"Repenser le leadership dans un monde post COVID-19", par Isabelle Rouhan (EDHEC Master 1997)
Isabelle Rouhan (EDHEC Master 1997), fondatrice et présidente de Colibri Talent, co-fondatrice de l'Observatoire des Métiers du Futur, notamment conférencière et auteur des Métiers du futur (Éditions First, 2019), est récemment intervenue sur notre groupe LinkedIn EDHEC Alumni pour partager ses réflexions sur les mutations de l'emploi après le déconfinement. À présent, le leadership post-coronavirus passe sous sa loupe :
"Le monde d’après sera différent. La crise sanitaire mondiale, doublée d’une récession économique sans précédent depuis 1945, pose de nombreux défis dans notre société. Face aux Cassandre qui ne manquent pas de prédire chômage de masse et fracture sociale irrémédiable, la réflexion de cet article est d’inspirer des changements positifs sur la gouvernance des organisations, pour faire de la période post-confinement une opportunité de bâtir une gouvernance 3.0 qui fasse sens, dans une logique plus inclusive et plus durable.
Il appartient en effet aux leaders et dirigeants de faire de l’après un monde où ces changements seront des opportunités de transformation à grande échelle. Ce type de situation de crise fait ressortir chez le dirigeant sa capacité à voir, penser, dire et accompagner.
Pour documenter cette vision d’un nouveau leadership, j’ai interrogé trois grands témoins aux points de vue complémentaires sur ce sujet :
- Guy Mamou-Mani, co-Président de l’ESN Open, et auteur du livre L’Apocalypse numérique n’aura pas lieu, aux éditions de l’Observatoire
- Le Vice-Amiral Loïc Finaz, Directeur de l’École de Guerre, qui publie en juin prochain aux Éditions des Equateurs, La Liberté du commandement : l’esprit d’équipage
- Viviane de Beaufort, professeure titulaire à l'ESSEC Business School et spécialiste de la gouvernance.
Repenser le rôle du leader
« Un dirigeant, un leader, c'est celui qui a compris qu'il y a une mission et un sens, des circonstances et des hommes, et que son action s'inscrit entre ces quatre points cardinaux » affirme l’Amiral Loïc Finaz. « Il doit développer l'autonomie et la solidarité de son "équipage", de ses équipes, ces vertus qui dans un monde de plus en plus individualiste et assisté confèrent la cohésion et la performance. Il aura ensuite à leur faire comprendre qu'au-delà de fonctions différentes, nous portons tous la même responsabilité. C'est un ciment social exceptionnel et, à nouveau, une source de performance. Il devra aussi comprendre, et faire comprendre, que les systèmes hiérarchiques ne sont efficaces que s'ils reposent sur une confiance commune qui, elle, est générée par la participation de tous ».
Cette définition du rôle du leader qui insiste sur la cohésion au service de la performance est une bonne entrée en matière pour aborder celui-ci comme un vecteur de sortie de crise et d’accélération de la transformation.
Vers une gouvernance plus digitale.
Les crises créent parfois des écarts de performance importants et durables entre les entreprises. La recherche a montré que les technologies numériques peuvent avoir le même effet, notamment en période de récession. Les entreprises qui ont négligé d’accélérer leur transformation numérique risquent de s’apercevoir à leurs dépens que la crise du COVID-19 rendra ces écarts insurmontables.
Ceci impactera forcément la gouvernance en sortie de crise. Les entreprises qui ont trop tardé à se digitaliser vont devoir rendre des comptes à leurs actionnaires.
En effet, Le numérique apporte des solutions dans tous les secteurs. Comme le souligne Guy Mamou-Mani, « 7 millions d’enfants vont désormais à l’école de chez eux. Les enseignants, pourtant parfois réputés (à tort) comme réfractaires à la transformation digitale, s’y sont mis avec beaucoup de créativité. On assiste aussi à une accélération incroyable de la télémédecine. Et les clients d’OPEN ont tous joué le jeu. Le numérique crée un nouveau type de lien au sein de notre gouvernance. Notre Comex se réunit désormais tous les 2 jours en visioconférence, et le passage en télétravail aboutit à des liens renforcés et différents. On est très loin de la déshumanisation que certains prédisaient ». Il est d’ailleurs à noter que ce sont les Comex et les Codir qui sont les premiers à la manœuvre sur ces notions de transformation digitale, comme le souligne en particulier Viviane de Beaufort.
En revanche, là où le bât blesse parfois, c’est pour les petites et moyennes entreprises, insuffisamment digitalisées comme le précisait le Ministre de l’Économie Bruno Le Maire dès 2018, « si nos TPE et PME ne se digitalisent pas, elles seront laminées ».
