Il y a plusieurs chemins pour se lancer dans l’entrepreneuriat. Si, pour certains, cela passe par la création d’entreprise (la concrétisation d’une idée), pour d’autres, il s’agit de développer une entreprise déjà existante en la rachetant. Quelles sont les différentes étapes dans la démarche de reprise ? Quels sont les bonnes pratiques à adopter, les écueils à éviter ? Pour répondre à ces questions, nous avons puisé dans les ressources et témoignages de la communauté des alumni EDHEC. Ainsi, cet article a pour source principale le témoignage de Romain Rougier (EDHEC Master 2004, Directeur Général de BIOBJECT FRANCE) qui a animé le webinaire « reprise d’entreprise », lors de l’Alumni Summer Session 2020.
Reprendre une entreprise : c’est entreprendre !
Le besoin d’autonomie et de liberté d’action est souvent à l’origine des ambitions de reprises. En effet, les entreprises rachetées sont en règle générale à taille humaine et nécessitent un management fondé sur la confiance et l’autonomie de chacun. Mais il ne faut jamais oublier que reprendre une entreprise ne veut pas dire « avoir un nouvel emploi », c’est un véritable projet entrepreneurial.
« Il est nécessaire d’avoir une vision et l’objectif de développer l’entreprise, de la faire grandir. Il faut y mettre tout son cœur, c’est un projet de vie qui impactera bien plus que votre vie professionnelle ».
Ainsi, posez-vous certaines questions pour imaginer votre projet avant de vous lancer :
- Quel secteur d’activité m’intéresse ? Quel marché ?
- Quelles sont mes compétences sur ce secteur d’activité ? Mes connaissances sur ce marché ?
- Est-ce que je veux manager des équipes de 10 personnes ? 30 personnes ? Plus ?
- Est-ce que j’ai des disponibilités financières ?
- Est-ce que je veux reprendre une entreprise seul.e ou avec des associés ?
Un des avantages de reprendre une entreprise est de pouvoir changer de secteur et d’écosystème. L’important est de bien identifier vos compétences et valoriser votre expérience. L’entreprise ciblée et le secteur d’activité doivent vous passionner ! Dans le webinaire sur ce sujet, Roumain Rougier parle de la reprise d’entreprise comme « une nouvelle aventure qui ne sera pas un succès sans passion et sans cœur ».
Y-a-t-il un profil type de repreneur ?
L’image du repreneur de 50 ans, cadre supérieur, ingénieur dans un grand groupe et qui souhaite une nouvelle carrière, est très française. « Il est tout à fait crédible de se positionner pour reprendre une entreprise à 35 ans. Tout va dépendre de la personnalité, de l’expérience, de la motivation et de la vision du repreneur ». Sans oublier évidemment ses capacités financières pour investir dans l’entreprise.
Par quoi démarrer le processus ?
Le processus de reprise est un vrai marathon, il peut être assez lourd et surtout assez lent. Il est donc très important de ne pas partir seul. « Entourez-vous, ouvrez-vous ! »
Des organismes tels que le CRA (Cédants et repreneurs d’affaires), les CCI, des associations locales (départementales ou régionales) peuvent vous conseiller et vous proposer un suivi et des formations.
Approcher votre réseau est indispensable. N’hésitez pas à lister les contacts qui peuvent vous aider et vous conseiller : banquiers, dirigeants, avocats, experts comptables, etc.
Au sein de votre réseau, la communauté EDHEC peut vous soutenir et vous conseiller grâce notamment aux clubs professionnels EDHEC Alumni tels que le Club Entreprendre et le Club Reprise d’Entreprise qui vous permettront d’échanger / partager avec des alumni dans la même situation que vous ou qui ont déjà repris une entreprise.
Où trouver les entreprises à vendre ?
Il existe un marché dit « officiel » qui répertorie toutes les entreprises à vendre. Des petites annonces sont diffusées sur le site FUSACQ, via le CRA ou auprès des Tribunaux de Commerce (pour les entreprises en difficulté). Mais il est important de savoir que ce marché officiel ne représente que 20% des entreprises à reprendre.
C’est via le marché « caché » que 80% des reprises se réalisent. Pour accéder à ce marché, plusieurs options s’offrent à vous :
- la base de données DIANE qui liste toutes les entreprises françaises. Cette base de données vous permet de filtrer et de créer des algorithmes en fonction de plusieurs paramètres par exemple le CA des entreprises, leur résultat et une donnée très intéressante : l’âge du dirigeant ! La majorité des entreprises étant des transmissions, ce critère a une vraie valeur. Romain Rougier partage son expérience : « DIANE est une base de données très « indigeste » et difficile à manier, c’est pourquoi une formation de quelques heures sur ce logiciel peut être d’une grande aide. Le CRA et d’autres organisations proposent des formations. »
- des cabinets spécialisés et des banquiers d’affaires qui peuvent vous aider pour cibler et trouver des entreprises potentiellement à vendre.
