Entretien avec Cédric Renard (EDHEC Master 1997), Directeur Général France d'Emirates
Après plus de 15 ans chez Air France (Air France-KLM), Cédric Renard (EDHEC Master 1997) est aujourd'hui Directeur Général France d'Emirates. Dans cette interview, Cédric nous explique la stratégie d'Emirates, axée sur l'expérience client, nous raconte la gestion d'une compagnie aérienne en pleine crise sanitaire mondiale et nous partage sa vision des défis du secteur aérien face aux enjeux climatiques.
Quel est ton rôle au sein d’Emirates ?
J’ai le plaisir d’être le Directeur Général France d’Emirates, ma fonction est de s’assurer que tout soit mis en œuvre pour que l’expérience Emirates soit la plus accomplie pour tous nos voyageurs de et vers la France. Cela inclut l’activité passagers et l’activité cargo ainsi que toutes les fonctions commerciales, la responsabilité financière, la communication, les ressources humaines et opérationnelles avec en premier lieu la sécurité de nos opérations aériennes, en liaison bien sûr avec des équipes expérimentées à Paris, à Lyon et à Nice et notre siège à Dubaï.
Comment est né le lien entre la compagnie aérienne Emirates et la ville de Dubaï ?
Emirates a été créée en 1985, c’est donc une compagnie jeune. La vision a toujours été d’avoir une expérience client d’exception à chaque interaction avec nos clients. Elle est aujourd’hui la plus grande compagnie internationale.
Si vous comparez Dubaï en 1985 avec la ville aujourd’hui, c’est incroyable. Il fallait être visionnaire pour voir qu’on pouvait créer à la fois une destination à part entière – Dubaï est aujourd’hui la 4ème ville la plus visitée au monde - et un hub porté par une compagnie aérienne, géographiquement très bien placé. Nous sommes évidemment dans un marché ultra concurrentiel mais aucune ville, dans la région du Golfe, n’a su développer une destination avec ce niveau d’attractivité qui va de pair avec sa fréquentation.
Est-ce qu’Emirates a aussi permis cet attrait et cet essor de Dubaï ?
Emirates ne serait pas Emirates sans Dubaï et Dubaï ne serait pas Dubaï sans Emirates. Il y a une logique depuis le début : faire que Dubaï se développe en tant que destination économique, financière, touristique et en parallèle que la compagnie aérienne étende son réseau.
Dubaï permet à Emirates de bénéficier à la fois d’un trafic de « point à point » entre un pays et Dubaï, ce qui est essentiel à l’économie d’une compagnie aérienne mais aussi de servir l’ensemble des flux internationaux, de par sa situation géographique unique entre l’Asie et l’Europe, entre l’Afrique et les Amériques, etc. Plus précisément, 1/3 de la population mondiale se situe à moins de 4 heures du Moyen Orient, 2/3 de la population mondiale à moins de 8 heures et c’est près de 90% de la population mondiale à portée de vol direct, via le hub de Dubaï, premier aéroport international au monde. Emirates a su tirer bénéfice de cette localisation géographique et de sa proximité avec de nombreux pays émergents.
Qu’est-ce qui t’a attiré chez Emirates après avoir eu des responsabilités chez Air France - KLM ?
Ce qui m’a fasciné, et qui me fascine toujours, c’est le focus sur l’expérience client. Quand vous regardez nos avions, il y a toujours quelque chose de particulier. Il y a cette recherche de confort et de bien-être comme les aménagements intérieurs de nos A380 avec le bar qui est un endroit que tout le monde apprécie. Cette expérience, se retrouve également dans nos relations locales avec nos clients. Toutes les démarches commerciales, de communication sont regardées à la loupe pour porter la stratégie d’expérience client d’Emirates.
Est-ce une demande des consommateurs d’avoir une expérience plutôt qu’un service purement fonctionnel ?
Depuis le début, Emirates s’est battu pour offrir le meilleur rapport qualité/prix, étant convaincu que l’expérience du voyage débute dès la montée dans un de nos avions. Nos clients bénéficient en outre d’avions plus modernes, uniquement gros porteurs et donc plus spacieux– la flotte Emirates est uniquement composée d’avions long courrier, 118 Airbus A380 et 157 Boeing 777 – et bien évidemment d’aménagements intérieurs supérieurs (bar dans nos A380, wifi dans toutes les cabines, service de limousine pour les clients Affaires, Douche Spa en Premiere Classe), avec des équipages multiculturels et particulièrement attentionnes.
Aujourd’hui, malgré ou grâce à la crise, on pense que les gens ont encore plus envie de se retrouver, de vivre des moments uniques. L’appétence pour le voyage n’a pas diminué et cette volonté de « bien voyager » est sans doute encore plus forte, pour la clientèle loisirs.
Comment gère-t-on une compagnie aérienne en pleine crise sanitaire mondiale ?
