Valorisé depuis la crise, ce métier qui désigne la couverture des grands clients est aussi devenu plus attractif dans les grands établissements financiers.
Nous sommes tout sauf des banquiers de salon ! » Cette précision d'Alain V., banquier conseil de 42 ans, illustre bien le changement intervenu depuis quelques années dans la manière de concevoir le coverage - la couverture des grands clients -, notamment en raison de la crise. « A l'origine, la terminologie 'coverage' vient plutôt de la partie 'corporate finance' des banques anglo-saxonnes, note Adrien Bouvier, cofondateur du site WallFinance, spécialisé dans les formations et les carrières en finance. Conséquence de la crise de 2007, les banques de financement et d'investissement (BFI) françaises ont mis la 'relation client' au coeur de leur stratégie commerciale, ce qui a eu tendance à renforcer cette notion en France. »
Trois missions
Le client « entreprise grand compte » a ainsi pour interlocuteur unique le banquier coverage, encore souvent appelé senior banker, qui le suit, le connaît très bien et lui permet d'accéder à toute la palette de services de la BFI : fusions-acquisitions, financements, émissions actions, émissions obligataires... « Le 'coverage' se résume en trois missions principales, précise Anne Penet-Grobon, coresponsable du coverage médias télécoms chez Société Générale Corporate & Investment Banking (SGCIB). Avant tout, il s'agit de gérer les relations commerciales en apportant aux clients non seulement des solutions en 'corporate banking' répondant à leurs besoins en financement au jour le jour, mais aussi des solutions en 'investment banking', portant davantage sur des opérations stratégiques. Il faut ensuite améliorer la profitabilité par client, à savoir maximiser la rentabilité du capital alloué par la banque à chaque client. » Il y a enfin la mission de risk management qui consiste à étudier tous les risques de contrepartie qui pèsent sur les financements mis en place. « Là, on est plutôt dans la gestion du bilan de la banque et cela demande une connaissance approfondie du client et du secteur d'activité : c'est vous qui vous engagez et qui défendez en interne la mise en place d'une ligne de crédit », ajoute Anne Penet-Grobon. Elle paraît loin l'image d'Epinal du banquier conseil dont le principal atout serait un carnet d'adresses bien fourni. Preuve en est le profil de ceux qui optent pour cette carrière. Il ne s'agit nullement de banquiers en fin de parcours qui se cherchent une « voie de garage », mais plutôt de professionnels qui souhaitent élargir leur horizon tout en valorisant leurs compétences. « Il m'a toujours paru important de ne pas s'enfermer dans une seule activité et de savoir se remettre en cause, explique Didier Gaffinel, 48 ans, banquier conseil chez Crédit Agricole Corporate & Investment Bank (CACIB) depuis 2011. C'est pour cette raison que j'ai construit mon parcours professionnel autour d'une succession de métiers (dette 'corporate' et LBO - 'leveraged buy-out' -, fusions-acquisitions, 'equity capital market') s'adressant à différents clients ('midcaps', 'large caps', secteur de l'énergie, international...). Le 'coverage' m'est apparu comme une nouvelle étape naturelle dans laquelle je pouvais valoriser au mieux mon profil de multispécialiste. On dit d'ailleurs souvent qu'il faut avoir exercé au moins deux métiers avant d'y venir. » Certains n'attendent pas autant que lui pour franchir le pas.
