Après PwC et EY, c’est chez Deloitte qu’Héléna Macquet (EDHEC International BBA 2005, puis MSc in Corporate Finance & Banking 2006) déploie depuis 15 ans son expertise en transformation financière. Elle raconte les bouleversements que le secteur du conseil a connus chez les Big Four, depuis qu’elle est entrée sur le marché du travail…
Peux-tu décrire ton poste et tes responsabilités actuelles ?
Je suis directrice au sein de Deloitte Consulting dans les bureaux de Paris La Défense. Mon poste consiste à aider les directions financières à transformer leurs services. Ce n’est pas du conseil sur les technicités comptables, mais sur le changement d’organisation. J’interviens après des fusions-acquisitions, un changement de directeur financier, des modifications de réglementation, ou bien lorsque le business doit changer parce qu’il n’est plus dans l’air du temps. J’aide donc à mettre en place une stratégie, à implémenter de nouvelles feuilles de route, et à optimiser des modes de fonctionnement avec des outils digitaux et du coaching de talents. La palette de services est de plus en plus riche et après 15 ans, je suis toujours aussi contente de l’évolution du métier.
De ton point de vue, la finance a-t-elle évolué d’un statut de système « transactionnel » à un statut d’écosystème évolutif ?
Oui, les responsabilités des directions financières ont énormément évolué. Avant, elles se cantonnaient au pur régalien comptable, et aujourd’hui, c’est le cœur du réacteur des entreprises pour prévoir, anticiper, aider à la décision. Tout l’aspect chiffré est presque derrière nous. Le directeur financier peut diriger désormais l’ensemble des fonctions support, y compris les systèmes d’information et le juridique. Il est un business partner nécessaire aux métiers, il coache et fait partie des comités exécutifs pour donner le cap.
Avec la transformation digitale, nos modes de consommation ont évolué dans les foyers et en entreprise, allant vers plus d’automatisation, notamment dans les fonctions support pour se concentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée. C’est pourquoi le portefeuille de responsabilités du directeur financier augmente. Il doit composer justement avec plus de profils et des profils très différents, très transverses. Les soft skills viennent compléter les hard skills, ce qui fait aussi évoluer les comportements financiers.
Les activités de conseil financier sont donc également affectées…
En fait, on travaille différemment. Il faut toujours maîtriser les rouages d’un bilan, d’un compte de résultat, d’une trésorerie, mais ce qui pour moi a fondamentalement changé, c’est le fonctionnement en équipe et les compétences autour de la data, survenues ces dix dernières années. Avant, on ne savait pas exploiter les données, on n’avait pas de résultats en temps réel. Pour avoir un compte de résultat, il fallait attendre que l’équipe soit en capacité de restituer les chiffres. Avec le cloud, on peut gérer, classifier, normaliser, mettre une bonne gouvernance sur la data, ce qui a fait émerger une source d’information extraordinaire pour les entreprises, pour mieux se comprendre elles-mêmes et comprendre le marché. Je travaille avec des managers de fonctions qui supervisent de façon transversale les chaînes de valeur, de la commande fournisseur à son règlement dans les comptes (Procure to Pay Manager, ou P2P), de la commande client à l’encaissement (Order to Cash Manager, ou O2C), voire de l’enregistrement de la donnée à son reporting et analyse (Financial Planning & Analysis Manager, ou FP&A). Cela a cassé les silos dans l’entreprise. On a dû se renforcer autour des sujets digitaux, data et solutions, pour pouvoir être force de proposition auprès de nos clients.
En dehors du digital, la gestion des talents a aussi évolué. Je dirais même que c’est désormais le premier sujet dont nos consultants tiennent compte.
Remarques-tu une évolution des motivations des jeunes diplômés depuis ta sortie de l’EDHEC ?
Oui, complètement. J’ai commencé dans la finance parce que j’aimais les chiffres. J’ai hésité entre audit et conseil, mais la variété des missions que je pouvais toucher au sein du conseil m’animait plus. Je n’avais pas encore ces notions digitales, ça me dépassait. « Big Data », « RPA », je ne savais même pas ce que ça voulait dire ! Les 5 premières années, j’ai appris les bases financières, j’ai obtenu mon diplôme d’expertise comptable. C’est à partir de mon grade de manager que la data est arrivée, et ça allait bien avec la nouveauté que j’aimais dans mon métier. En tant que jeune consultante, j’étais dans l’écoute et l’observation. Aujourd’hui, les jeunes diplômés sont demandeurs et force de proposition, ils ont besoin de comprendre, et surtout n’ont pas peur de dire quand ça ne leur plaît pas. C’est super, ils ont une idée, ils la partagent. C’est du temps réel, sans filtre. Je me rends compte avec le recul que je m’interdisais plein de choses. Je trouve justement que plus les consultants s’expriment, plus ils sont à l’aise, et plus la confiance s’établit.
Est-ce aussi la responsabilité des Big Four d’accélérer ce mouvement ?