- votre réseau! Ne l’oubliez pas, votre réseau peut vous aider et vous orienter vers des dirigeants qui souhaitent vendre dans un futur plus ou moins proche. L’avantage du réseau est qu’il va créer un lien, une affinité avec le potentiel cédant. Vous venez vers lui de la part d’une connaissance commune : c’est un beau début.
Dans le webinaire qui a inspiré cet article, Romain Rougier conseille d’avoir toujours plusieurs cibles. « Il faut étudier plusieurs dossiers d’entreprises car, tant que le rachat n’est pas signé, tout peut capoter… Moralement, il vaut toujours mieux avoir plusieurs entreprises en vue, c’est important ».
Préparer la rencontre avec le cédant potentiel
Vous avez ciblé une entreprise qui vous correspond ? Il est temps de préparer le premier rendez-vous avec le dirigeant. C’est un partenaire incontournable ! Renseignez-vous au maximum sur l’entreprise, son fonctionnement interne, ses clients, ses fournisseurs, ses concurrents. « Vous devrez préparer un pitch et vous présenter comme un entrepreneur, mais sans en faire trop ! Ne dévoilez pas toutes vos idées et vos pistes, la route est encore longue… » Ce premier rendez-vous doit vous permettre de « sentir » le dirigeant, avoir un bon feeling avec lui. Evaluez sa motivation à vendre et pour cela, Romain Rougier conseille de poser une question clé : « Que ferez-vous après avoir vendu votre entreprise ? ». « Si le dirigeant a des plans, des ambitions, des rêves c’est bon signe ! Ayez en tête qu’environ 80% des échecs de reprises d’entreprise sont dus au cédant qui ne souhaite plus vendre. Il faut bien comprendre la motivation du cédant et créer une bonne relation avec lui. »
Préparer sa lettre d’intention (LOI)
Après avoir signé l’accord de confidentialité, vous allez pouvoir demander au cédant les chiffres de sa société. « Certains seront conciliants et vous donneront beaucoup d’informations, d’autres cédants seront moins arrangeants ». Avec ces données, vous allez estimer la valeur de l’entreprise et préparer un plan de financement. Si vous en ressentez le besoin, vous pouvez vous faire accompagner par un avocat d’affaires ou un expert comptable. Il faudra exposer cette valorisation et ce plan de financement dans votre LOI. Un conseil de Romain Rougier est de proposer tout de suite au cédant un intéressement au succès de la société après la cession : «sous la forme d’un earn out, d’une participation, d’obligations…. Si le cédant refuse net et souhaite en plus réduire la période de transition, ce n’est pas bon signe ! ».
Une fois la LOI signée par les 2 parties, vous allez pouvoir attaquer la deuxième phase : la recherche de financement.
Le financement de la reprise :
En théorie, on recommandera pour un LBO (leverage buy out) classique :
Votre capital personnel + éventuel capital minoritaire = 30% du prix d’acquisition
L’emprunt bancaire ou autre emprunt = 70% du prix d’acquisition
Les process auprès des banques sont très longs, prévoyez des délais. « Il est conseillé de rencontrer plusieurs banques car vous aurez probablement quelques refus. Positionnez-vous comme un entrepreneur, préparer votre argumentaire et pour cela, les sessions « pitchs ouverts » organisées par les clubs professionnels EDHEC Alumni peuvent vous apporter beaucoup. »
Listez les éventuels investisseurs extérieurs : love money (famille / amis), investisseurs privés, fonds d’investissement, etc. Décidez en fonction de vos ambitions et vos souhaits si ces investisseurs seront « actifs » avec un rôle opérationnel dans l’entreprise ou juste « passifs ». Ces personnes ou organismes seront votre comité d’administration, réfléchissez bien avant de vous engager, installez des relations de confiance avec eux. Les organismes et associations peuvent aussi soutenir votre financement et alléger l’emprunt bancaire ou le faciliter. Ainsi, la BPI est un acteur très important. « Elle peut débloquer des prêts pour les transmissions et également contre-garantir les prêts des autres banques. Il est conseiller de les rencontrer vite. Un autre organisme peut aussi vous soutenir dans vos démarches, il s’agit de Réseau Entreprendre. Ils accompagnent des créateurs et des repreneurs et pourront, en fonction de votre dossier, vous accompagner et proposer un prêt d’honneur ».
