Cette école nous a formés, nous a mis en lumière en nous élisant « EDHEC Entrepreneurs de l’année 2015 », nous a soutenus, alors c'est à nous de renvoyer la balle. Les EDHEC aident leurs pairs pour les faire avancer. On siège également à des boards de l'École également, pour renforcer la voix de l'entrepreneuriat au niveau des instances décisionnaires. Je dirais qu’avec l’EDHEC, c'est un mariage et une vie commune réussis.

PdC : L’EDHEC nous a aussi apporté nos tout premiers stagiaires et salariés. Cela a évidemment contribué à la culture de l'entreprise, mais aussi été un apport non négligeable de gens structurés et de bonne volonté, qui ont permis à l'entreprise de devenir ce qu'elle est aujourd'hui.


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