L’année dernière a été apocalyptique et abyssale pour toutes les compagnies aériennes, personne n’a été épargné. Quand le monde est fermé, une compagnie aérienne ne peut pas faire grand-chose. Il faut alors se réinventer. Aux premiers jours de la crise, Emirates a redéployé très rapidement un réseau cargo avec des avions full cargo et en réaménageant les cabines d’avions passagers. En 100 jours, nous proposions 100 destinations cargo. Nous avons transporté des millions d’équipements de protection individuelle ; nous avons mis en place des infrastructures dédiées qui nous ont par exemple permis de transporter plus de 100 millions de doses de vaccins de par le monde.
D’autre part, Dubaï est l’une des rares destinations long-courrier qui a rouvert très rapidement, dès juillet 2020, ce qui constitue une opportunité quasi unique pour Emirates. (Notre réseau s’est progressivement redéployé et nous opérons plus de 120 destinations passagers (plus de 80% des niveaux pré-pandémie) et 130 destinations cargo. Nous relançons nos opérations de façon séquencée et raisonnée, au vu des conditions sanitaires et de la demande.
Le monde se rouvre progressivement, et c’est stimulant : la Thaïlande, Phuket plus précisément, l’ile Maurice à compter d’octobre, etc. Les restrictions sanitaires se lèvent notamment pour les personnes vaccinées, ce qui est un net progrès. En parallèle, de et vers la France, nous augmentons nos capacités et nos fréquences : depuis début juillet, nous proposons 2 airbus A380 entre Paris et Dubaï. Nous sommes aussi présents en régions avec 3 à 4 rotations hebdomadaires au départ de Lyon et de Nice.
Une compagnie aérienne a cette vision globale du monde. C’est un bon baromètre de la demande à travers de nombreux indicateurs : la tenue des échanges, comment nos soutes se remplissent, quel matériel, qu’est-ce qu’on transporte en import, en export, en passagers, qu’est ce qui marche, les destinations qui poussent.
Comment créer une expérience client optimale dans un contexte si perturbé ?
Aujourd’hui, nous repensons la manière de voyager, rassurer en premier lieu les voyageurs sur tous les aspects sanitaires, tout en gardant notre ADN : être toujours précurseur. Ce n’est pas parce qu’il y a crise qu’il n’y a pas innovation. Actuellement, nos clients ont besoin d’être rassurés, on a été les premiers à inclure dans tous nos billets une assurance Covid qui s’est transformé en une assurance multirisque incluse gratuitement dans nos tarifs. Quand on réserve un billet d’avion aujourd’hui sur Emirates, on peut annuler ou reporter sur 24 mois. C’était notre priorité, et notre signature de marque a évolué : au début, on était Fly Better et temporairement, on a complété avec Fly Safer pour bien prendre en compte la réalité du moment.
On travaille aussi sur la fluidité des expériences de nos clients, en partenariat avec les autorités et les aéroports, en investissant sur le digital et sur les nouvelles technologies biométriques. A l’aide de votre téléphone, à l’aéroport de Dubaï par exemple, vous pouvez effectuer le parcours voyageurs et passer tous les points d’interactions de façon digitale.
Sur nos produits, dans les nouveaux A380, nous lançons une nouvelle cabine –Economie Premium - où le confort est encore plus optimisé pour une clientèle loisir et affaires qui veut se faire plaisir et monter en gamme. Nous sommes en effet convaincus que ces produits d’expérience vont répondre à la demande de demain.
Y-a-t-il aujourd’hui un dialogue différent avec les aéroports, notamment au niveau de leurs services ?
Les aéroports sont de vraies entreprises, avec le souci du client. Les rapports entre les compagnies aériennes et les aéroports ont fortement évolué : on échange expérience client, digitalisation, temps d’attente, aménagement, confort, projets de développement et infrastructures, etc. Les discussions avec les aéroports sont des discussions constructives : nous sommes apporteurs de clients. Faire rayonner la ville passe aussi par les connectivités aériennes et Emirates le propose à Paris mais aussi à Lyon et à Nice.
Quelles sont les relations entre Emirates et la France ?
L’attachement à la France est très fort, par exemple, 50% des commandes en A380 (Airbus) viennent d’Emirates. 85% des vins qui sont servis à bord des avions Emirates sont des vins français. 7 millions de bouteilles sont stockés en Bourgogne. De nombreux équipements d’Emirates sont issus de l’expertise française : les pneus Michelin qui équipent nos avions, le service de divertissement à bord de nos avions, c’est Thales … sans compter tous les prestataires/fournisseurs qui œuvrent dans le cadre de nos opérations.
L’investissement sur le sponsoring sportif est aussi conséquent dans le cadre de notre stratégie de marque. Nous sommes partenaires d’évènements majeurs en France, comme les Internationaux de Roland Garros. Des contrats sont négociés sur plusieurs années comme l’Olympique Lyonnais signé pour 5 ans, après le PSG club pour lequel nous étions sponsor principal durant 14 ans. Nous sommes sponsors du Rolex Paris Masters à Bercy et de bien d’autres événements phares, comme la prochaine coupe du monde de Rugby en France en 2023.
En d’autres termes, le lien entre Emirates et la France, c’est le goût des belles choses. La France est une destination en soi. Il y a une attirance forte des voyageurs de la région du Golfe pour la France … et vice versa.
