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Maguelone Biau : « Il faudrait plutôt parler des Afriques que de l’Afrique »

Interviews

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20/01/2022

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Rien n’arrête la très active Maguelone Biau (EDHEC Master 2016), à la carrière galopante ! Ambassadrice EDHEC Alumni à Abidjan, ancienne General Manager Côte d’Ivoire de Glovo – service de livraison ultra-rapide présent dans 26 pays d’Europe, d’Asie et d’Afrique – et aujourd’hui nommée CEO de KAMTAR, start-up prometteuse en Afrique francophone, elle est aussi apparue en couverture de Forbes Africa en décembre dernier. Elle nous raconte son aventure professionnelle en Afrique et son amour pour ce continent qui lui permet de vivre une expérience à cent à l’heure.

Comment résumerais-tu ton poste et tes responsabilités chez Glovo ?

Mon rôle principal était de gérer la marque Glovo en Côte d’Ivoire et de manager les équipes, avec tous les départements qui constituent l’entreprise : marketing, opérations, finance et nouvelles business lines comme les dark stores, ces « supermarchés fantômes » en zone urbaine qui permettent de se faire livrer en 10 petites minutes. Un directeur gère des imprévus, de l’humain et des challenges. Quand je suis arrivée sur le projet, on était 10 ; en décembre 2021, on était une quarantaine. On apprend en faisant, l’apprentissage va à une allure folle. Mes équipes ont développé des qualités et capacités par elles-mêmes. Ce sont les managers qui m’expliquent ce qui peut fonctionner ou non dans le business ! Je peux donc travailler plus en profondeur sur la stratégie.

Glovo a-t-elle la même stratégie en Côte d’Ivoire que dans les autres pays où elle s’est implantée ? 

Chez Glovo, tous les pays se retrouvent sur la stratégie, même si les investissements diffèrent en fonction des projets. L’intuitivité et le contenu de l’application, la promesse client, tout reste identique. On n’a pas vocation à livrer plus lentement parce qu’on est en Afrique ! On a en revanche des challenges opérationnels qui ne donnent pas forcément les mêmes résultats. Icile livreur doit par exemple trouver la porte sans une adresse définie comme on pourrait avoir en Europe.

As-tu vu une augmentation du service Glovo depuis le Covid ?

L’Afrique subsaharienne a été peu touchée par le Covid. En Côte d’Ivoire, les restaurants n’ont été fermés que de mars à mi-avril 2020, et il n’y a plus eu de contrainte depuis. La croissance ne s’est donc pas envolée d’un seul coup. Les habitudes ont peu changé, notre acquisition client a continué à se faire sur notre offre de valeurs. Ça nous a amené de nouveaux challenges, qui n’étaient pas forcément les mêmes qu’en Europe. La Côte d’Ivoire n’a pas les mêmes habitudes de consommation, le même relationnel au smartphone ou le même accès à internet, donc il faut s’adapter quotidiennement pour avoir une offre pertinente. Je suis assez fière que les gens utilisent maintenant « glovo » en Côte d’Ivoire comme un verbe à part entière : on « glovo », comme on « google ». On a réussi grâce à la récurrence d’utilisation de l’appli. On ne fait pas simplement de la livraison de nourriture, mais aussi du multi-category : on peut commander ce qu’on veut, même le chargeur qu’on a oublié à la maison.

Comment Glovo choisit-elle les pays dans lesquels elle s’implante ?

Ce que j’ai pu observer, c’est que Glovo va dans des pays où il y a du potentiel. Une équipe dédiée gère l’expansion et analyse les pays selon différents critères, dont le nombre d’habitants, le pouvoir d’achat ou la concurrence sur place. Il est très compliqué d’entrer dans un marché extrêmement saturé, il faut des fonds très élevés parce que les concurrents mettent déjà plusieurs millions sur la table. Glovo était souvent moins financé et a toujours eu l’optique de faire plus avec moins. Pour choisir les pays, il faut se demander si un retour sur investissement est possible à long terme. Se faire une place n’est pas impossible, ça demande juste d’allouer rationnellement son investissement.

Il y a plusieurs indicateurs à regarder, mais Glovo, à mon avis, ne va pas aller dans un pays qui n’a pas du tout de classe moyenne. Dans des pays surpeuplés comme le Nigéria, même si la classe moyenne est plus faible, elle représente énormément de monde, d’autant que le pays est un mastodonte économique. L’Ouganda a un très gros potentiel en termes de classe moyenne puisque l’activité est assez concentrée dans la capitale Kampala, avec l’existence des taxis motos. Là-bas, les gens sont habitués à donner un billet à une personne pour qu’elle aille lui chercher quelque chose au coin de la rue. Finalement, Glovo a juste formalisé une pratique existante.

Tes parents accueillaient des étrangers à votre domicile quand tu étais petite, ce qui t’a donné envie de découvrir l’Afrique. Ton Afrique rêvée et ton Afrique vécue se sont-elles rejointes ? 

Énormément de choses se sont rejointes. L’univers et l’état d’esprit que je vois ici sont ceux que j’avais imaginés en terme de couleurs – les sublimes tissus africains –, mais aussi tout l’imaginaire que j’avais créé visuellement. Je trouve qu’il y a une chaleur humaine extrêmement agréable en Côte d’Ivoire. La culture africaine est d‘une richesse folle. Il faudrait plutôt parler des Afriques que de l’Afrique. Rien qu’en Côte d’Ivoire, il y a 60 ethnies et plus de 100 langues. Il y a une grande tradition orale, peu d’écrit, ce qui permet de ne pas trop biaiser son jugement au contraire de certains pays sur lesquels on peut beaucoup se renseigner en amont. Les médias français parlent surtout de l’Afrique quand il y a des crises, mais au niveau humain et culturel, il y a un imaginaire très fort qui gagnerait à être mis plus en avant. Ce que je vis ici est exceptionnel, je me sens ivoirienne, alors que je ne suis ici que depuis 5 ansLa Côte d’Ivoire est aussi l’un des pays ayant l’une des plus fortes croissances économiques (plus de 6%) au monde. On le sent dans sa carrière professionnelle et dans le développement des villes. Des immeubles se construisent tout le temps, c’est un rythme qui me correspond vraiment.

