Marie-Hélène Blattmann-Lenoir (EDHEC Master 1992) témoigne des évolutions du secteur bancaire en faveur de la diversité et de l'inclusion
Marie-Hélène Blattmann-Lenoir a complété son diplôme EDHEC avec un MSc in International Accounting and Finance à la London School of Economics, et s’est tournée vers la banque (Swiss Bank Corporation, devenue ensuite UBS), un secteur qu’elle a continué à explorer à Londres depuis lors (Credit Suisse, puis le NatWest Group, à travers le prisme de la gestion de risque de crédit). Nous avons fait le point avec elle au cours du mois de décembre 2020 sur le bilan de cette année marquée par le COVID et le Brexit, mais aussi sur les initiatives porteuses d’espoir en faveur de la diversité, de l‘inclusion et de l’environnement dans le monde bancaire.
Peux-tu nous résumer ton poste et tes responsabilités actuelles ?
Je suis responsable du risque de crédit pour les institutions financières chez NatWest Markets, principalement sur la zone Europe Moyen-Orient Afrique (EMEA). Le risque de crédit est en quelque sorte la probabilité d’un client à remplir ses engagements financiers envers la banque quel que soit le produit. Avec mon équipe – des Risk Officers à Londres et des Credit Analysts en Inde – nous estimons la qualité d’emprunteur de nos clients (le rating) en fonction de nombreux indicateurs, tels que la situation économique du pays ou leur santé financière, et définissons l’appétit au risque (risk appetite) adapté pour la contrepartie ou secteur en question. Je travaille également en contact direct avec mes clients internes (le front-office) pour les aider à structurer au mieux leurs transactions en fonction du risque de crédit.
Je gère également une équipe d’interface entre le front office et les Risk Officers, qui s’occupe d’approuver et de contrôler les transactions (« flows »), ainsi qu’une équipe qui développe notre cadre règlementaire pour le risque de crédit.
Enfin, je travaille avec le Chief Risk Officer (CRO) sur la mise en place de notre « People Strategy », incluant des thèmes de diversité, d’inclusion, de talents, de développement...
Quelles sont les qualités requises pour les métiers de la gestion de risque ?
Au départ, il faut bien sûr être analytique, avoir une connaissance des produits de marché, et un réel intérêt pour l’économie. Mais surtout l’envie de vouloir continuer à apprendre dans un environnement en constant changement. Nous avons des formations obligatoires tous les trimestres dans des domaines aussi variés que la règlementation, la cyberfraude ou l’intelligence artificielle, et favorisons le développement professionnel dans toutes les disciplines de risque (opération, crédit, marché…). Une grande partie du département vient de terminer un Master de l’université d’Édimbourg développé spécifiquement pour NatWest sur le changement climatique.
La data est aujourd’hui au cœur de l’activité du risque de crédit. Comment évolue dans ce cas la dimension humaine de ton travail au quotidien ?
La banque de détail s’appuie énormément sur la data, le secteur s’est vraiment développé dans cette direction, et je pense que la plupart de leurs embauches sont sur ce créneau. Avec le développement des applications bancaires et des fintechs, on peut avoir accès à tous les services bancaires en quelques clics. Dans la banque plus institutionnelle, ce n’est pas encore complètement le cas, car les transactions sont davantage faites sur mesure, et s’adaptent de plus en plus au besoin du client. Dans les produits de marché standardisés (Flow Business), l’automatisation se développe rapidement et certains métiers vont disparaitre.
La gestion de la data permet-elle de rapprocher la banque de ses clients et ainsi de diminuer le risque de crédit ?
La data est bien sur un outil, mais je pense que la relation de confiance entre le client et la banque est très importante. Si on connaît bien son client, on connaît ses besoins et la saisonnalité de ses revenus et dépenses. On peut donc anticiper les problèmes. Quand les choses vont mal, c’est important d’être en contact régulier avec le client pour comprendre ce qui se passe à chaque moment, et ainsi pouvoir le soutenir.
Comment le Brexit va-t-il jouer sur le marché bancaire ?
