Vincent Lecerf (EDHEC Master 1985), Directeur Exécutif Ressources Humaines du groupe Orange
Orange, le groupe de télécommunications et d'informatique au célèbre carré, support à la fois aux entreprises et aux particuliers, possède un nouveau Directeur Exécutif Ressources Humaines depuis octobre dernier. Vincent Lecerf (EDHEC Master 1985) se consacre depuis plus de 30 ans à l’éventail de métiers des ressources humaines. Son parcours au sein d’entreprises de plus en plus vastes, dans des secteurs très divers (exploitation minière, matériaux de surfaces, transports et logistique), a sculpté les orientations de compétences et d’évolutions de carrière. Regard d’aujourd’hui sur la responsabilité individuelle et collective, ainsi que sur la place d’un métier dans la vie de chaque salarié.
Peux-tu nous décrire ton poste et tes responsabilités actuelles ?
Je suis DRH du groupe Orange, qui emploie 136 000 personnes dans 26 pays : 55 % en France, 45% à l’étranger. Le cœur de mon métier consiste à m'assurer que l'entreprise dispose des meilleures compétences collectives pour ses enjeux, aujourd'hui et demain. L’enjeu est particulièrement important dans un secteur qui évolue aussi vite. Les équipes doivent être engagées et efficaces dans un travail collectif, et les salariés doivent en même temps s'y retrouver, s'y épanouir, s'y développer. Une politique de ressources humaines fonctionne quand projet d'entreprise et projet personnel se rencontrent.
Qu’est-ce que l’engagement d’un salarié dans une entreprise ?
C’est la capacité du salarié à dédier un intérêt important à l’entreprise, d'abord en trouvant spontanément le sens de sa mission, puis en portant cette mission. Ensuite, qu'il y mette son énergie et sa bonne volonté pour que la mission réalisée remplisse avant tout un objectif personnel : il ne l’effectue pas juste parce que c’est écrit sur un contrat de travail, mais il se sent fondamentalement redevable de la mener à bien. C'est la partie immergée de l'iceberg, d'une certaine manière, et on peut faire les choses plus ou moins bien, avec plus ou moins d'énergie, de manière collective ou individuelle.
L’épanouissement étant l’autre versant ?
Je crois profondément qu'il y a un principe de plaisir dans le travail. Il est essentiel d’avoir le sentiment que ce qu'on fait est utile. Il n'y a pas d’un côté les beaux métiers sur lesquels les gens vont naturellement se sentir engagés, et de l’autre les métiers inintéressants. J'ai connu des gens passionnés par des activités qui ne m'auraient pas spontanément enthousiasmé. Le plaisir vient de tout si on voit l'utilité qu’il y a derrière. Quand on est RH, on essaie de comprendre le métier des autres. Parce que s'intéresser aux gens, c'est d'abord s'intéresser à ce qu'ils font.
Tu as étudié la sociologie à ta sortie de l’EDHEC. Cela répondait-il à une volonté de meilleure compréhension des métiers RH ?
Je suis sorti de l'EDHEC avant d'avoir 21 ans, donc tôt, et j'avais encore envie de creuser la « chose humaine » de manière un peu globale. J'ai donc fait un DEA de sociologie, qui m’a énormément plu. Ces clés de lecture me servent d’ailleurs toujours, elles traversent les époques, notamment dans les modèles organisationnels. Les arts et l’histoire donnent d’autres éclairages, Shakespeare est toujours d’actualité ! Les éléments de modélisation que j’en retire m’aident à prendre des décisions, à analyser des personnalités ou à comprendre des dynamiques collectives. Je trouve que c'est ce qu'il y a de plus complexe et stimulant.
Quelle était ta vision des RH en tant que jeune diplômé EDHEC ?
En école, on est loin d’imaginer comment fonctionne une organisation, avec ses règles et ses usages multi-dimensionnels. Les associations sont toutefois très utiles pour déjà identifier les profils un peu dominants, faire des arbitrages et allouer des ressources. Dans les organisations, il faut savoir gérer les compétences, comprendre comment fonctionne un conseil d'administration, comment les décisions sont prises. Les biais décisionnels peuvent être massifs : quand des fusions-acquisitions se déroulent bien, il est communément dit que « la stratégie est bonne » ; quand elles sont moins réussies, c’est souvent « un problème de culture ou d'hommes ». Certaines dimensions sont essentielles à la réussite de toutes les fonctions – pas seulement RH – en entreprise, mais ne sont à mon sens pas suffisamment valorisées dans les cursus d’enseignement supérieur. La fonction RH a des codes et des éléments de technicité, parce qu’elle inclut aussi le dialogue social et ses codes, des problématiques d'attractivité employeur et des politiques de rémunération. Un de mes patrons disait : « Certains sont premiers en classe, mais l'important est de recruter les premiers en cours de récréation. » Les contextes d’évolution des métiers sont également à intégrer car par définition, une organisation se transforme tout le temps, qui plus est avec son environnement.
