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Entretien avec Cyrus Fazel, cofondateur de Swissborg : embarquement immédiat pour le monde de la cryptomonnaie

Interviews

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27/09/2021

Cyrus Fazel (EDHEC International BBA 2007) a cofondé SwissBorg à Lausanne en 2016. Aujourd’hui, sa société de gestion de patrimoine spécialisée dans les cryptomonnaies compte plus de 200 salariés. De la banque privée à la fintech, voici tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la blockchain sans jamais avoir osé le demander…

 

Comment résumerais-tu ton poste et tes responsabilités actuelles ?

Je suis CEO et Chairman de SwissBorg. Je m’assure que les salariés travaillent dans une bonne atmosphère et ont une bonne vision de nos enjeux. Mon travail est similaire au niveau de notre communauté : contrairement à d’autres entreprises, on n’a pas d’investisseurs, mais un très grand nombre d’utilisateurs et de token holders (utilisateurs qui détiennent un jeton dans la blockchain), environ 150 000 dans le monde, avec une concentration en Europe. De ce fait, je fais énormément de vidéos, de rencontres et de conférences pour toucher la communauté. Il y a donc une dimension d’évangélisation et de leadership, tout en s’assurant de tenir notre stratégie.

Est-ce important d’avoir une figure comme toi qui incarne la confiance dans les cryptomonnaies ?

Oui et non. On n’a jamais vraiment su qui était Satoshi Nakamoto, l’inventeur du Bitcoin ! En tout cas, chez SwissBorg, je suis clairement le poster boy, car la technologie est en général difficile à matérialiser, malgré sa transparence. Et le fait d’avoir plusieurs visages – le cofondateur Anthony Lesoismier-Geniaux et mon frère Alexander, qui portent aussi le projet – permet de donner un peu de chair à ce qu’on fait.

La présence internationale de SwissBorg permet-elle de montrer que la cryptomonnaie peut être « incarnée » partout dans le monde ?

Le but de la blockchain est justement la décentralisation, pour que la communauté décentralisée soit représentée. Les trois quarts de notre communauté sont aujourd’hui basés en Suisse, au Royaume-Uni et dans l’UE. SwissBorg est devenue ce qu’elle est grâce à un crowdfunding international fin 2017-début 2018, auquel 25 000 personnes de 149 pays ont participé. C’est la force de l’écosystème blockchain : permettre à ce que tout le monde puisse avoir accès aux technologies, et non pas demander à un super-investisseur ou à un club d’investisseurs de mettre plusieurs millions sur la table.

SwissBorg veut aussi faciliter l’accès aux investissements financiers. Qu’est-ce qui empêche l’investissement des particuliers en cryptomonnaie ?

Il est de plus en plus facile d’accéder à la cryptomonnaie, mais l’écosystème reste tout de même difficile à comprendre. Très peu de plateformes existent pour l’instant pour l’investissement « de base » en cryptomonnaie, et en général ce n’est pas très intéressant pour l'épargnant d’investir. Le problème n’est pas seulement l’accès, mais aussi le manque de connaissances sur le sujet. La société et les écoles de commerce devraient commencer à en parler. Si on n’investit pas, on perd de l’argent tous les jours avec l’inflation. Aujourd’hui, même les gens éduqués et venant de grandes écoles renommées n’ont pas l’idée d’investir, c’est un vrai problème.

Certains investissent pourtant dans l’immobilier...

Investir dans l’immobilier est une très bonne base, ça suit la moyenne de l’inflation, mais pas plus. Chez SwissBorg, on met l’accent sur l’educatement, un mélange d’education et d’entertainment. On essaie de construire des produits motivants, comme l’investissement dans un programme de femmes CEO : cela favorise le féminisme, en plus de permettre un excellent rendement. Si on ne propose pas de choses vraiment concrètes, ce seront toujours les mêmes qui investissent, et le petit épargnant  n’aura malheureusement pas la possibilité de s’y intéresser. Avec la crypto, tout le monde peut participer ! Et c’est cette évolution ou révolution qui permet de démocratiser toutes les industries. Notre mission, c’est de démocratiser la gestion de patrimoine en la rendant plus ludique et juste – la finance n’est en général ni juste, ni transparente –, et de créer une communauté avec laquelle on va grandir.

Finalement c’est une visée plus politique et sociale qu’économique…

La blockchain est un mélange de finance, de technologie et de gouvernance, avec un petit côté mystique. Si on compare ça à la religion, le Bitcoin est un peu Abraham, le père fondateur. La dimension sociale est souvent ce qui donne envie à l’Homme de changer les choses. On peut toujours être intéressé par le profit, mais notre génération a appris des erreurs de nos aînés. On peut être fier d’investir dans une entreprise Tech si on se rend compte qu’elle peut changer le monde. On ressent un peu la même chose dans la blockchain. Et on avance avec la communauté.

Ton associé et toi faisiez de l’asset management avant de fonder SwissBorg. Qu’est-ce qui vous a fait « basculer » ?

