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Entretien avec Guillaume Richard (EDHEC Master 1996), PDG fondateur du groupe Oui Care

Interviews

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16/10/2024

À la tête du groupe international Oui Care – 500 millions d’euros de chiffre d’affaires –, qui rassemble aujourd’hui 17 marques de service à la personne, du ménage et repassage à la garde d’enfant et l’accompagnement des personnes âgées ou handicapées, en passant par l'apprentissage de l'anglais et la musique à domicile, son fondateur Guillaume Richard (EDHEC Grande École 1996) aime voir grand, loin et fort. Le méga-entrepreneur l’a d’ailleurs fait entrer dans la cour des entreprises à mission, en juin dernier. Croissance rationnelle, place à l’humain et opportunités technologiques : il retrace sa vision long terme et citoyenne, ancrée dans les besoins sociétaux du « mieux-grandir », du « mieux-vivre » et du « mieux-vieillir » de toutes et de tous, tels qu’exposés par la raison d’être d’Oui Care.

Comment résumerais-tu ton poste et tes responsabilités actuelles ?

Mon métier consiste essentiellement à définir la vision et la stratégie du Groupe et de ses 750 agences en Europe (250 succursales, 500 franchises). Je me suis notamment beaucoup impliqué dans l’entreprise à mission car elle rassemble tous les objectifs statutaires, et le fait de donner du sens au travail est fondamental pour nos 23 000 collaborateurs. En 2005, on faisait 250 000 € de chiffre d’affaires, et le numéro 1 mondial, 3,5 milliards de dollars. On s’est dit que notre objectif était de devenir en 10 ans le numéro 1 français (qu’on est largement), en 20 ans le numéro 1 en Europe, et en 30 ans le numéro 1 mondial. L’enjeu est de tout mettre en œuvre pour embarquer les équipes sur un projet et d’essayer de créer le maximum de synergies pour que l’addition de toutes nos marques fasse plus que leur somme. En externe, c’est agir pour la représentation du Groupe. Le chef d’entreprise est le premier commercial de son entreprise. Je représente ainsi Oui Care dans les médias, dans les instances professionnelles et auprès des différentes parties prenantes.

Le mieux-grandir, le mieux-vivre et le mieux-vieillir font partie intégrante de la raison d’être d’Oui Care. La société actuelle, qui se dit de tous les possibles, n’est-elle pas garante du « mieux » ?

Je pense qu’on ne prend pas suffisamment le temps de réfléchir à comment mieux vivre. Un des grands drames de la société, c’est de ne pas s’imaginer nos enfants avec une meilleure vie que la nôtre, alors que le monde évolue positivement, a minima d’un point de vue matériel. Une entreprise de service intervient sur une sphère relationnelle et émotionnelle, c’est-à-dire immatérielle. Faire garder un enfant apporte un mieux-vivre aux parents qui le confient ; et ce temps de garde participe au mieux-grandir de l’enfant dès lors qu’il contribue à son éveil. Le bricolage et la cuisine aident par exemple à la motricité fine et au développement cognitif. Des enfants plus épanouis renforcent leurs talents et cultivent des relations intergénérationnelles. Le processus est similaire pour les personnes âgées, à qui on doit réaffirmer leur « utilité » pour la société. Par amour, nous avons souvent tendance à faire les choses à leur place, mais il est important de les encourager à participer activement à leur quotidien tant qu'ils le peuvent.

Le service à la personne souffre parfois d’un manque de reconnaissance. La confiance dont tu parles fait-elle partie d’un projet de société pour valoriser ce secteur ?

Absolument, c’est pour ça qu’il faut montrer que nos services ont un apport majeur pour une meilleure qualité de vie. Il ne faut pas confondre « aimance » et « aidance » ; on peut faire des bêtises en voulant faire bien. Pour aider, il faut maîtriser un savoir-faire, des techniques professionnelles, des gestes et des connaissances théoriques, en fonction du stade de développement des personnes. Ces métiers sont dévalorisés parce qu’on ne leur accorde pas de compétences, parce que nous-mêmes ne sommes pas compétents dessus et croyons que nous en sommes capables juste par amour. Or on n’est formé ni à devenir parent, ni à s’occuper de nos parents âgés. Un de mes combats majeurs, c’est de montrer la différence entre quelqu’un de bonne volonté, et quelqu’un de formé et professionnel. Et ainsi faire grandir ce métier et le faire reconnaître à sa juste valeur. Si vous aimez vos parents et vos enfants, confiez la technique à des professionnels, et concentrez-vous sur l’affectif. Une de nos études récentes montre d’ailleurs que les services à la personne sont perçus comme un pilier essentiel de notre cohésion sociale, car permettant de rompre l'isolement (selon 85% des Français) et favorisant l'inclusion des personnes vulnérables (selon 77%).

La société et le secteur du service à la personne peuvent-ils répondre au vieillissement croissant de la population ? 

