"Booster l'employabilité dans un monde post COVID-19", par Isabelle Rouhan (EDHEC Master 1997)
Isabelle Rouhan (EDHEC Master 1997), fondatrice et présidente de Colibri Talent, notamment conférencière et auteur des Métiers du futur (Éditions First, 2019), est intervenue cette semaine sur notre groupe LinkedIn EDHEC Alumni pour partager ses réflexions sur les mutations de l'emploi après le déconfinement.
"D’après une étude Eurostat publiée en 2018, 15 millions d’emplois devaient être créés en Europe d’ici à 2025 du fait de la transformation digitale, alors que dans le même temps, 6 millions d’emplois peu qualifiés pouvaient être amenés à disparaître pour la même raison. La balance était donc largement positive. Mais la crise du COVID-19 va rebattre les cartes. C’est d’ailleurs l’opinion de 67% des actifs interrogés par AssessFirst à ce sujet début avril 2020. [1]
Le gel des recrutements est désormais avéré et aura un impact à long terme sur l’emploi. [2] Désormais l’enjeu est d’accompagner chacun pour se préparer à la reprise. Il est possible de faire de cette crise une opportunité pour adapter les métiers et les compétences au futur, tant en termes de valorisation des soft skills (adaptabilité, agilité, capacité à travailler à distance) que d’opportunités pour se former aux compétences de demain, plus pointues et plus volatiles.
Le monde d’après sera différent. La crise sanitaire mondiale, doublée d’une récession économique sans précédent depuis un siècle, pose de nombreux défis dans notre société, tant en matière de politique de relance, d’emploi, de solidarité que d’aménagement des territoires. Face aux Cassandres qui ne manquent pas de prédire chômage de masse et fracture sociale irrémédiable, la réflexion de cet article est d’inspirer des changements positifs sur les métiers au profit de l’employabilité, pour faire de la période post-confinement une opportunité de bâtir une économie 3.0 plus inclusive, et plus durable.
Ce sont les tendances structurantes de l’impact de la crise sanitaire actuelle sur les transformations déjà à l’œuvre des métiers et des compétences que nous allons identifier ici. L’humain étant résilient, il nous appartiendra ensuite collectivement de faire de l’après un monde où ces changements seront des opportunités de transformation à grande échelle, rendant les métiers accessibles au plus grand nombre.
La nouvelle donne ambitieuse en matière de recrutement des entreprises de la Tech aux US.
L’économie sera bien sûr violemment impactée par cette crise. Certains en sortiront gagnants, en particulier les entreprises de la Tech, et toutes celles qui ont réussi à basculer en amont à l’échelle sur une démarche de vente en ligne. Ainsi le Financial Time affirmait en Mars 2020 que les compagnies de la Tech avaient conservé en Californie 15.900 postes ouverts au recrutement malgré la crise, pour tirer avantage de la bascule vers une économie encore plus digitale. Amazon a d’ailleurs ouvert 100.000 postes en recrutement au niveau mondial, principalement dans ses entrepôts pour faire face à la demande croissante. [3] Ce gain de part de marché du e-commerce fait malheureusement au détriment des petits et moyens distributeurs, peu digitalisés.
Pour mémoire, ce n’est pas la première fois qu’une crise favorise l’adoption de nouvelles technologies. Dans un article de 2018 cité par la Harvard Business Review en janvier 2020, Brad Hershbein et Lisa B. Kahn [4] ont croisé plus de 100 millions d’offres d’emploi mises en ligne entre 2007 et 2015 avec des données économiques, pour voir comment la crise financière avait affecté les compétences recherchées par les employeurs. Ils ont trouvé que les villes américaines les plus sévèrement touchées par la récession ont connu une demande plus forte de compétences de haut niveau, notamment liées à l’informatique. L’essor de la demande était en partie dû aux employeurs qui profitaient de la hausse du chômage pour être plus sélectifs. Leur étude a également montré que la demande pour les compétences technologiques revient à la normale une fois que le marché du travail s’améliore.
Plan de continuité à l’échelle européenne.
Le facteur différenciant pour rebondir après une crise est la préparation. D’après une étude du groupe BAIN après la crise de 2008, parmi les entreprises qui ont stagné « peu avaient conçu un plan d’urgence ou réfléchi à d’autres scenarii. Quand la crise a frappé, elles sont passées en mode survie, procédant à des coupes sévères et réagissant défensivement. » La plupart des sociétés qui traversent tant bien que mal une récession se redressent plus lentement et ne rattrapent jamais vraiment leur retard.