Un métier généraliste
Nombreux sont ceux qui, se sentant à l'étroit dans une activité centrée sur un produit, optent pour ce métier à la fin de la trentaine et souvent après dix à quinze ans d'expérience. C'est le cas notamment de Laurent Capes qui a rejoint le coverage de Natixis en juin 2011. Diplômé de Polytechnique, de l'Ecole nationale des Ponts et Chaussées et de la London School of Economics, il entame sa carrière en 1997 à la Banque Mondiale, puis travaille à la Direction du Trésor avant de rejoindre, en 2003, le département Equity Capital Market de Deutsche Bank. « Avant de rejoindre le 'coverage', j'étais intégré à ce que l'on appelle dans notre jargon une 'ligne produit', relève ce banquier conseil de 37 ans. Cette situation a ses limites car, en dehors de la sphère produit sur laquelle nous travaillons, les contacts avec les clients sont restreints. J'ai déjà ressenti cette sorte de 'frustration' sur de grosses opérations dans lesquelles je suis intervenu uniquement sur une partie du montage. C'est donc une évolution naturelle que de vouloir élargir cette relation avec le client à l'ensemble des produits de la banque. »
Même son de cloche pour Thierry Remont qui occupe aujourd'hui le poste de senior relationship manager FIG (financial institutions group) chez RBS à Paris : « Après avoir travaillé une dizaine d'années dans le primaire actions, chez Crédit Agricole CIB puis chez ABN Amro Rothschild sur des opérations aussi diverses que la privatisation de France Télécom, l'introduction en Bourse de GDF ou le sauvetage d'Alstom, j'ai eu envie de m'ouvrir davantage aux métiers de la banque, d'approfondir la relation avec les clients dans une perspective de long terme. » Evoluer vers un métier généraliste ne veut pas dire pour autant tirer un trait sur le passé. Certains banquiers conseils ne cachent pas que la composition du portefeuille qui allait leur être attribué a pesé dans la balance, pas seulement en termes de possibilités de business, mais également en termes d'adéquation des clients avec leur propre parcours professionnel. « Tous les clients n'ont pas les mêmes besoins, souligne à juste titre Didier Gaffinel. Certains, comme dans le secteur de l'énergie et des infrastructures, ont plus souvent recours à des financements structurés, alors que d'autres sont plus utilisateurs d'autres métiers. On voit donc bien que le parcours professionnel antérieur du banquier-conseil peut être plus ou moins adapté à tel ou tel portefeuille de clients. Pour autant, le 'coverage' n'a pas vocation à être trop sectorisé, afin d'éviter les risques de conflits d'intérêts ». Laurent Capes est pour sa part en charge d'une quinzaine de clients dont quelques sociétés du CAC 40, mais aussi des entités publiques assurant un rôle d'actionnaire. Bien évidemment, son expérience à la Direction du Trésor est un atout important pour comprendre les problématiques et les besoins de ces dernières.
Expertise sectorielle
En revanche, les nouveaux banquiers conseils ne veulent pas non plus se limiter à leurs acquis. « Le banquier conseil ne doit pas forcément être le spécialiste de tel ou tel métier, mais avoir une solide culture générale sur les produits de la banque pour aider son client à choisir celui d'entre eux ou l'opération qui sera le plus adapté, estime Didier Gaffinel. Il doit également savoir faire travailler ensemble les équipes des différents métiers et être capable d'arbitrer. » Deux compétences qu'il aura l'occasion de mettre en valeur et de développer, comme celle liée à l'expertise sectorielle, qui fait souvent défaut dans les lignes produit. Pour bien accompagner un client, il faut non seulement apprendre à le connaître, mais aussi mieux intégrer les problématiques de son secteur d'activité. « Cette transition me donne l'occasion de développer une expertise sectorielle plus importante sur les FIG, relève ainsi Thierry Remont. Ce terme de FIG regroupe quatre univers différents (banque, assurance, 'asset management', souverains), dans un contexte actuel très mouvant de crise et de réglementation 'évolutive'. Les problématiques sont variées : elles peuvent être stratégiques (acquisitions, financement, cessions) ou concerner la couverture des risques de marché. C'est un secteur passionnant et il faut plusieurs années avant d'en faire le tour ! » La nouvelle génération de banquiers conseils n'en est pas à envisager l'étape d'après. « Je n'échafaude pas encore de plan de carrière pour la suite, assure Anne Penet-Grobon. Je ne suis dans cette fonction de 'coverage' que depuis deux ans. Et comme le bon vin, je pense que c'est un métier où l'on se bonifie avec le temps. Il faut avoir franchi de nombreuses étapes avec ses clients pour en apprécier pleinement tous les aspects. Aujourd'hui, je ne me pose pas trop de questions sur la suite et je ne me verrais pas actuellement ailleurs que dans le 'coverage'. Je sais que cette activité est une occasion unique d'élargir sa connaissance de la banque, d'acquérir une vision transversale de ses métiers. Dès lors, pour la suite, le champ des possibles est vaste. »
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