La transition démographique est inévitable, c’est un des grands défis de notre temps. Le baby-boom se transforme en papy-boom, et la société n’est absolument pas prête. Déjà par la façon dont elle considère l’accompagnement. Cette génération ne va pas subir ; elle veut continuer à être actrice. Il va falloir aussi inclure au maximum (et le plus longtemps possible) les personnes fragilisées, et s’occuper avec humanité et dignité des personnes dépendantes, pour continuer à préserver au mieux leur bien-vivre et leur bien-vieillir. Il ne s’agit pas tant de donner des années à la vie que de donner de la vie aux années. C’est pour ça qu’on développe des programmes autour de notre marque Autonomia (qui permet aux personnes âgées de rester chez elles plutôt que d’être envoyées en EHPAD) et son Lab, qui compile toutes les recherches autour notamment de l’alimentation, des activités sociales et des adaptations du logement, pour une vieillesse épanouissante, dans la meilleure santé possible.

Quels sont les leviers pour s’y préparer ? 

Face aux besoins grandissants de personnel de santé afin de garantir la qualité de l’accompagnement des personnes âgées ou en situation de handicap, le Danemark a, par exemple, déjà prévu de recourir assez massivement à l’immigration. Mais il y a aussi des enjeux de formation pour cet accompagnement, et des enjeux d’adaptation de la société au vieillissement. APEF, la deuxième marque du groupe Oui Care, lutte notamment pour ce changement de regard, mais aussi France Présence, Les Bienveillants ..  Notre Silver Alliance regroupe une quarantaine d’entreprises (non concurrentes) de la silver economy, qui représentent toutes une petite partie du puzzle, pour permettre aux personnes de bien vieillir chez elles, entre le giron technologique, la téléassistance, la préparation des repas et la télémédecine. On travaille ensemble, on se prescrit, on se valide les uns les autres.

Quel rôle jouent l’innovation et l’entrepreneuriat ?

Ils sont fondamentaux. Les innovations dans nos systèmes d’information permettent d’être plus performants, et de gérer la relation avec plus de 130 000 clients et 23 000 collaborateurs. Nos salariés peuvent avoir directement leur planning, leur itinéraire chez le client, les tâches à réaliser, la paye, simplement sur leur téléphone mobile. Les outils technologiques permettent aux personnes de rester chez elles plus longtemps. Depuis notre arrivée sur le marché, l’innovation a constitué à prendre du recul sur les métiers pour apporter une méthode différenciante au service de nos objectifs sociétaux.

L’attention portée aux salariés est aussi notre pierre angulaire depuis le départ. Un salarié satisfait assure à 99,9% un client satisfait, d’où les différents business models des marques du Groupe : CDI temps plein dans un domaine (La Compagnie des Lavandières), adaptation aux demandes de temps partiels (O2), choix et validation des clients par les salariés (Les Bienveillants). Ces différents cadres contractuels s’associent à une politique d’évolution professionnelle. On a créé un institut de formation en interne, on accompagne pour valoriser.

Chaque nouvelle marque dans le groupe Oui Care étend donc à la fois l’activité et les domaines de compétences des salariés…

Dans le développement de l’entreprise, soit on étend la couverture géographique, soit on propose une nouvelle vision de la marque existante, soit on fusionne la marque avec une autre déjà existante. Et ce sont souvent nos salariés, davantage que nos clients, qui portent les projets. Beaucoup d’éléments se font aussi avec des rencontres, un partage de vision, de valeurs et d’ambition, l’importance portée à l’humain. Ce n’est pas tant le métier qu’on fait qui change la vie plutôt que la façon dont on exerce ce métier. On ne choisit pas toujours le métier qu’on fait, mais systématiquement la façon dont on l’exerce.

La qualification d’entreprise à mission a-t-elle modifié les opérations du Groupe et le quotidien des salariés ?

J’ai adopté le statut d’entreprise à mission pour avoir un impact sur le monde. J’ai toujours été un grand mégalo ! Quoi qu’il arrive demain pour moi, l’entreprise continuera à avoir cet ADN aujourd’hui gravé dans ses statuts, mesuré et contrôlé par un organisme tiers indépendant. Au-delà de la nécessité saine de gagner de l’argent – plus de moyens pour faire autre chose –, l’entreprise a l’objectif de faire le bien, d’avoir un impact maximum. Toutes nos actions doivent être guidées par ces deux pans. Quelque chose qui n’est que business n’a pas de sens, quelque chose qui n’est que sens (mais aberrant économiquement) non plus. Ce phare doit éclairer, c’est un élément d’attractivité pour le Groupe, les collaborateurs et les clients.

Parmi les engagements d’Oui Care figure la lutte contre les violences faites aux femmes. Un groupe dans la proximité a-t-il plus de légitimité sur ce terrain ?

Si Oui Care avait été dans le secteur du nucléaire ou de l’armement, le combat n’en aurait pas été moins valable. Je croyais à tort que ces sujets de société étaient avant tout l’apanage des populations les plus modestes. Ce n’est pas que le cas. 9 femmes cadres – 6% des effectifs – ont fait appel aux services de notre fonds de solidarité, créé justement pour lutter contre les violences conjugales,  la première année de mise à disposition. C’est absolument effrayant, ça m’a bouleversé. Ça nous concerne tous. Quelqu’un qui n’est pas bien dans sa vie personnelle, l’est rarement dans sa vie professionnelle, et inversement. C’est aussi pour ça qu’on travaille à l’épanouissement professionnel de nos collaborateurs. Et même si l’entreprise ne doit pas s’insérer dans la sphère privée, on a la responsabilité de ne pas laisser de côté les personnes qui souffrent.

 

Plus d’infos sur la qualification d’Oui Care en « Entreprise à mission »


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