Faire un audit complet de l’entreprise
Pour cette étape cruciale, faites-vous accompagner par des experts (experts comptables et spécialiste en droit social). L’audit va permettre d’affiner et de renégocier les conditions de l’acquisition et de la garantie. Si vous le pouvez, il peut être intéressant de demander au cédant de s’immerger dans l’entreprise quelques jours voire semaines. Cette immersion peut vous aider à identifier les écueils, mieux vous rendre compte des points positifs et négatifs de l’entreprise. Vous aurez à réaliser des analyses sectorielles : analyser le positionnement de l’entreprise par rapport à son secteur, analyser son écosystème et analyser le secteur (croissance, décroissance, concurrence). Le comportement et les attentes du cédant sont à prendre en compte pour votre SPA (contrat d’acquisition) et votre contrat de garantie. « Quels sont les leviers, qu’est-ce qu’il veut, qu’est-ce qu’il ne veut pas. Il est toujours mieux de garder de bonnes relations avec le dirigeant et pour faciliter ce contact, n’hésitez pas à utiliser des intermédiaires pour tout l’aspect « négociation et audit ». Laissez les experts qui vous entourent s’en charger et essayer de garder un lien « affectif » avec le cédant ».
Les premiers jours dans l’entreprise
Vous avez signé le closing ! Romain Rougier qui l’a vécu témoigne « le jour du closing est très émouvant, la fin d’un processus long, le soulagement et la joie que le projet aboutisse enfin ». L’arrivée dans l’entreprise est toujours un moment particulier. « N’oubliez jamais qu’en interne, vous êtes celui qui connaissez le moins bien l’entreprise, restez modeste », ce conseil de Romain s’ajoute à ses recommandations :
- « travaillez votre communication interne, l’histoire que vous souhaitez raconter avec le cédant
- passez du temps avec les équipes, comprenez chaque métier
- faites des entretiens individuels, cernez les caractères et les personnalités
- n’allez pas voir les clients et les fournisseurs immédiatement ! Attendez un mois, imprégniez-vous d’abord de l’entreprise
- visez les petits succès opérationnels qui vont améliorer les finances de l’entreprise et le confort du personnel, pas de grands chamboulements au début
- ne mettez pas des process partout !»
Afin de préparer au mieux cette entrée dans l’entreprise, le CRA organise une formation « les 100 jours après la reprise » qui est fortement recommandée ! Une remarque importante de Romain est a garder en tête : « le risque après le rachat est la solitude du repreneur ». Entourez-vous de personnes de confiance et de qualité.
Reprendre une entreprise est une véritable aventure entrepreneuriale. C’est une démarche qui nécessite à la fois le respect de certaines étapes clés mais aussi d’être dans l’empathie avec le cédant afin de mieux comprendre ses attentes et besoins. Mais la conclusion de ce long processus c’est finalement que « les gens qui vont au bout sont majoritairement très heureux de leur choix, les entreprises ont été ciblées car elles leur plaisaient. C’est intense, grisant et passionnant ».
Le témoignage de Mathilde Couturié, cédante de la plateforme Remplafrance
"La cession de notre entreprise a duré près d'un an. Nous avons été approchées puis rachetées par Adecco, un très gros groupe donc les process étaient lourds et très longs. Nous étions une start-up face à un géant de l'industrie donc nous avons voulu être accompagnées par un expert de la fusion-acquisition (avocat) et avec le recul, c’est une de nos meilleures décisions. Cela a un coût, mais face à l'enjeu, je le recommande grandement. Moralement, que ce soit pour le cédant ou pour le repreneur, il faut toujours se dire que tant que ce n’est pas signé, ce n’est pas fait, c'est un marathon, il faut garder de l'endurance ! Il y a des périodes de haut et de bas, heureusement, nous étions 2 associées pour se soutenir dans cette étape de l'aventure. Ensuite, ce qui aide, c'est la relation de confiance nouée avec l’acquéreur. Cette bonne relation fut cruciale pour la réussite du deal, il faut partager les mêmes valeurs et le projet d'avenir de l'entreprise.
Je recommande enfin aux repreneurs de toujours se faire accompagner par le cédant. La période de transition est importante. Le cédant a la confiance de son équipe, de ses clients, de ses fournisseurs donc une bonne passation est nécessaire pour la bonne santé de l'entreprise. Dans ce cadre, il ne faut pas négliger la conduite du changement de l’équipe en place, il faut y aller en douceur, être inspirant, ne jamais oublier que la valeur de l’entreprise repose sur les équipes. Être humble, à l'écoute et apprendre à connaître le marché."
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