Comment le sponsoring sportif participe-t-il à la continuité de « l’expérience Emirates » ?
Nous communiquons beaucoup et tactiquement, ce qui nous permet d’avoir cette image de marque, portée par la qualité des produits. Le sport est universel et Emirates est un acteur mondial : nos clients se retrouvent dans nos communications et nos sponsorings. Cela s’intègre à la construction de la marque, c’est fédérateur.
Par ailleurs, par le biais de ces événements sportifs que l’on sponsorise, nous rencontrons un grand nombre de clients, de partenaires, tout en développant nos relations commerciales : nous maximisons la visibilité d’Emirates et faisons vivre l’expérience client « au sol ».
Nos clients fidèles, les Skywards, peuvent utiliser leurs Miles pour participer à nos événements. Nous aimons partager des Flying Better Moments. Ce sont des expériences « money can’t buy ». A Roland-Garros, par exemple, le box d’Emirates est au 1er rang du court central, le joueur vient déposer sa serviette à 50 cm de vous, c’est une émotion unique, vous ne vivez pas le match de la même façon. Pour le Grand Prix Emirates de Formule 1, l’espace Emirates est au-dessus des stands, vous êtes au plus près des écuries en compétition. . Il y a une continuité entre ce qu’on vit à bord de nos avions et ce qu’on vit dans ces expériences lors de ces grands évènements sportifs, un souci de l’expérience.
Les consciences écologiques influent-elles sur l’évolution du secteur aérien ?
Le réchauffement climatique est une problématique d’importance et il n’y a pas de débat là-dessus. Nos clients sont sensibles cet enjeu, encore plus les jeunes qui sont très préconisateurs. Il ne faut pas faire de l’écologie un simple argument commercial ; néanmoins, il convient d’adresser la question en toute responsabilité. Avant de détailler les démarches d’Emirates, je souhaite rappeler que les avions représentent seulement 2.7% des émissions de CO2 dans le monde. Evidemment, cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire même si beaucoup de choses sont déjà faites.
La première mesure c’est de disposer d’une flotte jeune pour réduire les émissions de CO2 ; chaque saut de génération d’avion, c’est 15 à 20% de CO2 en moins. A ce titre, la flotte d’Emirates, c’est 7 ans de moyenne d’âge et on continue à investir pour différentes motivations : écologiques bien évidemment et aussi pour le confort de nos clients et pour des raisons opérationnelles. C’est un cercle vertueux.
Mais la vraie rupture, c’est quand nous disposerons de carburants biodégradables a des couts raisonnables, avec la mise en place de vraies filières d’approvisionnement. Aujourd’hui, la consommation de biocarburants est infinitésimale parce qu’il n’y a pas de filière, le prix est déraisonnable et si on utilisait ces carburants-là, le prix des billets d’avion exploserait. Dans un premier temps, nous sommes donc focalisés sur la compensation des émissions jusqu’en 2030-2035. Après, est ce qu’il y aura un gap technologique ? Est-ce qu’il y aura des avions à hydrogène ? Électriques ? Hybrides ? Je pense que l’on peut avoir foi dans le progrès, l’aérien a sans doute connu les plus belles révolutions technologiques, il n’y a pas de raison que cela s’arrête.
Pour l’exposition universelle de Dubaï, qui se tient du 1er octobre 2021 au 31 mars 2022, le thème est d’ailleurs de « Partager les connaissances, construire le futur » et les sous-thèmes abordés à travers les pavillons sont Opportunité, Durabilité et Mobilité. Emirates, compagnie partenaire de l’Expo, dispose d’un magnifique pavillon dans lequel nous proposons aux visiteurs d’imaginer l’avion de demain et notamment ces modes de propulsion.
Qu’est-ce que l’EDHEC évoque pour toi aujourd’hui ?
De très bonnes années. Pour moi ce qui est important, c’est la qualité de son enseignement et sa résonnance au niveau international. C’est une école dont le cursus est très professionnalisant. Je l’ai expérimenté encore récemment lorsque j’ai été invite à participer il y a 6 mois à un groupe de travail tenu par René Rohrbeck sur le thème « Fit to fly ». Les étudiants étaient amenés à réfléchir sur l’aviation de demain par rapport à toutes les problématiques actuelles. Et tant sur le fond que sur la forme, ils ont géré cette problématique comme un vrai projet, avec du vrai contenu, du vrai livrable et des vrais retours pertinents. Je suis par ailleurs aussi sollicité par des étudiants de l’EDHEC dans leurs réflexions professionnelles, dans leurs recherches et c’est avec plaisir que j’échange avec eux.
Qu’est-ce qui t’a manqué comme enseignement à l’EDHEC pour appréhender la suite de ta vie professionnelle ?
Le cursus est très généraliste, il vous prépare à l’ensemble des situations. Si je devais rajouter un enseignement, ce serait la gestion de crise. On est en gestion de crise depuis 14-15mois : on a abordé des situations d’une complexité inouïe, avec une visibilité très réduite. Cela reste compliqué mais l’expérimenter à l’école peut vous aider dans votre lecture des situations, dans vos automatismes. L’enseignement pratique en quelque sorte.
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