La crise du COVID-19 a permis de formaliser, tester, puis d’appliquer des plans de continuité, que ce soit à l’échelle des entreprises, ou des États européens qui ont apporté une réponse concertée et se sont entraidés dans la prise en charge des patients.
Relocalisation et essor de l’industrie du futur en France
L’industrie française vient de quintupler sa capacité de production pour les masques en quelques semaines. Et les gouvernements européens parlent de rapatrier les productions les plus stratégiques, à commencer par les médicaments. Il y a clairement un enjeu de compétitivité de la main-d’œuvre à date, qui peut être aussi vu comme une opportunité de reconstruire un nouvel appareil industriel ultra-automatisé, performant et compétitif.
Pour mémoire, le taux de robotisation et l’accès à l’emploi ne sont pas directement liés. En effet, les deux pays les plus robotisés au monde sont le Japon et l’Allemagne, et leurs taux de chômage respectifs sont parmi les plus bas, autour de 3%. Néanmoins, d’après Agnès Pannier-Runacher [5], Secrétaire d’Etat auprès du Ministre de l’Économie et des Finances, la France ne dispose que de 19 robots pour 1000 salariés. Il y a donc une importante marge de progression versus l’Italie (20 robots/1000 salariés), l’Allemagne (34 robots/1000 salariés) et la Corée du Sud (77 robots/1000 salariés).
Mettre en place de nouvelles usines ultra-modernes en Europe nous rendra compétitifs à haut niveau et va contribuer à recréer un tissu d’emplois industriels qui avaient progressivement disparus sur notre continent.
Favoriser l’accès au travail pour tous grâce au télétravail
La moitié de la planète est confinée, et une grande partie a basculé en télétravail. Certains d’entre nous y étaient habitués, à la fois formés et suffisamment équipés pour y parvenir. Mais pas tous… Dans le monde d’avant, beaucoup d’entreprises ont refusé par principe le télétravail dans le tertiaire, par manque de confiance dans leurs salariés. Or, maintenant qu’il est devenu obligatoire, ces entreprises se rendent compte que le télétravail fonctionne, et que c’est un vrai travail. Cela ouvre des perspectives pour faciliter l’accès au travail depuis chez soi pour les handicapés, ou pour tous ceux qui sont bien connectés mais vivent loin d’un bassin d’emploi.
Même si cela ne peut être une solution pour tous, à commencer par les 13 millions de personnes touchées par la fracture numérique en France [6], le télétravail est un levier pour faciliter l’accès à l’emploi dans les territoires, et pour ceux qui connaissent des difficultés à se déplacer.
Même un orchestre, dont la raison d'être est de jouer ensemble et en public, peut désormais télétravailler, comme l'a prouvé l'Orchestre National de France en jouant le Boléro de Ravel en confinement la semaine passée.
Se former à distance et en permanence
Grâce au confinement, nous disposons de temps pour lire, pour étudier, pour nous former… Le marché des cours à distance a bondi de 20% en mars 2020. Des milliers d’écoles sont passées en formation à distance en quelques jours et les cours sont de qualité. Pour conclure cet article, je vous livre mes liens favoris pour en apprendre plus sur l’Intelligence Artificielle, notamment via OpenClassrooms :
Prenez soin de vous."
Isabelle Rouhan a annoncé que son prochain article porterait sur le leadership en temps de crise. Notre Alumna EDHEC nous recommande en introduction, à propos des compétences de savoir-être, le MOOC du CNAM de Cécile Dejoux : « Du manager au leader : devenir agile et collaboratif ».
Plus d'infos sur Colibri Talent : www.colibri-talent.com.
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Notes :
[1] Enquête AssessFirst en mars 2020, auprès de 1000 répondants. Libellé question : « La situation que nous traversons a-t-elle fait naitre certaines réflexions chez vous ? Votre perspective sur le travail ou autre a-t-elle changé d’une façon ou d’une autre ? »
[2] Source SYNTEC Conseil, avril 2020
[3] Source Forbes, 19 mars 2020
[4] Respectivement : Upjohn Institute for Employment Research et université de Rochester
[5] Evénement SYNTEC du 14 janvier 2020
[6] La fracture numérique concerne ceux qui ne sont pas connectés à internet (zone blanche) ou qui n’ont pas la maîtrise pour attacher ou détacher une pièce jointe d’un e-mail.
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