Alexandra Operto (BBA 2010) : un parcours marketing et communication rythmé par les réseaux sociaux
Alexandra Operto (EDHEC International BBA 2010) a démarré sa carrière avec les réseaux sociaux. Facebook est né pendant ses années étudiantes, le boom de Twitter a commencé sur son premier emploi, Instagram est apparu ex nihilo alors que les marques échafaudaient des stratégies de community management, tout comme TikTok quelques années plus tard… Alexandra nous raconte son parcours, ses découvertes et son quotidien dans le groupe Estée Lauder Companies à Sydney.
Comment résumerais-tu ton poste et tes responsabilités actuelles ?
Je suis directrice marketing et communication des marques Estée Lauder et Tom Ford pour le groupe Estée Lauder Companies en Australie. Je suis responsable de la construction de la stratégie marketing, du lancement pour la filiale australienne des produits développés par le siège mondial à New York. Cela inclut le positionnement de la marque, la distribution des produits, les canaux de vente, la stratégie de prix, les négociations avec les distributeurs, mais aussi la coordination de mes équipes pour le merchandising en magasin, le CRM, les campagnes média et influenceurs... On développe beaucoup de contenu local dans l’objectif de résonner auprès du consommateur local, et ainsi de générer des ventes et gagner des parts de marché en créant un parcours consommateur omnicanal cohérent avec les valeurs et l’image de la marque.
La mobilité internationale a-t-elle d’emblée motivé ton choix pour le groupe Estée Lauder ?
Le nombre de marques est la première chose qui m’a motivée. J’ai travaillé 4 ans en agence avant de rejoindre Estée Lauder en France, et j’aimais beaucoup m’occuper de plusieurs marques avec des problématiques différentes, pouvoir changer d’univers. La présence mondiale du groupe permet aussi de travailler avec des objectifs différents. En France, Estée Lauder est challenger, la marque essaye de recruter de nouveaux consommateurs. En Australie, la marque est leader sur le marché.
Pourquoi ce choix de l’Australie en particulier ?
J’étais venue en vacances en Australie pour voir une amie de l’EDHEC. À ce moment-là, j’étais à Paris depuis 8 ans, je sentais que j’avais besoin de faire quelque chose de nouveau, mais je ne savais pas quoi, entre un départ à l’étranger ou un Master 2. La RH d’Estée Lauder m’a conseillé de construire mon expérience et, si les opportunités se présentaient, de partir à l’étranger avec le groupe. Ce poste à Sydney est tombé à pic car c’était l’évolution de mon poste en France, dans la même marque. J’avais le soutien de mes contacts chez Estée Lauder Corporate (globals) à New York, donc c’est donc tout un réseau interne au sein d’Estée Lauder et mon envie de partir qui ont motivé ce choix de l’Australie. Cela peut faire un peu peur, mais c’est très stimulant !
Comment définirais-tu la perception de la marque Estée Lauder en Australie ?
Il y a cette culture dite « anglo-market », commune avec les États-Unis et le Royaume-Uni. En France, les consommateurs se tournent plutôt vers des marques françaises comme L’Oréal, Lancôme, Chanel ou Dior. Estée Lauder est donc assez peu connue des consommateurs français. Ici, la marque est vraiment appréciée des consommateurs et on étudie beaucoup le parcours d’Estée Lauder.
Qu’est-ce qui distingue Estée Lauder (1908-2004) d’autres fondateurs ?
C’est elle qui a commencé à proposer des gifts with purchase à ses clientes, mais aussi des échantillons, qui maintenant font partie intégrante de toute stratégie marketing dans les cosmétiques. Elle a également été pionnière en relation client, aujourd’hui on parle de CRM. Elle se rendait dans les salons de coiffure et montrait ses produits pendant que les femmes attendaient. Elle a lancé sa marque avec seulement 4 produits-clés de soin. Puis elle a lancé des parfums (des huiles parfumées à mettre dans l’eau du bain), qu’elle a promus directement auprès des femmes, avec l’objectif qu’elles se les offrent elles-mêmes, et non à travers le cadeau d’un homme. Elle a osé énormément dans sa carrière et a toujours été très proche de ses conseillers en magasin. La force de vente était clé pour elle, si bien qu’elle a continué à visiter régulièrement les magasins jusque dans les années 2000.
