"J'étais un slow startupper sans le savoir (et cela va me permettre de passer la crise) ", par Arnaud Rochette (EDHEC BBA 2008)
Arnaud Rochette (EDHEC EDHEC BBA 2008), cofondateur et CEO de Keepin, également administrateur du Conseil d'administration EDHEC Alumni, est intervenu cette semaine sur notre groupe LinkedIn EDHEC Alumni pour partager ses constats sur les trajectoires que devrait prendre l'entrepreneuriat après la crise sanitaire.
"Avant de commencer, je pense avoir trouvé une définition qui me semble pas mal : « Un slow entrepreneur conduit son entreprise dans une stratégie à long terme en respectant son environnement, ses collaborateurs et sa responsabilité sociétale ».
On pourrait croire que les mots « startup » et « slow » sont incompatibles, et pourtant.
Dès mon entrée sur le marché du travail, j'ai été conditionné à vivre en temps de crise. En effet, j'ai décroché mon premier emploi 2 mois seulement après la chute de Lehman Brothers. Pour la crise précédente, la crise des Dot Com, j'étais trop jeune !
Comment ai-je découvert que j’étais un slow entrepreneur ?
En quatre points : l'argent, l'agilité, les clients, le respect.
- La course à l’argent
- Levée de fonds
La course à la levée de fonds ne m’a jamais excité. D'ailleurs, dans l'imaginaire collectif, dès qu'on parle de startup, on parle de levée de fonds. Or il n'est pas obligatoire de passer par cette étape. Tout dépend de son business. Si on a besoin de capitaux pour prendre une place de premier choix sur le plan mondial, alors d'accord. Mais tant qu'on n'a pas de métriques sympathiques à montrer aux Business Angels et Fonds d'investissement, il ne sert à rien de perdre son temps. Il fut un temps où j’essayais et étais très vite découragé. Le time-to-market n'était jamais bon, soit trop tôt, soit trop tard. Business Plan qui bouge d'une semaine à l'autre. Délais de réponses abusifs, etc.
Aujourd'hui, il va falloir composer avec un calendrier de financement moins favorable. Hormis ceux qui vont traverser la tempête et gagner des parts de marchés. Chaque entrepreneur aujourd'hui doit se focaliser sur la rentabilité à long terme.
- Rémunération
Ce modèle slow implique aussi un autre mode de rémunération, surtout pour les fondateurs. Il faut être capable d'assumer une non-rémunération pendant une très longue période. De quoi en rebuter plus d'un. Il faut le savoir et trouver une source de revenu externe (chômage, prestations intellectuelles ou physiques). Pour ma part, pendant des années, j'ai trouvé mes ressources en effectuant des missions dans l'événementiel et maintenant dans la prestation intellectuelle en web digital. Et puis je ne compte pas sur les aides historiques que l'État nous propose aujourd'hui car j'ai le chic pour toujours être à côté des critères demandés...
- Endettement
Dans un contexte où 9 startups sur 10 font faillite (ou presque) en moins de 5 ans, s’endetter à titre personnel peut paraître fou. Oui ça l’est ! Mais c’est une manière de prouver à mes partenaires (banques, associés, clients, équipe, fournisseurs) que je crois fort en mes capacités et au potentiel de la société.
- L’agilité
- Business model
« Ce n’est pas le plus fort ou le plus intelligent qui reste, mais celui qui a la plus grande capacité d’adaptation », Charles Darwin
Cette crise nous révèle que les plus grosses sociétés sont celles qui vont le plus souffrir. Même avec une trésorerie et une puissance financière supérieure aux TPE-PME-Startups, celles-ci sont plus difficilement maniables.
Que dire également du fantasme de la mondialisation qui est en train de retomber ? On se rend compte qu'on peut vendre localement, sur le marché français et européen ! Soyons d'abord maîtres chez soi avant d'aller conquérir le reste du monde (ou pas).
- Équipe non-salariée
En ce moment, ma plus grande force est de ne pas avoir de salariés. J'entends déjà des syndicalistes me jeter en pâture. Mon activité ne m'a jamais encore apporté de certitudes quant à l'embauche d'une équipe en CDI. Jusqu'à maintenant, mon équipe a connu des arrivées, des départs, des missions courtes, des pivots, etc. Je n'ai pas eu d'autres choix que de travailler avec des freelances (ou des stagiaires). De plus, cette équipe n'a pas attendu la crise pour découvrir le télétravail et l'utilisation d'outils numériques.