C’est la grande question que tout le monde se pose, mais on n’a pour l’instant pas beaucoup de réponses. Les acteurs financiers sont prêts, ils ont tous établi des succursales dans un pays de l’UE pour assurer la continuité de leurs services. En revanche, ça ne joue pas en faveur de l’Europe en général car le marché va être complètement fragmenté (Credit Suisse est à Madrid, NatWest Markets est à Amsterdam, certains sont à Francfort…), donc moins efficace, avec des coûts supplémentaires, et potentiellement des risques plus élevés. Cela joue au contraire à la faveur des autres places financières en Asie ou aux États-Unis.
Quels sont les leviers du monde bancaire pour agir en faveur du climat et d’un impact positif ?
Le rôle des banques est essentiel pour que les accords de Paris puissent être respectés. Nous étions près de 1000 à suivre le master de l’Université d’Édimbourg sur le changement climatique, donc imaginez l’impact que cela aura ! En 2021, le changement climatique sera à l’ordre du jour dans toutes nos activités, et les régulateurs ont de grandes exigences là-dessus. Le rôle des banques commerciales est primordial pour faciliter la transition climatique. Les banques par exemple ont la possibilité de favoriser les projets verts avec un pricing favorable, ou d’aider les entreprises à financer leurs projets de transition, et de pénaliser les projets les plus pollueurs. C’est le même cas dans la banque de détail avec les taux de prêt à moduler si on habite une zone inondable ou sujette à des feux de forêt, par exemple. Acheter une maison dans ces endroits-là coûtera beaucoup plus cher en prêt que dans une région où il n’y a pas ces problèmes. Les banques peuvent réallouer leur capital là où il le faut.
Est-ce fait de façon cohérente et pragmatique ou est-ce un « effet de mode » ?
C’est très pragmatique, ce n’est pas du tout effet de mode. Les banques et les investisseurs s’y sont mis en Europe, au Royaume-Uni, et maintenant aux États-Unis depuis l’élection de Joe Biden. Si les banques ne s’alignent pas sur les considérations de changement climatique ou critères ESG (économiques, sociaux…), ils seront pénalisés par les investisseurs institutionnels, et potentiellement les agences de rating. Tout le monde dit aujourd’hui vouloir être neutre en carbone d’ici 2030, mais la mise en œuvre est pour l’instant difficile car il y a très peu de données standardisées. Pour le moment il y a beaucoup d’acteurs qui tentent de créer un nouveau standard de reporting avec des méthodologies différentes ; il reste encore à construire un framework uniforme.
Quel impact la crise sanitaire a-t-elle eue sur ton domaine d’activité ?
Avec nos bureaux en Asie, nous savions que la crise allait certainement parvenir en Europe, mais nous n’imaginions pas son intensité sur une durée aussi longue. Nous pensions en mars que seule l’année 2020 serait touchée, mais nous savons maintenant que l’impact principal pour l’économie et de facto les banques sera pour 2021. Au début de la crise tout a été mis en place pour soutenir l’économie, donc s’adapter le plus rapidement possible aux mesures gouvernementales proposées, et surtout ne pas accélérer les faillites générées par le COVID. Même s’il n’y a pas vraiment de nouveaux outils, nous avons dû adapter nos analyses. Pour construire des projections, on se base généralement sur les données financières passées. Là, ce n’était pas possible car les données de décembre 2019 ne nous servaient en rien à comprendre ce qui allait se passer en juin 2020. Nous sommes revenus aux fondamentaux, et avons entre autres traduit les projections de Produit Intérieur Brut (PIB) ou de chômage en impact sur les différents secteurs, pays par pays.
Et maintenant arrives-tu à projeter une dynamique plus générale ?
Oui, nous nous appuyons sur des analyses macroéconomiques au niveau de pays ou de continents car les pays n’en sont pas tous au même stade de la gestion de la pandémie. Plus les économistes modifient leurs projections, plus nous nous calons sur eux et nous voyons potentiellement quelles banques ou quels pays sont impactés davantage et essayons d’évaluer les « gagnants » et les « perdants » dans chaque pays.
Quels chantiers mènes-tu concernant la diversité et l’inclusion ?
La diversité est une des données que nous partageons avec le régulateur financier anglais. Le drame de George Floyd en mai à Minneapolis a créé un renouveau de l’effort de diversité, pas seulement au niveau des femmes, mais au niveau de ce qu’on appelle les BAME (Black, Asian and Minorities Ethnics). Il y a une vraie volonté de l’exécutif d’accélérer le changement à tous les échelons. À Londres, il y a à peu près 13% de populations BAME, donc nous souhaitons en avoir 13% aussi dans l’entreprise. La composition des entreprises doit refléter leur environnement.