Oui, bien sûr. On se modernise, tout comme nos clients. Ce sont des marques anciennes, avec une notoriété, qui étaient d’abord spécialisées dans l’audit, puis qui se sont diversifiées. La partie conseil a pris de plus en plus de poids, EY veut même aujourd’hui scinder ses services audit et conseil. Et donc, on œuvre à une modernisation importante de notre gestion des talents. On a beaucoup d’initiatives en cours pour faire participer les jeunes à cette révolution. J’ai bien dit « révolution » ! Le pouvoir des femmes a changé aussi. Quand je suis entrée dans le monde professionnel, on ne parlait pas de parité. Il y avait un code éthique, mais ce n’était pas mesuré. Aujourd’hui, toutes les entreprises ont au moins un réseau qui travaille en faveur du leadership des femmes. Tout ce qui concourt au bien-être et à l’épanouissement, on y œuvre tous les jours, car la modernité s’entretient.
Comment gérez-vous la longueur d’avance que doit avoir le conseil par rapport au quotidien?
Ce n’est pas en trois mois de projet que nous implémentons le meilleur système du marché pour ne plus jamais en reparler ensuite. Quand on transforme des services, on met aussi en place des postes qui veillent à la transformation continue de l’entreprise en étant à l’affût des dernières versions, et à l’écoute des talents pour changer les pratiques et toujours être au goût du jour. Le mode projet est activé en permanence dans les entreprises. Quand on met en place une nouvelle solution, on assiste nos clients pour le choix et l’implémentation, et également à la transition pour veiller au bon fonctionnement et à la prise d’autonomie de la nouvelle organisation. Ensuite, la transformation continue en permanence avec des équipes dédiées.
Il s’agit donc d’une véritable pérennité et modularité des solutions mises en place…
Oui, c’est pour cela que dans les projets finance, on travaille avec la Direction des Systèmes d’Information, la Direction des Ressources Humaines et les métiers. Il y a quelques années, quand on faisait de la conduite du changement, on devait convaincre les financiers du bien-fondé des nouvelles solutions, il y avait une résistance au changement. Aujourd’hui, tous les financiers sont déjà convaincus par la digitalisation. En revanche, il faut toujours convaincre les métiers, les commerciaux, les patrons de filiales. Pour eux, investir dans les fonctions support, ce n’est pas aussi naturel que d’investir dans leur business. Le Chief Financial Officer a donc le rôle important de rallier les membres du Comex dans ces transformations.
Quels messages vas-tu transmettre aux étudiants de l’EDHEC International BBA, en tant que marraine ?
Il faut qu’ils soient fiers d’eux, de leur parcours, de ce qu’ils ont appris, qu’ils le fassent savoir avant d’être fiers de leur entreprise. Ce n’est pas toujours facile de faire sa promotion, de se vendre. Je suis toujours preneuse des histoires de vie des personnes que je rencontre. Et c’est aussi dans les mauvaises expériences que l’on apprend le plus.
Ensuite, c’est l’authenticité, être soi-même, ne pas surjouer, ne pas faire semblant, ne pas être superficiel. Pour qu’une équipe fonctionne bien, il faut de la confiance, des comportements naturels, pour qu’en découle une harmonie au sein du collectif.
Enfin, c’est de ne pas rester sur des sentiers battus. Les consultants ont leurs missions primaires, mais il y a tellement d’autres initiatives – caritatives, écologiques, inclusion, voire pour nos propres processus internes – qu’il faut les saisir ! Il faut se lâcher et saisir les opportunités. Plus on entreprend, plus on apprend, ce qui est le bon chemin pour aller loin.
Cette sincérité semble être devenue le nerf de la guerre…
Tout à fait, on n’est pas au théâtre. On n’apprend pas des textes à réciter, on ne joue pas des scènes. Et les clients voient tout de suite si ce n’est pas naturel, si c’est trop commercial. Les gens font confiance à des personnes, ils reçoivent une prestation, achètent une expertise, et ce qui va différencier les cabinets sur des expertises similaires, c’est la personne. Si en tant que manager je surjouais, mes équipes n’auraient pas confiance en moi. En plus, les cadres de travail sont aujourd’hui de plus en plus stimulants. On a tombé la cravate, par exemple. Avant, on ressemblait un peu à des stewarts ou des hôtesses de l’air chez nos clients. Aujourd’hui, on est comme on est et on n’a plus besoin de se déguiser.
Puisqu’il faut avoir en permanence ce pas d’avance, considères-tu les formations supérieures d’aujourd’hui adaptées ?
Je trouve encore qu’on doit faire des progrès sur les formations en France, qui sont encore en décalage avec le modèle anglo-saxon, surtout sur les sujets digitaux. Ça prend du temps de faire une formation riche qui ait du sens, avec les bons intervenants. Chez Deloitte, on prend de plus en plus conscience de l’importance de la formation. Il y a quinze ans, les formations étaient données par un consultant sénior ou un manager. Ils les faisaient très bien mais récitaient les leçons de leur ancien manager. Aujourd’hui, les technologies vont tellement vite que les slides d’il y a trois ans ne sont plus utilisables ! Il faut reprendre du temps pour se faire aider par les bons experts, en interne ou avec des entreprises indépendantes pour faire évoluer en permanence les formations. Cela étant dit et pour conclure sur le sujet des formations supérieures, je suis très contente de la formation reçue à l’EDHEC, qui m’a préparée au monde de l’entreprise avec des mises en situation théoriques et pratiques via les stages, l’importance de l’international et la qualité des enseignants et intervenants.
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