Les entreprises françaises font évoluer leur processus de recrutement de haut niveau. Parfois sous la pression de cas extrêmes et malencontreux.
Tout commence par un appel téléphonique dans le monde feutré des chasseurs de têtes. C'est ainsi que le cabinet Russell Reynolds, mandaté par le promoteur immobilier anglo-saxon Cushman & Wakefield, a fini par recruter Denis Samuel-Lajeunesse, directeur général de l'Agence des participations de l'Etat au ministère des Finances, pour la direction de son entité française à partir de septembre. Après une perte de vitesse à partir de 2001, le marché de la chasse de têtes est redevenu porteur. Et le moment propice pour les cabinets « faiseurs de rois ».
« Le métier de la chasse de têtes mûrit en France et en Europe », constate Diane Segalen, vice chairman de Christian & Timbers en France. « Plans de succession de dirigeants et renouvellement de générations à la tête des entreprises (Jean-Pascal Tricoire chez Schneider Electric, Jean-Paul Agon chez L'Oréal, Gilles Pélisson et Serge Weinberg chez Accor, etc.), recrutement élargi d'administrateurs, LMBO, etc. les groupes à ambitions internationales élargissent leur horizon de recrutement », poursuit-elle. « La priorité va aux candidats qui cumulent expérience, leadership et ouverture internationale », souligne Paul Jaeger, « managing director » au bureau de Paris de Russell Reynolds. Du coup, le métier s'arc-boute davantage autour d'exigences de bonne gouvernance qui tendent à limiter les « copinages » au sein de comités et conseils d'administration. « C'est vrai des seules missions qui nous sont confiées. En France, un grand nombre de postes échappent encore aux chasseurs de têtes », tempère Jean-Louis Petibon, directeur général France d'Egon Zehnder International. Nombreux, en effet, sont encore les groupes où le président fait avaliser sa décision par les membres du comité des nominations, où un X-Mines succède à un autre X-Mines ou encore où on parachute un énarque directement d'un cabinet ministériel à un poste de PDG (comme Pierre Mongin à la RATP et Jean-François Cirelli chez GDF).
La vague des femmes
Le plus souvent, les entreprises françaises améliorent la transparence de leurs pratiques de recrutement et de fonctionnement sous la pression de cas extrêmes et malencontreux. Le rôle du comité des rémunérations de Vinci, qui avait octroyé, sans sourciller, une prime de départ évaluée à environ 13 millions d'euros à Antoine Zaccharias à son départ de la direction opérationnelle, devrait, en conséquence, contribuer à accentuer l'indépendance de ses membres. Et l'affaire Accor a, elle aussi, laissé des traces. L'organisation de la succession de Jean-Marc Espalioux avait pourtant observé un « process » : comité de nomination, appel d'offres auprès des chasseurs de têtes (Russell Reynolds, mandaté, a fini par se retirer)... « Le comble, dans cette affaire, c'est que toutes les composantes d'une démarche de bonne gouvernance avaient été observées ! Seulement, derrière tout ce formalisme, on avait dissimulé un agenda secret », déplore un manager. « Avec le recul, on constate que beaucoup se sont fait manipuler : chasseurs de têtes, journalistes, candidats, membres du conseil d'administration. C'est toutefois un phénomène rare, favorisé par la réunion autour d'une table de personnes non solidaires entre elles et dont les intérêts étaient extrêmement divergents. »
Les entreprises françaises décidées à évoluer - les plus internationales en général - jouent l'ouverture au sein du conseil d'administration et font porter leurs efforts de diversité sur la nationalité. « Après la vague des administrateurs étrangers, c'est maintenant au tour de celle des femmes. Ne parlons pas des femmes étrangères qui parlent le français ! », relève Brigitte Lemercier, ex-directeur général chez Russell Reynolds et aujourd'hui à la tête de sa propre structure, NB Lemercier & Associés, spécialisée dans la recherche de PDG, administrateurs et membres de comités exécutifs.
La progression de la féminisation des conseils reste timide cependant : « En France, le pourcentage de sièges [au conseil d'administration] tenus par des femmes est passé de 6,5 % à 7,6 % », constate l'Eurobaromètre EuropeanPWN 2006. Encore loin de l'objectif des 20 % en 2010 assigné par l'Institut français des administrateurs. Mais ce phénomène de fond a beau être lent, il est devenu irréversible. Il s'est, par exemple, illustré avec l'arrivée d'Elisabeth Lulin, normalienne, inspecteur des Finances de tout juste quarante ans, au conseil d'administration de la Société Générale.
La capacité de dire non
Autre tendance : « les candidats français avec une expérience internationale sont très recherchés », poursuit Brigitte Lemercier. Ce qui donne des chances à ceux - pour beaucoup, ni X ni inspecteurs des Finances - partis poursuivre de belles carrières à l'international. « Ils ont eu raison de partir : leur expérience leur fournit aujourd'hui les galons nécessaires pour revenir en terrain plus favorable », commente Jean-Louis Petibon. « On va les inclure dans le paysage ; ce qui devrait susciter l'introduction d'une nouvelle génération de cadres dirigeants. Plus internationaux et plus jeunes », renchérit Brigitte Lemercier.
Le métier a le vent en poupe mais il reste compétitif. Un accès immédiat aux dirigeants du CAC 40, un réseau international, la force et la qualité d'une enseigne, des « process », un savoir-faire pointu sont autant d'éléments de différenciation mis en avant pour le recrutement de quinze « partners » pour quinze secteurs différents, une embauche pour un poste à l'étranger ou encore la recherche en toute confidentialité d'un dirigeant pour un groupe français. Mais il reste que rien ne sera plus précieux pour une entreprise cliente que la grande expérience d'un consultant et l'importance de l'intuitu personae. « Ce métier nécessite une rigueur extrême tant pour le traitement d'informations confidentielles que pour la gestion des relations avec nos candidats », insiste Paul Jaeger. Aux entreprises de dire toute la vérité aux cabinets de chasse de têtes et aux recruteurs de haut vol d'avoir le courage de ne pas taire certaines caractéristiques du candidat pour en finir au plus vite et étaler des taux de placement mirifiques. A sa grande expertise, le chasseur de têtes doit nécessairement ajouter le courage et la capacité de dire à un client : « Non, ne prenez pas cette personne. » Même en fin de processus de recrutement.
Source : Les Echos 12/7/06

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