Vers une gouvernance nécessairement plus diverse
« D'abord, il n'y a pas une gouvernance des entreprises. Il y a, ou il devrait y avoir, une gouvernance par entreprise », affirme Loïc Finaz. Mais il y a toutefois des invariants de la transformation qui sont à l’œuvre depuis une décennie et vont s’accélérer. Ainsi, la diversité dans constitution des conseils d’administration devrait être impactée. Ce mouvement, déjà amorcé en France grâce à la loi Copé-Zimmerman qui a féminisé largement les boards, reste lent en France sur les autres types de diversité (génération, origine sociale et culturelle, handicap…). La conviction de Viviane de Beaufort comme de Guy Mamou-Mani est que la crise sanitaire va agir comme un accélérateur de prise de conscience au plus haut niveau pour renforcer la prise en compte de la diversité dans la gouvernance, dans un souci de performance. Comme le note l’étude annuelle de Spencer Stuart Board Index 2018 : « Les compétences technologiques et digitales sont toujours recherchées afin d’apporter au conseil les clés de lecture des transformations auxquelles sont confrontées les entreprises. D’où une arrivée de nouveaux administrateurs souvent plus jeunes et apportant l’expérience de la nouvelle économie ».
La mission de l’entreprise se bâtit autour du sens et de la croissance.
La Loi Pacte élabore 3 niveaux permettant de challenger l’objet social classique de l’entreprise : d’abord la RSE est à intégrer dans son objet social pour toutes, ensuite les sociétés peuvent choisir d’inscrire une raison d’être dans leurs statuts pour préciser leur projet collectif de long terme. Enfin, la possibilité de se revendiquer entreprise à mission pour résoudre un problème sociétal ou environnemental identifié.
Viviane de Beaufort note que « la crise actuelle constitue un levier d’accélération des questions des actionnaires et de la société sur l’éthique personnelle du dirigeant, au-delà de sa capacité à diriger l’entreprise. On voit se dessiner une ligne de fracture des sociétés dirigées par un leader éclairé qui porte une vision et privilégie l’intérêt général de son entreprise et de la société par rapport à son agenda personnel, et à l'inverse des sociétés dont le ‘patron’ demeure old school dirige, encore davantage en temps de crise sans associer ses collaborateurs et a en tête de revenir dès que possible au "business as usual". Cette seconde catégorie est aujourd’hui challengée lors des assemblées générales, par les syndicats, les ONG et la société dans son ensemble ».
Ceci s’illustre aussi dans les propos de l’Amiral Loïc Finaz : « Il faut assurément espérer que la "finance", réelle ou fantasmée, ne soit pas le seul critère de gouvernance. On ne pourra l'éliminer, mais il faut que le sens et l'humain pèsent tout autant ».
« La crise mettra en avant les sujets d’éthique et de responsabilité encore plus fortement qu’avant », confirme Guy Mamou-Mani. « La reprise de la croissance est indispensable, mais dans une logique responsable. Elle est nécessaire, mais pas suffisante. Les salariés, tout comme l’ensemble des parties prenantes, sont attachées à cette recherche de sens ».
Repenser le rôle du manager, en le positionnant comme un leader d’équipes
« Les bons managers se révèlent en tant que leaders dans les périodes de crise, et la menace sanitaire à laquelle nous avons dû faire face ne fait pas exception à ce constat », affirme Guy Mamou-Mani. Cette tendance est également reprise par Viviane de Beaufort, qui insiste sur la « notion de collaborateur qui remplace celle de salarié : l’autonomisation forcée liée à la crise a déclenché une implication plus forte et le droit à la parole dans le design de nouvelles solutions ».
Les organisations hiérarchiques à multiples niveaux ultra-pyramidales sont en train de prendre un coup de vieux dans le secteur tertiaire. Pour fidéliser leurs collaborateurs, les entreprises agiles ont aplati leur organigramme et repensé les équipes comme des tribus transversales. Chaque patron de tribu (nommé « squad » dans le vocabulaire de la méthode agile SCRUM théorisée en 1995) est un leader dont l’expertise est reconnue. Cette forme de leadership est une « réponse aux attentes de collaborateurs qui demandent toujours plus de sens » selon Guy Mamou-Mani. Elle met aussi fin aux empilements de niveaux hiérarchiques intermédiaires qui créent de la distance inutile dans les organisations, et changent les organigrammes de certaines entreprises en mille-feuilles indigestes.
La crise permet de changer, en mieux…
« Nous aurons d’autres crises dans le futur », affirme Guy Mamou-Mani. « La crise fait partie de l’humanité, La réponse n’est pas de subir, mais de s’y préparer, notamment en éduquant, en formant et en rendant le digital accessible au plus grand nombre ». Loïc Finaz complète ce point de vue : « Rien n'est certain ; il est bon néanmoins d'avoir conscience que tout peut basculer. En bref dirait un marin : soyez toujours prêt à appareiller ».
Pour Viviane de Beaufort, cette période qu’elle refuse d’appeler crise « est un bouleversement de tout notre système de pensée, dans le rapport à l’autre, à nos priorités professionnelles et même personnelles et, à l’économie. C’est une opportunité pour redistribuer les cartes et réaffecter des fonds publics et privés aux filières prioritaires : numérique, changement climatique et aux services fondamentaux que nous avions minorés, comme la santé et l’éducation »."
Plus d'infos sur Colibri Talent : www.colibri-talent.com.
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