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Research for business. Acheter « Made in France » est-il bénéfique pour l’emploi ?

Carrière

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28/02/2012

Le point de vue de Philippe Véry, Professeur EDHEC Business School et Emmanuel Métais, Professeur - Directeur, EDHEC Global MBA, EDHEC Business School

L’Etat Français doit-il encourager l’achat d’une Toyota fabriquée en France plutôt que celui d’une Renault-Dacia fabriquée en Roumanie ? A première vue, la Toyota contribue à l’emploi en France, alors que la Dacia procure du travail aux Roumains. Donc si l’Etat français veut favoriser l’emploi en France, on conclura qu’il doit promouvoir, paradoxalement, l’achat du véhicule de marque japonaise.

Mais est-ce si évident ?
L’industrie automobile européenne est, par nature, profondément internationale, pour une raison
simple : un constructeur européen ne peut survivre à l’échelle de son pays. En effet, les volumes de
vente dans tout pays européen, quel qu’il soit, sont insuffisants pour assurer la rentabilisation des
investissements consentis pour développer et fabriquer un modèle. En fait, dans cet univers où la
rivalité concurrentielle est intense, il est nécessaire d’être compétitif en matière de coûts, en
particulier de coûts de production. Ces coûts ne sont pas qu’une question de salaire : il existe aussi
une taille optimale d’usine permettant de maximiser les économies d’échelle. Or, cette taille,
mesurée en types et nombres de véhicules produits, est supérieure à la capacité d’absorption de
chaque pays européen : les volumes produits par une usine doivent donc être écoulés dans plusieurs
pays. Au surplus, le choix de localisation des usines répond aussi à un impératif de limitation des
coûts logistiques. Les constructeurs ont donc pour obligation de vendre dans plusieurs pays, tout en
fabriquant au plus près de leurs marchés. Or, dans le cas de Renault, la France ne représente
désormais plus que 45% de ses ventes en Europe et 28% de ses ventes dans le monde.
Examinons l’organisation industrielle de Renault pour ses véhicules électriques. La Zoe est produite
par l’usine de Flins, en France. La Twizy est montée à Valladolid en Espagne. L’usine MCA de
Maubeuge produit le véhicule utilitaire Kangoo Electrique, tandis que la Fluence électrique sort de
l’usine OYAK-Renault de Bursa en Turquie. L’objectif de Renault est de dominer le marché européen
de la voiture électrique. La Zoe sera le fer de lance de cette stratégie ; la Fluence a été lancée en
2011 sur deux marchés : Israël et Danemark. Renault spécialise donc une usine en Europe pour
chaque modèle qui est ensuite commercialisé sur tout le continent.
Compte tenu des caractéristiques de cette industrie, tous les constructeurs font de même. Toyota a
dédié l’usine française de Valenciennes à la production des Yaris. Les modèles Avensis achetés en
France viennent de son usine de Burnaston (GB). En bref, la réflexion stratégique des constructeurs
en Europe est clairement multi-pays, c’est une question de survie.
Que signifie « acheter français » dans ce contexte ? Notre analyse engendre deux commentaires :
- primo : s’il s’agit strictement de lutter contre le chômage en France, l’Etat semble a priori fondé à
encourager l’achat d’une Yaris. Cependant, puisque la performance des constructeurs se construit au
niveau européen, l’achat d’une Toyota au détriment d’une Renault, même produite à l’étranger,
pénalise le constructeur français dans sa compétitivité globale. L’Etat peut alors s’attendre à moins
de recettes fiscales ainsi qu’à d’éventuelles répercussions sur l’emploi chez Renault, y compris en
France. D’autant que, quelle que soit la localisation de la production, beaucoup d’emplois qualifiés
restent en France : conception, design, composants, financement, SAV, commercialisation, etc. Au
niveau européen, il s’agit donc d’un système de vases communicants: selon l’objectif poursuivi, on
remplit un vase au détriment de l’autre.
- secundo : qu’arriverait-il si les autres pays européens recommandaient, logiquement, dans la foulée
de la France, d’ « acheter national », c’est-à-dire de favoriser des produits fabriqués sur leur
territoire domestique ? En pareil cas, les ventes de la Yaris, produite à Valenciennes, pourraient
s’effondrer, engendrant des difficultés pour Toyota et l’emploi local, direct comme induit. Et les
constructeurs français seraient pénalisés sur tous les territoires où ils ne sont pas implantés.


En définitive, si l’on observe la proportion d’emplois domestiques des constructeurs généralistes
européens, les ratios sont globalement identiques. Il n’y a donc pas d’exception française en la
matière, mais bien une tendance généralisée en Europe. Compte tenu de la faible taille des pays
européens par rapport aux leviers de compétitivité dans l’industrie automobile, seule une action de
type « acheter européen » semble avoir du sens et serait bénéfique. On en revient encore et toujours
à l’Europe. Tout du moins pour l’automobile.

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