Comment as-tu construit ton expérience et ta formation sur les réseaux sociaux ?
J’ai fait mon stage de fin d’études chez Orange Business, le B2B Orange. À l’époque, ils avaient des blogs d’experts sur le Cloud et les systèmes d’information. Les experts d’Orange écrivaient les articles, mon rôle était de coordonner les publications sur le blog. C’était de l’éditorial, plus que des réseaux sociaux en tant que tels. En commençant en 2009, je ne connaissais pas Twitter, les réseaux sociaux étaient encore très geek. C’était un cercle restreint, et pour les entreprises, ils étaient surtout liés à la gestion de service après-vente. Il n’y avait pas encore cette dimension communication business et animation de communautés. J’ai donc appris petit à petit. Lorsque je suis passée chez Orange Groupe dans la communication et les partenariats, je communiquais sur le Tour de France ou l’Euro 2012. Nous avons ainsi ouvert les audiences. On se rend compte du pouvoir que l’on a en créant une communauté, aussi bien positivement que négativement. C’est très intéressant de construire une expertise là-dessus et ça m’a beaucoup servi au fil de ma carrière. À mon arrivée chez Estée Lauder, peu de personnes avaient une expérience en community management et en développement de stratégie de communication sur les réseaux sociaux.
En invitant les consommateurs à participer, les réseaux sociaux ont ajouté une dimension pull au marketing, qui était traditionnellement dans une stratégie push…
Les réseaux sociaux sont devenus des plateformes d’échange pour récolter des suggestions. Une des premières choses que j’avais proposées chez Orange, était de demander aux personnes qui nous suivaient si elles voulaient qu’on parle d’un sujet en particulier. À l’époque, il y avait l’émergence de l’intelligence artificielle ; j’en ai parlé aux différents auteurs du blog pour savoir si certains étaient passionnés. La communauté est contente quand on la met à contribution, cela crée du lien. Aujourd’hui, nous ajoutons des QR codes sur les pubs print dans les magazines comme Vogue pour que les personnes puissent nous ajouter sur WhatsApp, nous parler et faire des live chats avec des conseillers clientèle. Il faut créer des canaux de communication et des liens privilégiés avec le consommateur, et pas seulement lui « pousser » des informations. Les notes et appréciations des produits sur internet ont aussi changé la donne. Nous avons de la data qui nous montre le taux de conversion sur notre site d’une page produit avec une bonne notation et un certain nombre d’avis publiés, versus une page qui n’en a aucun ou peu.
Tu as construit ton parcours avec l’apparition et l’évolution des réseaux sociaux, en mettant en action ce que tu apprenais au fil de l’eau. Aujourd’hui, a-t-on encore le temps d’apprivoiser les réseaux sociaux en milieu professionnel ?
Les réseaux sociaux sont toujours passés par la pratique. On teste, et si ça ne marche pas, ce n’est pas grave, on ajuste, on recommence. Beaucoup de marques sont hésitantes à investir dans les réseaux sociaux. Quand j’étais en agence, de 2012 à 2016, c’était encore le début d’Instagram, et des grandes marques voulaient des calendriers éditoriaux à long terme. On leur expliquait qu’on ne pouvait pas prévoir les tendances 3 mois avant. Se démaquiller en live ? L’ASMR (NDLR, Autonomous Sensory Meridian Response, pratique vidéo visant à produire des bruits discrets pour susciter le bien-être des spectateurs) ? Tout peut arriver ! L’émergence des communautés indépendantes sur les réseaux est aussi une source d’information pour nous. On a vu par exemple sur un groupe dédié à la beauté, animé par des passionnés non-professionnels, augmenter le nombre de questions sur un de nos fonds de teint: « Je ne sais pas comment l’appliquer », « J’ai besoin d’un pinceau ? », « Il me faut un blender ? », « Vous avez des conseils pour le rendre moins couvrant ? ». On a donc donné une réponse dans une série de vidéos sur nos réseaux sociaux. C’est aussi l’avantage des réseaux sociaux : être réactif aux tendances, apprendre du consommateur, l’éduquer sur un sujet.
Quelles sont les tendances actuelles des marques sur les réseaux sociaux ?