Une carrière en Côte d’Ivoire donne-t-elle plus rapidement accès à des postes à responsabilités ?

À mon avis, c’est surtout lié à l’aspect start-up internationale car les autres directeurs généraux de Glovo dans le monde avaient le même âge que moi. Je pense en revanche qu’il y a de nombreux postes disponibles. D’un côté, beaucoup de talents ne sont pas encore formés – l’âge moyen en Côte d’Ivoire est de 19 ans –, et de l’autre, beaucoup de talents se sont expatriés. Ceux qui partent étudier à l’étranger reviennent généralement bien plus tard. Ces postes à prendre impliquent de créer ces talents. Ici, on donne donc plus facilement leur chance aux jeunes, qui sont très nombreux dans la population. La carrière internationale va plus vite en Afrique subsaharienne, on a des responsabilités plus rapidement. J’ai vite appris sur certains postes, je me suis positionnée. Chez Jumia, on m’avait promue sur un poste qui me demandait de déménager de la Côte d’Ivoire vers le Ghana. J’ai aussi été soutenue par le réseau EDHEC et le réseau tout court. À ce stade de notre carrière, on ne cherche plus du travail, on vient nous chercher. C’est une chance inouïe.

Comment recrutes-tu des collaborateurs en Côte d’Ivoire ? 

Je vois à travers mes équipes qu’il y a clairement une distinction entre éducation secondaire et supérieure. L’école est payante et très chère dès la maternelle. Beaucoup de gens vont dans le privé, ce qui a un coût pour les parents, tout le monde ne peut pas soutenir ça. Une fois que les jeunes étudient à l’étranger, certains ont du mal à revenir parce qu’ils ont des propositions très intéressantes ailleurs. Il y a aussi une grosse pression familiale sur le fait de venir travailler en start-up. Si toute la famille a investi pour que tu ailles à Harvard, il y a des attentes sur les postes et les entreprises que tu choisiras en revenant. De la même manière qu’en France, les salaires en start-up ne sont pas les mêmes qu’en banque ou en conseil. Sur les équipes, je pense qu’on arrive à faire monter tout le monde en compétences. Le plus difficile, c’est de réussir à trouver des personnes qui aient déjà une expertise sur les nouvelles technologies ou les nouvelles économies. On commence avec des gens très junior – comme moi, qui ne connaissais pas ce domaine avant –, et on apprend au fur et à mesure. L’allure à laquelle on y arrive n’est pas propre au fait d’être ivoirien ou français, c’est juste que les compétences évoluent.

Selon toi, qu’est-ce qui anime ce besoin de se faire livrer rapidement ?

La livraison à domicile devient extrêmement pratique pour la classe moyenne car ce service répond à un besoin. Ce besoin a toujours été là, mais s’exprimait différemment dans le passé. Que ce soit Kamtar, intermédiation entre propriétaires de camions et clients B2B, ou Glovo, on est dans le cadre de solutions technologiques qui révolutionnent les habitudes classiques de consommation. On a tous commandé de la nourriture ou laissé le numéro de quelques restaurants sur le réfrigérateur. Avant, on se déplaçait pour les pizzas ou le McDrive, mais on commandait la nourriture pour la manger chez soi. On se fait livrer parce qu’on a envie d’être à la maison, ensemble. En entreprise, on a toujours mangé avec ses collègues, il y avait juste une personne qui se déplaçait et achetait pour tous. Glovo a été un facilitateur de ce besoin, l’a formalisé, simplifié et étendu à une échelle sans précédent, facilitant l’accès à tout ce dont on peut avoir besoin en ville. Quand je me suis demandé pourquoi j’étais devenue accro à Glovo indépendamment d’y travailler, c’était parce que je savais que je pouvais faire confiance au service.

En quoi est-ce important d’avoir un réseau français, et notamment un réseau d’Alumni, pour une carrière à l’international ? 

C’est clairement ce qui m’a aidé à trouver tous mes postes. On se cherche beaucoup en sortant de l’EDHEC, et on est étonnamment déconnecté du monde du travail. J’avais eu plusieurs jobs étudiants donc même si j’avais une idée de ce qu’était le monde du travail, je ne pouvais pas juste imaginer les rôles que j’ai aujourd’hui. C’est ça la force du réseau : j’ai appelé des CEO, des gens qui avaient des postes très élevés et qui avaient toute l’expérience pour me dire concrètement à quoi m’attendre au moment de prendre un poste. On avait des échanges très enrichissants sur des choses dans lesquelles il était impossible de se projeter. Le réseau ouvre cette porte pour demander aux gens la réalité de leur métier. En discutant avec plusieurs personnes qui avaient des éléments récurrents dans leur discours, je me rendais compte que leur poste n’était pas fait pour moi. Et ce n’est pas grave ! Je savais ce que je ne devais pas faire pour éviter d’être malheureuse. EDHEC Alumni offre ce riche accès à des personnes qui ont des parcours très divers et tous intéressants à leur manière.


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