Retour aux actualités
Article suivant
Article précédent

Entretien avec Magali Jallot (EDHEC Master 1992), Directrice générale France de la Maison Van Cleef & Arpels

Interviews

-

23/02/2023

Près de quinze ans chez Van Cleef & Arpels (après un peu plus de dix ans chez Cartier) ont permis à Magali Jallot (EDHEC Master 1992) de toucher de près l’essence de la transmission et du savoir-faire de la Maison, fondée en 1906. De la relation client à la gestion de la boutique de Fifth Avenue à New York, en passant par trois ans à la tête de la filiale coréenne, les chemins l’ont menée à la direction générale France. L’amour du beau se mesure à l’écoute attentive et au travail en équipe.

Comment résumerais-tu ton poste et tes responsabilités actuelles ?

La Maison Van Cleef & Arpels est organisée en plusieurs entités, parmi lesquelles la France, dont j’ai la responsabilité au sein de la région Europe. En cela, je développe les ventes sur le territoire français et monégasque, à partir de deux piliers très forts : d’abord l'image, c’est-à-dire l’environnement que nous souhaitons communiquer, la façon dont nous voulons nous faire connaître ; puis, la clientèle, avec laquelle nous avons à cœur de tisser des liens sur plusieurs générations.

Il y a également une échelle de temps que j'aime beaucoup. Nous naviguons sans arrêt entre le quotidien et les projets à plus long terme. La haute joaillerie est un milieu d’émotion qui implique énormément de travail en équipe sur le terrain.

La finalité de Van Cleef & Arpels est donc véritablement le client…

La créativité guide tout ce que nous faisons, et nos sources d'inspiration sont assez universelles – histoires d'amour, nature, danse, œuvres littéraires. Nous prenons le temps nécessaire pour apprendre à connaître les clients, qui nous font part d'une envie ou viennent avec une pierre qu’ils souhaitent mettre en valeur. Tout au long de notre histoire, beaucoup de créations sont nées pour répondre à un besoin ou pour relater une histoire. C’est le cas des Minaudières – petits objets à compartiments pour y mettre rouge à lèvres, poudre, briquet et cigarettes –, dans les années 30, inspirées par Florence Gould, qui utilisait son étui a cigarettes pour ranger ses accessoires, à une époque où le sac à main n’existait pas tel que nous le connaissons aujourd’hui. Lorsque nos clients expriment un besoin particulier, nous mettons tout en œuvre pour imaginer avec eux une création sur mesure.

Ce sens du sur-mesure crée-t-il une communauté de clients fidèles ?

Van Cleef & Arpels était une entreprise familiale jusqu'à son rachat par le groupe Richemont dans les années 2000, et la famille continue à visiter la boutique de New York et à être fière de la façon dont la Maison est interprétée. Nous perpétuons cette notion de famille avec nos clients. À la boutique de Fifth Avenue, je pouvais voir jusqu’à trois générations d'une même famille. Nous sommes honorés d’être le joaillier d'une famille. Ce qui compte le plus, c’est ce lien privilégié qui transcende les générations.

Comment assume-t-on ce temps long dans un monde rapide ?

Dans la haute joaillerie, où la perfection est reine, nous sommes plutôt fiers de dire que « le temps nous appartient ». Il n’y a pas une logique de présentation de collection à intervalles réguliers, nous présentons une collection lorsqu’elle est complètement aboutie. Nous ne commençons la conception qu‘après avoir effectué les phases de dessin en amont, récolté les pierres, mis au point les maquettes pour valider des volumes. Nous allons à notre rythme, parce que notre maison fait encore tout à la main, et en France. Certaines pièces demandent d’ailleurs jusqu’à deux mille heures de travail. Ce temps long nous garantit, avec une certaine indépendance, d'aller à l’excellence.

Nos pièces se transmettent de génération en génération. Puisque les clients se constituent leur propre collection, nous ne sommes pas dans un sentiment d’urgence. De grandes tendances ont en revanche vu le jour à travers les époques, comme la couture dans les années 40, ou la présence de l’or jaune dans les années 70. Ce qui explique qu’aujourd’hui, tout un pan de la clientèle, en plus d'être attirée par les créations contemporaines, nous demande des pièces historiques, au style ou au design particulier, qui ont déjà eu une vie.

Le savoir-faire en matière d’artisanat joaillier se transmet-il lui aussi de génération en génération ?

Oui, ce sont des métiers qui peuvent s'apprendre très jeunes, dès la fin du collège. Il faut plus d'une dizaine d'années pour être expert dans les différents métiers de la joaillerie que sont le lapidaire, le sertissage ou le polissage. C'est une transmission de cheville à cheville, aux côtés de personnes plus expérimentées, qui aident à fabriquer des outils et à acquérir le geste. Il y a souvent des histoires de famille, on peut être joaillier de père en fils, et même de père en fille. Ce sont des métiers exceptionnels, au carrefour de la création, de la conception, de la fabrication, le tout en équipe, avec une évolution constante. Il y a un temps de réflexion et un temps physique pour le joaillier, lui-même architecte de la pièce. L’expression « mains d’or » prend alors tout son sens, mais il faut garder à l’esprit que chaque pièce est une œuvre collective qui passe entre les mains de différents corps de métiers et artisans.