Comment obtiens-tu ces données ?
Le challenge est justement de récupérer des données car avec la protection des données individuelles (GDPR), les RH ne peuvent ou ne veulent pas fournir ces informations. Nous avons donc envoyé des questionnaires anonymes de diversité et inclusion (D&I) à tous nos employés en leur expliquant clairement l’usage de ces données. Cette analyse nous aidera à identifier les lacunes par département et y remédier.
Comment le recrutement va-t-il désormais se passer, dans ce cas ?
Nous ne pouvons favoriser une femme à un poste, ce serait de la discrimination positive. En revanche, nous voulons une liste de candidats et finalistes qui représentent ce que nous recherchons. Le panel d’interviewers doit également être représentatif. C’est à tous les niveaux qu’il faut faire bouger les lignes. La machine est lancée, mais il y a encore beaucoup à faire, notamment dans les postes de direction, où même si les femmes commencent à être représentées, les minorités manquent encore terriblement.
Selon toi, comment pourra-t-on réussir cette inclusion sans passer par la discrimination positive ?
C’est un changement de culture et d’approche, où la première étape passe par la compréhension de l’autre. Chez NatWest, nous avons par exemple suivi des webinaires pour savoir comment inclure les déficients auditifs dans le milieu virtuel, qui peut être très hostile pour eux. Nous avons eu aussi le Black History Month (NDLR : commémoration annuelle de l’histoire afro-américaine), pour nous ouvrir à la culture noire. Ce genre d’initiatives favorise l’échange et l’ouverture.
Quelles sont les autres actions menées afin de renforcer l’engagement des collaborateurs ?
Nous avons aussi des initiatives sociales, comme la « Charity of the Year » où les salariés votent pour une charity (NDLR, équivalent d’une ONG en Angleterre), avant d’organiser des évènements ou initiatives pour lever des fonds pour la charity choisie. Cela donne un esprit de corps et de groupe extrêmement important, et cela permet de participer plus largement à la société.
Pour la partie finance, quelle est la réputation de l’EDHEC à l’international ?
L’EDHEC me semble étonnamment plus connue pour sa recherche que pour l’École en elle-même. J’ai recruté pas mal d’EDHEC dans ma carrière et à chaque fois j’ai été impressionnée par leurs compétences et leur capacité d’intégration. Mon senior management anglais en redemandait ! Il faut justement s’appuyer sur le réseau EDHEC Alumni pour montrer aux recruteurs internationaux que l’EDHEC est une référence en matière de formation finance, et pas seulement pour la recherche.
Quelles sont les valeurs de l’EDHEC qui t'animent encore aujourd’hui ?
Celle qui me touche le plus est la dimension internationale, prise très tôt par l’École. C’est ce qui m’a permis de faire un échange à la London School of Economics pendant mes années EDHEC, puis ma carrière à Londres. Je dirais aussi le fort esprit d’entrepreneuriat, car dans tous les secteurs et départements, on a besoin – et surtout en ce moment – de personnes créatives qui vont porter des projets à-bras-le-corps. Le volontariat et les idées font qu’on peut être entrepreneur dans tous les secteurs ! C’est justement l’esprit du « People forum », que j’ai créé dans mon département de Risque avec des volontaires pour créer une vraie stratégie du personnel sur des thématiques variées (diversité, gestion de carrière, formation), et qui fait le lien entre les employés et l’exécutif.
Qu’est-ce que cela implique d’être alumna EDHEC en 2021 ?
C’est à la fois un relais, une transmission, une solidarité entre générations, parce qu’EDHEC Alumni est un réseau qui fonctionne dans tous les sens. Il faut savoir le soutenir et exploiter le pouvoir de ce réseau. Et puis cela apporte toujours quelque chose d’échanger ses idées avec les étudiants. On apprend beaucoup en gagnant de l’expérience professionnelles et on veut transmettre, on veut aider ceux qui commencent. C’est aussi une volonté de perpétuer le nom de l’École : pour qu’elle prospère, l’entraide va dans le sens des choses.
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