Interview avec Catherine Spindler (EDHEC Master 1999), Directrice générale adjointe de Lacoste
Passée par l’industrie cosmétique et l’e-commerce, Catherine Spindler (EDHEC Master 1999) est devenue fin 2022 Directrice générale adjointe de la marque Lacoste. À l’occasion des 90 ans de l’unique Maison de fashion-sport française, elle nous explique comment le crocodile fédère des communautés partout dans le monde et participe à l’émergence de nouveaux styles. Tennis et hip-hop, golf et street, suivez le guide !
Comment résumerais-tu ton poste et tes responsabilités actuelles ?
Globalement, mon périmètre regroupe la direction artistique et le studio de design jusqu'à la stratégie de lancement des produits (Go to market), en passant par le développement produit, le merchandising, le marketing et la communication. J’assure donc la responsabilité de tous les marchés dans lesquels nous opérons et de tous les flux de distribution, jusqu'au consommateur final.
Le profil cible de la marque Lacoste est-il amené à changer en fonction des époques ?
Nous ne recherchons pas particulièrement à évoluer dans ce sens. Ce qui est certain, c’est que nous nous adressons à une audience très large. D’autant plus que la marque a ce pouvoir extraordinaire de parler à des générations, communautés et cultures aussi nombreuses que différentes. Le crocodile, considéré par la plupart comme une véritable icône, les rassemble toutes. Les 90 ans de la marque célèbrent les communautés qui ont « fait » Lacoste. Pour notre campagne, nous avons mis en scène des communautés qui se sont véritablement appropriées la marque : Lacosteiros au Brésil, collectionneurs de mode vintage au Japon, Tennis Fanatics en Corée – distincts de ceux de Roland-Garros à Paris –, golfeurs amateurs de Miami, jeunes golfeurs du Prado à Marseille... Nous laissons d’ailleurs le champ libre à ces communautés, qui font la force et la richesse de la marque. Elles nous inspirent autant que nous les inspirons.
Comment le design est-il pensé pour parler à toutes ces communautés ?
En replongeant dans notre patrimoine. Les talents qui se sont succédé à la direction artistique puisent toujours au sein de nos archives et apportent une touche supplémentaire pour continuer à innover et à faire évoluer la marque. Ensuite, les communautés de clients nous font découvrir aussi des aspérités de la marque. Certaines s’en sont emparées pour créer une silhouette qui a ensuite inspiré d’autres évolutions du style, toujours dans un mix entre sport et fashion. Quand René Lacoste a arraché en 1926 ses manches de chemise pour créer le polo, c'était un geste très libérateur. Et je veux absolument que nous conservions ce carrefour des styles. Les vêtements que nous développons reflètent toujours notre savoir-faire unique et français. On peut tout à fait porter un col en V avec un pantalon de survêtement : l'élégance décontractée est intrinsèque à la marque, à l'image de notre époque.
Quel est le secret pour séduire les différentes générations ?
Lacoste est la marque intergénérationnelle par excellence. C’était l’objet de notre campagne récente avec notamment le visuel d’un jeune homme et d’une dame qui l’est moins, tous deux portant un polo rose. Les campagnes que nous développons peuvent parfois être tournées vers un côté plus pop, toucher un public plus jeune, mais l’essence de la marque est toujours là, celle qui fait que tout le monde s’y reconnait. Par ailleurs, nous avons chaque année un baromètre qui mesure comment la marque évolue en fonction des tranches d’âge. Il est intéressant et rassurant de constater que nous réussissons à conserver notre clientèle historique et, en même temps, à recruter de nouvelles générations.
Comment continuez-vous à susciter l’intérêt des jeunes générations ?
Il y a bien sûr notre offre et nos moyens de communication. Mais au-delà de ces dimensions, dans un contexte où le monde bouge beaucoup, les attentes vis-à-vis de la mode aussi. Et celles des jeunes sont assez différentes. La marque a en elle des fondamentaux capables de parler à tous, donc également aux jeunes générations. Nous travaillons beaucoup sur la durabilité des produits, en faisant par exemple évoluer nos fibres de coton pour avoir une meilleure tenue au lavage. Nous nous engageons également depuis 16 ans avec notre Fondation : nous avons déjà accompagné 150 000 jeunes à travers des programmes sur le développement et l'estime de soi par le sport, que nous finançons dans les principaux pays dans lesquels nous sommes implantés. La durabilité, l'engagement sociétal et la transmission sont des sujets auxquels les nouvelles générations sont sensibles, et il se trouve que nous aussi.