Ce n’est jamais gris ou noir, quel que soit le domaine. J’ai commencé en 2007 en banque privée avec des multimillionnaires, puis, après 2008, les choses ont un peu changé. On ne se trouvait pas connectés à notre mission dans nos carrières respectives. Je pense qu’il est important de se définir une mission claire de société. Faire de l’argent pour faire de l’argent ou rendre les riches plus riches, je ne vois pas vraiment l’intérêt, car ça ne fait qu’augmenter l’écart entre les riches et les pauvres. Après une décennie, j’ai compris qu’il fallait avoir un impact, construire quelque chose pour les gens qu’on aime. On a repris plein de choses de la banque traditionnelle, des hedge funds ou des différentes sociétés fintech dans lesquelles on avait travaillé. On voulait le faire avec une communauté, avec monsieur tout-le-monde et non avec des investisseurs. Anthony et moi, on ne se verse pas de dividendes, ça a toujours été très clair. Tous les 6 mois on reverse des bonus en tokens à tous les salariés et à la communauté pour des projets innovants. Ça crée un cercle vertueux, un alignement entre les salariés et la communauté.

Qu’est-ce que la blockchain a changé dans le fonctionnement de la banque traditionnelle ?

Je pense qu’il est encore trop tôt pour le savoir. En 2021, on commence seulement à se rendre compte que les échanges financiers ou de data sont en train d’évoluer. C’est très difficile pour les banques, et c’est normal, car elles ne peuvent pas changer aussi rapidement et drastiquement qu’elles le veulent. Mais il est certain qu’elles vont passer à la blockchain. La réglementation européenne des cryptomonnaies est en train de se faire, mais il y aura toujours de nouvelles innovations dans la blockchain, donc les banques auront toujours du retard. En Suisse, aux États-Unis et au Japon (contrairement à l’Union Européenne), beaucoup de banques privées se sont déjà mises à la crypto.

Quelles sont les évolutions du secteur de la blockchain et des cryptomonnaies ?

La plupart des acteurs de la crypto sont dans le milieu des échanges ou du trading, c’est-à-dire l’achat ou la vente de cryptomonnaies. C’est par là que les choses sont en train de se construire. Dernièrement, les non-fongible tokens (NFT) se sont développés. Par exemple, on peut garder l’enregistrement de cette interview et décider de le mettre dans la blockchain. Les droits d’auteur appartiendront au détenteur de ce token. Si on veut le mettre dans un jeu vidéo ou sur une plateforme de streaming, le propriétaire va gagner de l’argent à chaque fois qu’il y aura un clic. Et il pourra toujours la vendre. Les plateformes comme Spotify n’existeront plus, ce seront des sociétés décentralisées où chaque personne pourra mettre sa propre musique. Aujourd’hui, les NFT sont encore petits, mais certains commencent déjà à s’échanger contre 50 millions de dollars. Demain, tout sera dématérialisé et tokenisé car tout peut avoir de la valeur. La valeur peut être échangée à juste titre, sans avoir besoin de demander l’autorisation aux GAFA pour savoir si on a le droit de vendre.

Comment les cryptomonnaies sont-elles régulées ?

De nombreuses places financières majeures ont introduit des réglementations spécifiques pour la crypto: l’AMF en France, la BaFin en Allemagne ou encore la FSA au Japon. D’autres, comme la SEC aux Etats-Unis, considèrent qu’il faut appliquer aux cryptos la réglementation financière traditionnelle. Quelle que soit l’approche, les cryptos sont aujourd’hui appréhendées par la majorité des législateurs, avec une volonté d’harmonisation au niveau de l’Union Européenne, par exemple. En quelques mots, il existe aujourd'hui plusieurs classes d'actifs de crypto, qui obéissent à des réglementations distinctes: les paiement tokens (Bitcoin), les tokens de fonctionnement d’une blockchain (Ether), les tokens d'utilité (SwissBorg), les stable coins (USDC) et les “security tokens” (actifs financiers classiques tokenisés).  SwissBorg est titulaire d’une licence nous autorisant à fournir des services sur cryptomonnaies et effectue des diligences strictes de lutte     anti-blanchiment d’argent. Comme les sociétés régulées et les prestataires de services financiers, on doit connaître nos utilisateurs en effectuant des contrôles d’identité et en demandant des pièces justificatives.      

Quels sont les grands chantiers solidaires sur lesquels la blockchain devrait se positionner dans les prochaines années ? 

La technologie peut toujours servir à faire de grandes choses, ou au contraire à mettre en place un régime autoritaire de surveillance comme dans certains pays. Il faut bien garder ça en tête. La construction d’une identité numérique sur la blockchain peut être un grand projet. Quand on va en boîte de nuit, pourquoi montrer sa carte d’identité pour prouver qu’on a plus que 18 ans ? On n’a pas forcément envie de donner notre âge. La blockchain pourra facilement permettre de valider seulement le fait d’avoir plus de 18 ans. Ça sera probablement pareil pour faire des achats. L’Estonie et quelques autres pays européens ont commencé à prendre les devants sur l’identité numérique. Une fois qu’une transaction est émise sur la blockchain, on ne peut pas revenir dessus. C’est très encourageant pour obtenir des élections démocratiques, par exemple. Chez SwissBorg, on a créé un parlement représentatif de nos token holders. Il y a des gens de l’extérieur et des salariés. Comme en Suisse, le parlement propose des initiatives qui sont ensuite soumises au vote sous forme de référendums consultatifs. La stratégie de SwissBorg peut donc changer en fonction des propositions finales.

Quel message voudrais-tu donner aux étudiants de l’EDHEC ?

Ce qu’on fait à l’École ne va pas forcément déterminer notre parcours mais plutôt notre vision et notre volonté.  L’École est là pour créer un réseau, nous stimuler à réfléchir et à cultiver notre différence.

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