C’est une réinvention constante. Il y a de plus en plus de virtual selling, c’est-à-dire des personnes qui vendent directement des produits sur Instagram dans un live. On peut également faire un live et mettre de côté un produit qui sera acheté plus tard. Clients et consommateurs sont beaucoup plus connectés qu’avant. Les marques utilisent ces réseaux sociaux comme des canaux pour générer de l’engagement auprès de la marque, du brand love, et pas uniquement comme des canaux de SAV. Mais il faut se demander ce qu’apporte le canal pour la marque. Il y a un peu cette culture du rush, d’aller vite sur les nouveaux réseaux sociaux. Beaucoup de marques se sont jetées sur TikTok à sa sortie avec plus ou moins de succès. Y aller pour y aller ne sert à rien. Il faut y aller parce qu’on a quelque chose à dire ou une offre de contenu pertinente à proposer.
As-tu vu d’autres évolutions dans le domaine du marketing depuis ta sortie de l’EDHEC ?
Il y a 6-7 ans, on commençait à parler des Growth Hackers. Aujourd’hui, beaucoup d’entreprises en ont ou font appel à des entreprises spécialisées. Avant, on récoltait des données et on ne savait pas comment les interpréter et les transformer en insights, puis en actions. Depuis quelque temps, on voit le métier de Data Engineer émerger. Je pense qu’il faut être à l’écoute, c’est en observant qu’on comprend beaucoup de choses. J’ai construit mes compétences marketing en regardant comment le consommateur se comportait et en voyant comment je faisais aussi. Lorsque j’achète une machine à laver, je regarde les notes sur internet. Pourquoi est-ce que quelqu’un qui achète une crème à 150€ ne le ferait pas aussi ? Être un bon marketeur, c’est avoir de l’empathie pour le consommateur. Quand je suis arrivée en Australie, les consommateurs étaient très portés sur l’origine des ingrédients et la façon dont les produits étaient conçus. Nous avons fait une campagne pour ajouter de la transparence sur ces sujets, et nos fiches produits sur le site internet sont devenues très détaillées.
Entre le produit, le message ou les canaux, quel est désormais le plus important ?
Un bon produit qui n’a pas un bon message ou un bon canal ne fonctionne pas. Un produit basé uniquement sur la manière dont il est marketé non plus, si derrière il n’y a pas de substance. Un produit dans un bon canal mais dont le message ne résonne pas auprès du consommateur, ne marche pas. Encore une fois, le plus important, c’est vraiment le consommateur. Si on a un objectif clair et qu’on a les bons insights consommateurs et marché, les trois coulent de source. A minima, le message et le canal coulent de source si notre produit est plutôt bien fait et qu’il répond à un besoin conso. Les 3 seuls ne fonctionnent pas et les 3, même pris ensemble, peuvent ne pas fonctionner.
Comment vois-tu la communication des marques évoluer dans les 5 prochaines années ?
La tendance émergente, c’est la recommandation entre les personnes (peer-to-peer). Des groupes Facebook privés dédiés à la beauté ou à d’autres thématiques se développent. Les consommateurs se prennent en photo et demandent conseil de façon très spontanée à d’autres personnes « de la vraie vie » qui ont expérimenté des produits de beauté. Mais ces astuces et bonnes pratiques concernent aussi plein d’autres domaines ! Au-delà des insights qu’on trouve dans ces groupes, on voit aussi ce que les gens n’aiment pas. Cela permet de créer des communautés de « super-clients » qui peuvent devenirs ambassadeurs de la marque.
Les stratégies CRM sont aussi en fort développement. Personne n’aime recevoir des mails où rien n’est lié à ce qu’on a pu déjà acheter ou rechercher. Estée Lauder crée des parcours clients : lorsque j’achète un produit, le premier mail que je reçois explique comment appliquer le fond de teint que j’ai acheté. Un deuxième mail 15 jours après me demande un avis et propose un produit complémentaire dans la même collection. Un mail deux mois plus tard (durée de consommation du produit) propose à nouveau le produit avec un petit cadeau en plus. Tout ce qui est dynamique va vraiment devenir essentiel et les marques n’ont pas encore assez investi dans leurs bases de données ni dans le traitement des données. Il faut en faire bon usage et surtout proposer un message qui ait un vrai sens.
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