Les inspirations tennis, golf et lifestyle suffisent-elles à développer la marque à long terme ?
L’authenticité est une notion très importante chez Lacoste et nos territoires d’expression reflètent ceux pour lesquels nous sommes légitimes. Nous avons encore beaucoup de choses à faire dans le tennis et le golf, et en particulier nous réaffirmer dans ces univers, qui ont, depuis, été préemptés par d’autres de manière moins évidente. En parallèle, nous avons commencé à développer d’autres offres, comme une gamme training. Ensuite, nous nous inspirons de sports dont les communautés se sont appropriées la marque, ou qui, comme la breakdance, deviennent des spécificités olympiques et nourrissent particulièrement les dimensions lifestyle et street de notre marque. Nous travaillons également à l’accélération du développement du footwear, pour ses grands enjeux business, et sa capacité à recruter des clients, notamment jeunes. Je souhaite aussi étendre la catégorie de la femme, qui est un véritable vecteur de désirabilité pour une marque comme la nôtre. Nos archives révèlent d’ailleurs que la marque a été à un certain moment hautement féminine, avec des silhouettes tout à fait en résonance avec le monde d'aujourd'hui.
Comment le sport a-t-il influencé les valeurs de la marque ?
Les valeurs du sport sont au cœur des valeurs de l’entreprise et de la culture managériale : le travail en équipe, l’élégance (du style, mais aussi du comportement, avec le fair-play), la ténacité et l’audace. Le sport apprend beaucoup l’humilité et le dépassement de soi. Lacoste est sur une belle trajectoire de succès, mais nous restons pour autant extrêmement humbles et prudents, conscients que la balle peut changer de camp. En même temps, nous continuons à nous fixer des objectifs ambitieux pour continuer à amener encore plus haut les couleurs de cette marque patrimoniale française, devenue grande au niveau mondial. C’est aussi en quelque sorte un devoir de notre part vis-à-vis de la marque.
Aujourd’hui, l’e-commerce est devenu indispensable à la stratégie de n’importe quelle entreprise de mode. Quelle prochaine étape fera vraiment la différence ?
Le digital est à la fois un canal de distribution et un outil pour faire vivre des expériences. L’enjeu basique, néanmoins important, pour la plupart des marques du textile est la cross-canalité. Le digital permet plutôt, selon moi, de créer des ponts avec le monde physique. Dans la période à venir, il y aura des champs très intéressants sur la création à partir de l'intelligence artificielle. Je crois pour autant aussi beaucoup au « physique », car il constitue un moyen de surprendre et de capter la clientèle. Les marques de mode ne doivent pas perdre de vue le rôle structurant du « physique », dans des formats qui seront amenés à beaucoup évoluer. L’expérience communautaire peut être clé dans l’expérience client via un sentiment d’exclusivité. Certains de nos clients arrivés par la plateforme de communication Discord ont été invités à Roland-Garros, viennent régulièrement à notre boutique (flagship) des Champs-Élysées pour des événements exclusifs. Ils sont partie prenante de la création de produits, donnent leur avis. Plus que jamais, il faut trouver des voies d'engagement, très différentes selon les natures de clients.
Engage-t-on de la même manière les personnes vivant aux quatre coins du monde ?
Non, parce que les cultures sont différentes. Au Japon, le vintage et le côté collectionneur sont des clés d'entrée probablement beaucoup plus fortes que sur d'autres marchés. Notre approche s'adapte ensuite à la réalité des marchés. Dans notre campagne, nous avons choisi huit communautés. Nous aurions pu en mettre en scène beaucoup plus. Ces communautés sont devenues des ambassadeurs de marque dans leur pays avec une force assez incroyable. Il est aussi intéressant de voir comment, par exemple, le golf est en train de devenir un phénomène culturel et un phénomène de mode aux États-Unis ou en Corée.
Commentaires0
Veuillez vous connecter pour lire ou ajouter un commentaire
Articles suggérés