- Cash burn
Équipe flexible, bureau flexible, mobilier allégé (une chaise + un bureau), une box fibrée = des dépenses très maîtrisées. Fort de cette "petite" taille, les startups comme la mienne, risquent fort de faire la différence pour répondre aux nouvelles règles de demain. En d'autres termes, je suis plus costaud qu'une boîte qui avait impérativement besoin de lever.
Car quand on sait faire avec peu, on peut passer l’orage sous un petit parapluie. Malheureusement (ou heureusement ?) les startups à forte croissance perdent peu à peu cette agilité.
La première cause de décès d'une startup est le manque de cash. Donc plus vos dépenses opérationnelles sont basses, plus vous êtes dur à abattre.
- Connaître ses clients
- Passer du temps avec eux
Certains analystes disent que nous allons passer moins de temps à prospecter sur le terrain, de limiter les rendez-vous physiques. Je suis assez mitigé. Car pour instaurer une confiance réciproque et un début de bonne relation, il est indispensable d'échanger un moment ensemble, physiquement parlant. On peut bien sûr maximiser ce temps par de la visio-conférence, des vidéos et des appels téléphoniques. Mais l'essentiel reste de passer du temps avec eux. C'est "priceless".
- Définir les besoins ensemble
Bon nombre d'entre nous se sont rendu compte qu'on survolait les besoins réels de nos clients, voire pire : qu'ils avaient en réalité des besoins différents ! Vous n'êtes pas le client, mais vous pouvez vous mettre dans sa peau afin de le comprendre. Et puis, rien ne vous empêche de tester. De nos jours, tester - analyser - itérer - comprendre, ne coûte rien et est très facile à mettre en place.
- Les fidéliser sur le long terme
Peut-être que cette notion a été trop rapidement vue dans les cours d'École, mais un client fidélisé à long terme rapporte bien plus que X prospects à aller chercher et à convaincre d'acheter. Je ne vais pas vous sortir les études qui le prouvent (allez vous documenter sur le sujet), mais il est trop bête de passer à côté de ce facteur essentiel pour votre business.
- Le respect
- Son équipe
De nombreuses sociétés ont heureusement maintenu une activité, à distance. La production n'est évidemment pas la même (on attendra les études Insee pour le confirmer). Laissez-moi vous suggérer une nouvelle organisation : si on coupe le temps de travail en deux, une partie pour le travail de production - grande concentration, pas de notifications / emails / téléphone - et une deuxième partie pour le travail en équipe - création, ateliers, échanges, réflexions - alors on se rendra compte qu'on peut travailler efficacement sans tenir des horaires surchargés. Demain, celui qui sortira de son bureau à 18h30-19h00 sera le gros loser de la boîte.
- Son environnement
Encore plus évident, mais ô combien difficile à changer (vilaines habitudes), demain il n'y aura plus aucun business crédible sans un vrai respect de l'environnement écologique. La stratégie sera obligatoirement liée à cette cause. Et si ce n'est pas vous, ce sont vos clients qui vous le rappelleront.
- La société post COVID-19
Nous sommes nombreux à espérer des changements. Malheureusement l'être humain a la fâcheuse manie de vite oublier. Est-ce que ce traumatisme est suffisamment important pour faire évoluer notre Société dans le bon sens ? Est-il temps de mettre la pression (quoi qu'il en coûte) à nos amis chinois, américains, indiens (etc) pour produire avec le minimum d'impact négatif sur l'environnement et sur notre espèce ?
Alors, le slow startupper est-il le modèle d'entrepreneur de demain ?
Si on résume, un entrepreneur qui ne court pas après l'argent des investisseurs mais après celui de ses clients, qui comprend ce qu'ils veulent, avec une structure agile et flexible, et un profond respect des humains et de l'environnement, est un slow entrepreneur.
Son objectif est de durer, de participer au progrès, sans détruire.
Je serais curieux de lire vos avis sur ces sujets. N'hésitez pas à me contacter sur LinkedIn pour me faire part de vos commentaires."
Arnaud Rochette
Plus d'infos sur Keepin : www.keepin.fr.
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