Au-delà des histoires de famille, comment faites-vous découvrir ces métiers ? 

Notre croissance dépend aussi de nos capacités à faire connaître ces métiers, pour que les filières recrutent et forment nos futures mains d'or. Nous avons initié « de Mains en mains, à la découverte des métiers de la joaillerie » il y a deux ans, à Lyon, bassin historique de joaillerie où nous avons des ateliers. Nous investissons plusieurs espaces du Grand Hôtel-Dieu pendant plus d'une semaine et reconstituons un atelier avec nos ouvriers joailliers, sertisseurs, polisseurs, dessinateurs et concepteurs CAO [NDLR, conception assistée par ordinateur] afin de présenter notre travail à un large public, et en particulier à des collégiens. Nous essayons de susciter des vocations à un moment où ils peuvent s'orienter vers ces filières porteuses en termes d'emploi.

Nous le faisons aussi à travers L'École des Arts Joailliers qui a pour mission de partager la culture joaillière avec le public le plus large possible. Fondée en 2012 avec le soutien de Van Cleef & Arpels, elle propose un programme exclusif, articulé autour de trois grands thèmes : le savoir-faire, l'histoire du bijou et l'univers des pierres précieuses. L'École accueille le grand public dans le monde du bijou à travers des cours, des conférences, des expositions et des publications, tant dans ses sites permanents de Paris, Hong Kong et prochainement Shanghaï que dans le reste du monde, avec des événements itinérants.

Van Cleef & Arpels possède-t-elle une identité fédératrice dans toutes ses créations ? 

Chaque maison se construit par rapport à ses inspirations et à son ADN, pour créer un univers cohérent. Sinon, elles se ressembleraient toutes ! Nous perpétuons le style signature de Van Cleef & Arpels à travers l’évolution des techniques, des savoir-faire, de l’approche stylistique et des matériaux, en restant fidèle à notre histoire. La Maison étant née de l'amour entre Estelle Arpels et Alfred Van Cleef, tous deux issus de familles dans le milieu des pierres, les histoires d'amour ont forcément inspiré depuis 1906 bon nombre de pièces et de collections. Nous sommes guidés par le rêve et la féerie, dans des univers poétiques qui nous emportent d’abord par l’histoire que nous voulons raconter, et ensuite par la technique qui nous permet de la représenter. La beauté s'invente et se réinvente à l’infini.

Comment l’identité de la marque se traduit-elle dans le recrutement ?

Van Cleef & Arpels permet de nombreuses passerelles entre les métiers, marchés et régions. Nous recherchons des collaborateurs emprunts de bienveillance, sensibles aux valeurs de transmission et ayant un véritable intérêt pour le savoir-faire. Il y a une dizaine d'années, la Maison a lancé le programme « Vis ma vie », ouvrant à tous les salariés internationaux le remplacement d’un collaborateur entre 4 et 11 mois, pour tester une aptitude et enrichir son métier avec une expérience différente. Quand j'étais Directrice de la relation client et du développement international, j’ai ainsi pu découvrir le métier du Retail pendant quatre mois à Hong Kong, ainsi que la différence marquée entre un rythme de région et un rythme de marché. Six mois plus tard, on m’a proposé la direction générale de la Corée. Nos collaborateurs ressortent enrichis de nouvelles compétences et du partage des expertises de chacun.

 

Exposition « Métamorphoses joaillières : innovations techniques et portés originaux », à la Galerie du Patrimoine (20, place Vendôme – 75001 Paris), jusqu'au 27 juin 2023

Exposition « Ors et trésors, 3000 ans d’ornements chinois », à l’École des Arts Joailliers (31, rue Danielle Casanova – 75001 Paris), jusqu’au 14 avril 2023

 

Rejoins le Club Luxe et Art de Vivre EDHEC Alumni

1 J'aime
2980 vues Visites
Partager sur

Commentaires0

Vous n'avez pas les droits pour lire ou ajouter un commentaire.

Articles suggérés

Interviews

Benoît Gamard, investisseur immobilier et entrepreneur

photo de profil d'un membre

CAROLINE DE LONGVILLIERS

05 novembre

Interviews

Entretien avec Guillaume Richard (EDHEC Master 1996), PDG fondateur du groupe Oui Care

photo de profil d'un membre

EDHEC Alumni

16 octobre

Interviews

Octobre Rose : Zoom sur l’asso Cheer Up! qui soutient les jeunes contre le cancer et sensibilise les générations futures

photo de profil d'un membre

CAROLINE DE LONGVILLIERS

11 octobre