Quelle est la place de l’humain dans un environnement de plus en plus dématérialisé ?
Les deux ne s’opposent pas. Le développement du numérique permet un autre type de relations et un travail plus qualifié. Ce n'est pas parce qu'un médecin est mieux équipé que son accompagnement ou même son jugement humain a diminué. Il prend une meilleure décision parce qu'il est mieux informé, mais il est fondamentalement toujours dans la relation et la prise de décision pour mieux soigner. En revanche, cela pose un certain nombre d'enjeux en termes d'apprentissage des outils numériques. Quand je suis sorti d'école, les métiers étaient d’une certaine manière plus normés. Les nouvelles générations ont plus de souplesse, mais aussi plus d'exigences environnementales et sociales, parfois paradoxales.
Les compétences, aussi bien soft skills que hard skills, sont-elles devenues des données de mesure comme les autres ?
Bien sûr, même si on n'est pas encore suffisamment instrumenté à ce sujet. Depuis les années 2010, chez Orange, nous avons mis les salariés en acteurs principaux de leur développement, et donné un large accès aux formations qu’ils souhaitaient. Nous avons donc énormément de données sur l'ensemble des compétences en vue d’éventuelles évolutions, et leur analyse est absolument essentielle. Le sujet n'est pas d'en avoir une mesure parfaite, mais d'objectiver des perceptions grâce à des référentiels et méthodes communs. Dans une talent review, un manager s'exprime en listant des forces et des points d'amélioration. On challenge souvent ses opinions par des regards croisés d'autres managers, dont la somme de perceptions subjectives amène à une perception objective. Une opinion peut, de ce fait, se dégager sur le dynamisme, l'esprit collaboratif, la force de proposition, voire la résilience.
Comment fédérer autour d’un projet stratégique d’entreprise ?
Il faut envisager la chose dans une logique de cascade, de capillarité, d'évangélisation. Faire est une chose, faire faire en est une autre, faire faire faire en est encore une autre. Il faut poser des briques suffisamment simples et inspirantes pour pouvoir embarquer tous les salariés, et ensuite traduire avec intelligence la maille de l'activité à un contexte particulier. Avec 136 000 salariés, il est nécessaire de fixer un cap, d’identifier les grands enjeux, les points de basculement, les éléments d'organisation sur lesquels investir, le type de culture à développer, les formations essentielles, la valorisation de la performance, les critères de recrutement, les types de profils recherchés. C'est en quelque sorte une segmentation et un ciblage marketing, avec également un important volet de communication interne. Une politique RH globale peut influencer par ricochet un ensemble de choix.
À quoi un DRH se forme-t-il ?
Il se forme à des dimensions techniques : rémunération, droit social, organisation, évaluation des personnes, recrutement. Mais je crois surtout qu'un DRH doit se former par la compréhension des femmes et des hommes et de l’univers technique dans lequel il évolue, en se plongeant sur le terrain. Dans l’entreprise, on acquiert 70% de ses compétences dans l’exercice de son métier, 20% à l’occasion de promotions, et 10% en formation. La formation n'est donc pas le levier principal dans l'acquisition de compétences. On apprend et on construit son métier, principalement par la mise en œuvre opérationnelle, même si on ne le valorise pas toujours soi-même.
Qu’est-ce qui fait un bon RH ?
D’abord sa capacité à comprendre les enjeux business, humains, sociaux et sociétaux, et en élaborer des politiques efficaces. Sa capacité à valoriser ce qu'une personne aura pu faire et apprendre, et décrypter les compétences acquises au travers d'expériences particulières. Un entretien de recrutement porte souvent sur les articulations, ce moment où les candidats ont changé d'univers ou ont rencontré des difficultés différentes, qui leur ont fait se rendre compte de compétences et limites personnelles. Ce qui est souvent intéressant dans les entretiens, c’est ce que les gens ne disent pas.
Il faut pour cela donner de la méthode et de la structure. On n'est là ni pour faire le bien ou le mal, ni pour faire plaisir, et les règles du jeu doivent être posées clairement dès le départ. Il arrive souvent un moment où des décisions et des arbitrages ont lieu, positives ou plus difficiles ; il faut savoir les assumer en accompagnement du management, avec bienveillance et empathie.
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